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à obéir respectivement à deux autres commandants généraux, les ducs de Tripoli et de la Mauritanie césarienne. Les troupes, réparties sur une frontière de trois cents lieues, qu'elles défendaient à grand'peine contre les barbares, n'atteignaient pas l'effectif de 20,000 hommes. On voit quelles excessives précautions avaient été prises pour prévenir les velléités de révolte de la part des commandants militaires d'Afrique. D'ailleurs la population d'origine italienne avait trop de liens avec la mère-patrie, et trop besoin de son appui, pour entretenir des idées de séparation.

Ces circonstances, il est vrai, n'avaient pas empêché, quinze années auparavant, l'un des prédécesseurs de Boniface, le comte Héraclien, d'embarquer trois ou quatre mille hommes et de se jeter avec eux sur l'Italie pour y tenter une révolu tion; mais battu et obligé de revenir en Afrique, il y avait trouvé immédiatement une mort ignominieuse, et le comte actuel avait pu voir sa tête fixée sur un pal, devant une des portes de Carthage.

Tout porte à croire que la pensée dominante de Boniface, dans ce moment critique, fut de repousser, sans se préoccuper des conséquences, la mesure qu'il prenait pour un affront.

Les caractères de cette trempe ne comptent pas beaucoup avec l'avenir. Peut-être, d'ailleurs, espérait-il que le temps amènerait quelque revirement favorable, ou se promettait-il de recommencer, au besoin, la tentative d'Héraclien. Mais si l'on reconnaît l'impossibilité d'établir une tyrannie dans les provinces africaines, il est bien difficile d'admettre que Boniface ait songé à l'essayer dans une partie seulement de ces provinces, en donnant le reste aux Vandales. C'eût été s'affaiblir de toutes manières, car il n'y avait pas à compter sur Ja foi de ces barbares.

L'année 427 arrivée, Boniface persistant à rester en Afrique, n'était plus qu'un criminel d'Etat. La guerre fut immédiatement ouverte contre lui, sous la direction de Félix, maître

des milices (1). Elle commença heureusement et Boniface allait être enveloppé, lorsque la trahison d'un chef détourna le danger qui menaçait sa tête et changea le succès en revers. Des renforts furent demandés, de part et d'autre, aux barbares qui occupaient le littoral de l'Espagne et de la Gaule, et, comme ces nations n'avaient pas de marine, des vaisseaux de transport leur furent envoyés par les belligérants. A cette époque, les princes Goths reconnaissaient l'opportunité de soutenir l'empire. Une troupe d'auxiliaires de cette nation, sous les ordres du comte Sigisvult, chargé de continuer la guerre, débarqua dans le port de Carthage, place restée au pouvoir du gouvernement.

Boniface, de son côté, eut naturellement recours aux Vandales, les plus proches voisins de l'Afrique et les ennemis persévérants de l'empire romain. Saint-Augustin nous le représente entouré d'une soldatesque nombreuse et néanmoins laissant les barbares d'Afrique porter librement le pillage et la dévastation sur le territoire des provinces. Quand même, s'écrie le grand évêque, dans sa prophétique indignation, tous ces hommes te resteraient fidèles, quand même tu n'aurais à craindre la trahison d'aucun d'entre eux; ne vois-tu pas les crimes qu'il te faudra tolérer pour satisfaire leur cupidité et leur violence, et déjà le pays tellement ravagé autour de toi, qu'il n'y reste pas la plus petite chose à prendre? Certes, si la horde vandale, hostile comme elle l'était au catholicisme, eût cu alors le pied en Afrique, Saint-Augustin se serait autrement préoccupé des intérêts religieux.

Vraisemblablement Boniface s'était entendu avec Genséric pour prendre à sa solde quelques-uns des Goths qui faisaient partie de l'armée romaine, dans la campagne de 422, en Es

(1) Les comtes militaires étant sous les ordres directs du maître des milices, c'est naturellement à Félix qu'incombait le soin des mesures de répression contre Boniface. Pour certains auteurs, par exemple Le Nain de Tillemont, cette intervention de Félix prouve qu'il était le chef des ennemis du comte d'Afrique. Quelle naïveté !

pagne, et qui passèrent aux Vandales pendant la malheureuse bataille livrée par Castin. Cette supposition est autorisée par un passage de Possidius relatif au siége d'Hippône, passage dans lequel il parle de Boniface, comme d'un ancien allié des Goths (4). Une pareille composition de son armée devait Jui paraître propre à faire naître la désertion parmi les Goths de Sigisvult. Elle avait aussi ses avantages pour Gensérie, qu'elle débarrassait d'auxiliaires dangereux, s'il restait en Bétique, tout en lui donnant, de l'autre côté du détroit, des gens tout prêts à faire défection aux Romains, dans le cas où il se déciderait à le franchir avec sa nation.

L'Afrique ne pouvait manquer d'être un point de mire pour ceux de ces essaims de barbares accourus à la curée de l'empire d'Occident, qui parvenaient jusqu'au littoral de la Méditerranée. Ce n'était pas seulement de riches provinces à piller, mais une terre de repos, protégée par la mer contre les bandes qui venaient derrière eux. Déjà les Goths avaient tenté le passage par la Sicile, sous Alaric, et par le détroit d'Espagne, sous Vallia. La même nécessité entraînait les Vandales de Genseric; je l'ai déjà fait remarquer, c'est sous la pression des Goths qu'ils se résolurent à quitter l'Espagne. Genséric saisit donc avec empressement l'occasion qui se présentait de mettre le pied en Afrique, au moyen de ses auxiliaires de race

(1) Voici ce passage important, après celui qui concerne l'entrée des Vandales; on voit qu'ils avaient des Goths parmi eux, et qu'il y en avait eu aussi dans l'armée de Boniface :.... divina voluntate et potestate provenit ut manus ingens, diversis lelis armata et bellis exercitata immanium hostium Vandalorum et Alanorum, commixlam secum habent Gollhorum gentem aliarumque diversarum gentium personas, ex Hispaniae partibus transmarinis navibus Africae influxisset et irruisset, universa que per loca Mauritaniarum, etiam ad alias nostras transiens provincias el regiones, omni saeviens crudelitate el atrocitate, cuncia quae potuit expoliatione, caedibus diversisque tormentis, incendiis, aliisque innumerabilibus infandis malis depopulata est, nulli sexui, nulli pariens aetali, nec ipsis Dei sacerdotibus vel ministris, nec ipsis ecclesiarum ornamentis, seu instrumentis, vel aedificiis...

....

accrevitque moeroribus et lamentationibus ejus sancti Augustini) ut etiam adhuc eo in suo statu consistente, ad eamdem Hipponensium Regiorum civitatem ab iisdem hostibus veniretur obsidendam. Quoniam

Gothe (1). Dire qu'il feignit un traité de partage avec Boniface, afin d'exciter le gouvernement impérial contre lui, et d'encourager les Vandales par l'espoir d'une invasion sans périls, ce ne serait que mettre en action le caractère de ce prince, dont la politique astucieuse nous est peinte en ces termes par Jornandès :

..... ad sollicitandas gentes providentissimus, semina contentionum jacere, odia miscere paratus.

Tout en poursuivant la guerre, le gouvernement impérial ne négligeait pas la voie des négociations. Saint-Augustin était un médiateur indiqué par sa haute influence dans l'église et son ancienne liaison avec Boniface. Aussi le comte Sigisvult, dès son arrivée à Carthage, lui dépêcha-t-il à cet effet un évêque arien, venu à la suite des troupes gothes (2).

Un autre personnage, le comte Darius, fut chargé d'une mission toute conciliatrice (3). Il se fit mettre en rapport avec Saint-Augustin par Urbanus, évêque de Sicca, qu'il avait vu dans la province proconsulaire, et par Novatus, qu'il trouva dans son diocèse de Sétif. La correspondance de Darius avec Saint-Augustin nous fait connaître qu'il y avait alors armistice et probabilité d'un arrangement définitif. Le fils de Darius, un jeune homme du nom de Vérimodus (4), qui se trouvait à ce

in ejus tunc defensione erat constitutus comes quidam Bonifacius cum Gotthorum quondam foederatus exercitu....Vita sancti Augustini.

(1) Il ne faut pas s'étonner de voir les Goths tantôt pour, tantôt contre les Vandales. Si la politique des princes Goths les portait vers l'empire, c'était contrairement aux sympathies de leur nation.

(2) Cet évèque, forcé d'entrer en controverse publique avec Saint-Augustin, sur les matières de religion, déclara ainsi, devant l'assemblée, le véritable but de son voyage: Ego non ob istam caussam in hanc civilatem adveni, ut altercationem proponam cum religione tua, sed missus a comile Segisvullo contemplatione pacis adveni.

(3) Cette mission de Darius semble tellement faire double emploi avec celle de Sigisvalt, qu'on est tenté de prendre ces deux comtes pour une seule et même personne. Le Nain et d'autres croient que Sigisvult était Goth, mais cette hypothèse ne repose sur aucun fondement sérieux.

(4) L'auteur d'une histoire des Vauda'es, faisant un amalgame de Procope avec Saint-Augustin, transforme ce Vérimodus, fils de Darius, en officier Vandale. C'est traduire un peu librement.

qu'il paraît, entre les mains de Boniface, avait été rendu à son père. C'était une preuve d'intention pacifique, et SaintAugustin insiste beaucoup sur cette circonstance; mais là encore il ne fait pas la plus petite allusion aux Vandales, non plus que Darius.

Ainsi, c'est un fait établi sur les indices les moins douteux, au moment où Boniface, appuyé de forces considérables, donnait les mains à une solution pacifique, qui paraissait assurée, les Vandales n'avaient pas encore mis le pied sur le territoire des provinces africaines.

A partir de ce moment-là, un nuage couvre la marche des événements; la lumière de Saint-Augustin nous fait défaut, et nous sommes réduits à ce renseignement de Procope, que Boniface repentant livra bataille aux Vandales, fut vaincu et obligé de se renfermer dans Hippône.

S'il est au monde un pays fait pour la guerre défensive, C'est bien l'Afrique septentrionale. La marche des Vandales depuis le détroit jusqu'à Hippône, sur un parcours de 300 licues en ligne droite et de 500 lieues par les contours du littoral, qu'ils ont peut-être suivis afin de rester en comniunication avec des navires chargés de vivres, est une des opérations les plus difficiles qui se puissent concevoir, pour une cohue parcille, en présence d'une armée ennemie. Boniface, 'ayant pas des forces supérieures, devait éviter de livrer bataille. En harcelant le flanc de l'ennemi, en le prévenant aux positions formidables qui se présentent à chaque pas, il empêchait sa marche et n'avait qu'à laisser agir la maladie et la faim. La position qu'il occupait avec son armée lui permettait de suivre immédiatement ce plan de campagne. En effet, dans cette phase de la guerre civile, tout lui faisait une loi de se tenir dans la région occidentale des provinces. Il obligeait ainsi les forces impériales à faire de longues marches pour venir à lui; en même temps il était en communication avec le point de débarquement de ses auxiliaires, et il empêchait

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