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de bachelier suffit pour modifier la situation d'un inculpé cité à la barre d'un tribunal, vis-à-vis du magistrat appelé à le juger.

Les prérogatives des lettres se manifestent surtout dans plusieurs grandes institutions dont je ne puis dire que quelques mots en ce moment. Les fonctions d'historiographe officiel de l'empire, qui furent en quelque sorte des fonctions héréditaires, depuis la dynastie des Tsin jusqu'à celle des Soung, donnèrent aux lettres qui en furent successivement investis le droit d'écrire avec une grande liberté de critique les annales des princes qui régnaient à leur époque. J'ai résumé dans une autre enceinte les principaux traits de l'histoire de cette institution, qui donne aux chroniques de la Chine un caractère de véracité et d'indépendance difficile à trouver ailleurs. J'ai cité l'histoire de cet historiographe qui, invité par l'empereur à se taire au sujet d'un des actes de son règne, se borna à répondre à l'autocrate que, non seulement il lui était impossible de passer sous silence ce qu'il désirait cacher à la postérité, mais que son devoir lui imposait encore de rapporter l'injonction de l'empereur d'avoir à se taire en cette circonstance.

Il ne suffisait pas cependant qu'il y eût un fonctionnaire chargé de faire connaître aux àges futurs les vertus et les défauts du prince, il fallait encore qu'un magistrat placé près de la personne de l'empereur fût appelé à lui adresser des représentations, lorsqu'il jugerait que le souverain s'était écarté de la droite ligne. Ainsi fut créée la haute dignité de Censeur Impérial. Le censeur avait le droit d'accuser publiquement l'empereur de manquer à ses devoirs; et, lorsque celui-ci abandonnait la sainte doctrine des sages rois de l'antiquité, il avait sans cesse présente à la mémoire, pour la lui répéter, cette parole du Livre sacré des Poésies Empereur, ne sois point la honte de tes aïeux (3)! Il est bien évident que, dans la longue durée de cette institution, plus d'un censeur se fit le plat courtisan du maître; mais il est juste de dire aussi que plus d'un n'hésita pas à accomplir son devoir au péril de sa vie. Un censeur, persuadé du sort qui l'attendait, un jour qu'il avait à faire des représentations contrairement à la volonté de l'empereur, fit conduire son cercueil à la porte du palais où il allait s'acquitter de sa charge). Un autre, torturé, écrivit avec son sang ce qu'il

(1) Le fondateur de cette dynastie, Tai-tsou (960 de notre ère), abolit la charge de grand historiographe et constitua, dans le sein de l'Académie des Han-lin, un tribunal chargé de composer l'histoire officielle de l'empire.

2. Dans mes conférences sur l'ethnographie de la race jaune, faites au Collège de France pendant les années 1869 et 1870. J'espère publier un jour ces conférences, qui ont été recueilles par la sténographie.

3

(Chi-king, section Ta-ya, partie 111, pièce 10, in fine.)

On rapporte que le fondateur de la dynastie des Ming, scandalisé de ce que Mencios avait qualifié de bandit le prince qui n'a point de respect pour les représentations de ses ministres, ordonna que ce philosophe fût dég adé et que sa tablette commémorative fût enlevée du panth -on des lettres. Il défendit, en outre, que qui que ce soit se perinit de lui faire des représentations au sujet de cette décision souveraine.

Un lettré nommé Tsien-tang se décida cependant à contrevenir à l'ordre exprès de l'emperear, et à s'exposer à la mort pour la mémoire du grand moraliste de Tsou. Il rédigea donc une requete, et, dans l'intention de la remettre à son prince, il se rendit au palais impérial, précédé de son cercueil.

Dès qu'il eut déclaré le motif de sa visite, un garde lui décocha une flèche pour le châtier de

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n'avait plus la force d'exprimer à haute voix. Une tyrannie éphémère a pu les condamner parfois au dernier supplice: elle a été impuissante à arracher de T'esprit chinois le droit qui appartient aux censeurs de blâmer au besoin les actes du souverain et de faire appeler devant leur tribunal les princes et les prolétaires devenus égaux, du moment où les uns ou les autres sont tombés sous le coup de leurs accusations.

En somme, sous le despotisme chinois, les disciples et successeurs de Confucius ont proclamé hautement et fait admettre par tous, comme principe fondamental de la politique, des formules qu'on croirait émanées de la démocratie moderne: Le Fils du Ciel est établi pour le bien et dans l'intérêt de l'empire, et non l'empire, pour le bien et dans l'intérêt du souverain (1). Le droit à l'insurrection est même énoncé clairement dans un passage du livre de Mencius 2).

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On doit assurément flétrir le despotisme des empereurs de Chine comme tous les autres despotismes; mais il serait injuste de croire qu'il est plus barbare que ne l'a été l'autocratie d'une foule de souverains européens. Il faut meme ajouter, à l'honneur de la civilisation chinoise, que la morale publique, la morale écrite, je pourrais dire la morale officielle, condamne ses abus et ses excès, avec une énergie et une persistance dignes à plus d'un égard de notre respect et de notre admiration.

en insolence. L'empereur, auquel on remit néanmoins la requête, la lut attentivement, ordonna que la blessure du courageux lettré fût soignée au palais même, et décida que Mencius serait ntégré dans les titres qu'il lui avait enlevés.

Plus d'un souverain chinois s'est fait gloire de faciliter aux censeurs le soin de lui adresser des remontrances. On cite un empereur qui parfumait les requêtes de ses ministres et se lavait les mains avant de les toucher, prétendant qu'il était bon de se préparer à recevoir des vérités qui ne sont pas toujours agréables à entendre; et, s'adressant à un de ses ministres, il lui disait : Menage mon peuple, mais ne crains pas de ne point me ménager moi-même. Il vaut mieux que jae cent fois à rougir que d'être cause qu'il coule une seule larme.">

L'histoire de Chine est remplie de faits de ce genre, qui formeraient aisément la matière d'un volume tout entier.

Youen-kien-loui-han, cité par Pauthier, Chine, t. II, p. 136.

Siouen-wang, roi de Tsi, adressa à Meng-tsze cette question: On rapporte que (le fondateur premier roi de la dynastie des Chang, 1783 avant notre ère) Tching-tang [détrôna et] envoya ea exil le roi Kie (de la dynastie des Hia), et que Wou-wang (fondateur de la dynastie des Tcheou, 1:34 avant notre ère) mit à mort Tcheou (dernier prince de la dynastie des Chang). Est-ce pos

Meng-tsze répondit: Dans l'histoire, cela est rapporté."

Le roi lui dit : - Est-il donc permis à un sujet de tuer son prince?" (E

PJ ).

(臣弒其謂

Meng-tsze répondit: «Celui qui vole [les droits de] l'humanité, on l'appelle un voleur; celui

vole la justice, on l'appelle un scélérat. Or, un voleur, un scélérat, n'est qu'un individu

ordinaire et nullement un prince]. J'ai entendu dire que [Tching-tang] avait tué un individu

pelė Tcheou; mais je n'ai jamais entendu dire qu'il ait tué son prince. »

之賊賊義者。謂之殘,殘賊之人,謂之 一夫.聞誅一夫 矣,未聞弑君也

M. LE PRÉSIDENT. La parole est à M. de Marsy, pour soumettre à l'approbation du Congrès un vou qu'il voudrait voir appuyer par l'assemblée.

INVENTAIRE DES MUSÉES ET COLLECTIONS ETHNOGRAPHIQUES DE LA FRANCE,

PAR M. LE COMTE DE MARSY.

Il existe, Messieurs, dans quelques grandes villes de France, dans quelques ports importants, des collections ethnographiques aussi précieuses par le nombre des objets qu'elles renferment que par leur variété ou leur richesse.

Dans beaucoup d'autres localités, ces objets provenant de contrées éloignées ne figurent qu'en petit nombre, tantôt perdus dans des musées d'archéologie ou d'histoire naturelle, tantôt relégués sur les armoires des bibliothèques; et n'est-ce même pas presque ainsi que cela a encore lieu à Paris, où les objets ethnographiques sont répartis entre le Musée de marine, le Muséum, le Musée d'artillerie, etc.

Dans ces collections provinciales de peu d'importance peuvent figurer parfois cependant des objets curieux, perdus ou ignorés, et qu'il serait bon de faire connaître.

Tel est l'objet de la proposition que j'ai l'honneur de soumettre au Congrès en lui demandant de prendre l'initiative d'une statistique de ces collections.

De cette manière, on saurait désormais le nombre, la valeur et l'importance des objets ethnographiques qui se trouvent dans nos collections publiques. et, si cela n'offrait pas de trop grandes difficultés, j'ajouterais même dans les collections particulières.

L'origine de beaucoup de ces objets est souvent inconnue ou mal définie, et généralement on manque en province des connaissances nécessaires pour apprécier et en même temps pour classer régulièrement ces collections d'un si haut intérêt et dont on commence seulement à apprécier dans notre pays l'importance au point de vue scientifique.

Je crois inutile d'ajouter que je verrais avec grand plaisir cette idée adoptée non seulement en France, mais dans les autres pays, et que c'est ainsi seulement qu'il serait possible d'arriver plus tard à la rédaction d'un Inventaire des richesses ethnographiques, qui serait un précieux auxiliaire pour ceux qui s'occupent de ces études.

Une fois les matériaux recueillis et contrôlés, il y aurait lieu d'étudier de quelle manière ils pourraient être utilisés, soit par la publication du catalogue des objets ethnographiques de chaque musée, soit, et c'est ce que je préférerais, par la publication de l'inventaire de tous les objets composant l'ethnographic d'un pays, inventaire dans lequel, à la suite de la mention de chaque objet, on indiquerait par des signes conventionnels l'endroit où il est déposé.

Bien que le Musée Vivenel de Compiègne n'offre au point de vue ethnographique qu'un petit nombre d'objets, je crois devoir donner l'exemple, dans le cas où ma proposition serait adoptée, en déposant sur le bureau du Congrès les pages du catalogue de cette collection qui en donne l'inventaire.

M. LE PRÉSIDENT. Je propose que le vœu de M. le comte de Marsy soit renvoyé à une commission spécialement chargée de l'examen des vœux soumis à Tapprobation du Congrès. Cette commission pourrait être nommée dans la séance de demain matin au palais des Tuileries. (Adhésion.)

M. LE PRÉSIDENT. Avant de lever la séance, je dois faire connaître à l'assemblée une communication qui vient de m'être remise par le Bureau du Congrès. Les séances qui seront tenues au Trocadéro seront principalement occupées la lecture résumée des mémoires étendus qui nous ont été adressés, et par plusieurs conférences que divers membres ont obtenu la permission de faire dans nos réunions plénières.

par

Dans les séances de sections qui sont tenues au palais des Tuileries, au contraire, l'ordre du jour restera ouvert à toutes les demandes spontanées de communications, et tous les membres du Congrès seront appelés à prendre part aux discussions qui pourront être engagées sur ces communications.

Les mémoires qui, par leur étendue ou par leur nature des questions dont ds traitent, ne pourraient être lus ni en séances plénières, ni en séances de section, seront renvoyés, après avoir été déposés sur votre bureau, à une commission spéciale chargée de les examiner et de choisir ceux qui pourront gurer dans le recueil de vos travaux.

Enfin il sera constitué une ou plusieurs sous-commissions pour s'occuper, nec les développements nécessaires, de certaines questions spéciales, qui ne sauraient être étudiées convenablement et dans des conditions de temps satisaisantes dans le petit nombre de séances réglementaires qui ont été annoncées dans votre programme.

M. VION (d'Amiens). Je demande, au nom de plusieurs membres du Congrès et au mien, qu'une commission soit immédiatement constituée pour l'étude de la quatorzième question de la Section II du programme, présentée par le Comité d'organisation et relative à la transcription de noms étrangers. (Appuyé.) M. LE PRÉSIDENT. Cette demande étant appuyée, je propose de composer rette commission de MM. Vion (d'Amiens), Alphonse Castaing, le Dr Legrand, Lesouef, Madier de Montjau, de Rosny, Gaultier de Claubry, Halévy, de Longpérier, Maspero, Oppert et le commandant de Villemereuil. (Adhésion.) Il est bien entendu que les membres du Congrès qui voudraient participer aux travaux de cette commission n'auront qu'à se faire inscrire au Bureau, pour être invités à la réunion.

Personne ne demande plus la parole? La séance est levée.

Le Secrétaire de la séance,

A. DULAURIER.

SÉANCE DU MARDI 16 JUILLET 1878.

PALAIS DES TUILERies (pavillon de flore).

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SOMMAIRE. Nomination d'une Commission des vœux.

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Statistique des langues : MM. DE ROSNY, MADIER DE MONTJAU, URECHIA, Me Clémence ROYER, M. Pascal DUPRAT; proposition au sujet de la transcription phonétique des langues étrangères: M. Viox; nomination d'une souscommission; nomination d'un rapporteur sur la question de la statistique des langues. Le droit d'asile MM. Pascal Duprat, de ROSNY, MADIER DE MONTJAU, le D' Gaëtan DELAUNAY, SILBERMANN; nomination d'un rapporteur; carte ethnographique des ilots ethniques: MM. le chevalier DA SILVA, ROCHET, Charles Lucas, Gaëtan Delaunay, le D' Ed. Landowski, Castaing, ROCHET, SILBERMANN, Pascal DUPRAT, DE ROSNY; nomination d'une Commission pour la publication de cartes des îlots ethniques. Les origines aryennes : Me Clémence ROYER, MM. Halévy, Henri MARTIN, Léon DE ROSNY, CASTAING, le D DALLY; la civilisation précolombienne : MM. Léon DE ROSAY, CASTAING; les origines péruviennes (période antéhistorique): MM. CASTAING, CANARETE, QUIROS; la race albanaise: MM. X. GAULTIER DE CLAUBRY, MADIER DE MONTJAU, DUCHINSKI (de Kiew), URECHIA.

La séance est ouverte à neuf heures et demie.

M. LE SECRÉTAIRE communique diverses propositions adressées au Bureau pour être soumises aux délibérations du Congrès. Ces lettres provoquent des discussions au sujet des limites à fixer aux travaux de l'assemblée.

Par mesure d'ordre, le Bureau propose que tous les vœux qui seront émis dans le cours des séances soient renvoyés, ipso facto, et sans qu'il soit besoin d'énonciation spéciale, à une Commission des voeux. La composition de la Commission est fixée ainsi qu'il suit: MM. MADIER DE MONTJAU, HALÉVy, De

LAURIER.

STATISTIQUE DES LANGUES.

M. LE SECRÉTAIRE dépose une lettre par laquelle M. d'Acqui demande au Congrès de s'associer à un vœu ainsi conçu :

Que tous les Gouvernements européens se mettent d'accord pour dresser une statistique générale de linguistique. »

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