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Il s'agissait donc bien là d'un idiot, par micro-encéphalie, avec mégaloglossie.

La ressemblance si complète que de son vivant il présentait avec l'enfant que vous avez sous les yeux m'autorise à admettre sans hésitation que le cœur et l'encéphale de ce dernier doivent avoir, avec les siens, une grande analogie au point de vue pathologique, et que le cerveau, en particulier, beaucoup moins lourd que celui d'un individu du même âge, est atteint d'une véritable atrophie de ses circonvolutions. Ces deux faits nous révèlent donc une certaine relation entre l'abaissement de l'intelligence et le volume exagéré de la langue. Mais ce n'est pas la première fois que cela a été signalé. Dans l'article Langue du DICTIONNAIRE ENCYCLOPÉDIQUE DES SCIENCES MÉDICALES, M. le professeur Bouisson dit avoir observé plusieurs cas où la glossomégalie coïncidait avec un arrêt de développement d'autres parties du corps; il cite notamment des anencéphales nés avec du prolapsus lingual.

Ne sait-on pas aussi que chez les crétins, ces êtres dont l'abaissement psychique est notoire, la lèvre inférieure est pendante; que la langue, très volumineuse, comme gonflée et gluante, pend souvent hors de la bouche, d'où s'échappe une salive visqueuse ?

Chez eux encore, la mâchoire inférieure, grosse et lourde, déborde la supérieure et imprime à la figure un caractère bestial. Les dents, très espacées, sont fréquemment cariées; et, après leur chute, celles de la première dentition sont rarement remplacées.

Est-il possible d'expliquer la relation que je viens de mettre en relief? Ici il faut sortir du domaine des faits pour aborder celui des hypothèses.

On peut d'abord se demander si l'état de la langue et celui de l'encéphale ne sont pas les effets d'une cause commune; et si cette dernière n'est pas l'affection organique du cœur constatée chez nos deux sujets. Je n'ai aucune tendance à accepter cette manière de voir, contre laquelle s'élèvent immédiatement de graves objections. Au contraire, j'admet

trais volontiers que c'est l'encéphale qui a été primitivement atteint, et que dans sa chute, il a causé les autres accidents. Moins puissant qu'il ne devait l'être, puisqu'il est amoindri d'un tiers, surtout dans sa partie la plus active, il a très imparfaitement gouverné les muscles, qui, livrés à eux-mêmes, se sont développés avec exubérance, mais dans leur partie brutale; je veux dire dans leur élément charnu proprement dit.

La langue, organe très musculaire, aurait subi le sort commun; et de plus étant, par sa participation à la parole, l'organe le plus expressif, le plus actif, le plus essentiel des manifestations psychiques, c'est elle qui a le plus souffert de cet abandon où l'a laissée le cerveau.

Discussion.

M. Mathias DUVAL. M. Parrot vient de vous exposer deux hypothèses qui peuvent expliquer l'état de cet enfant, mais. il n'a pas voulu choisir entre elles.

Je ne choisirai pas davantage, mais je rappellerai que récemment on a discuté sil'hypertrophie de la langue est due à l'hypertrophie des muscles de cet organe, ou à l'hypertrophie de ses vaisseaux lymphatiques. La première de ces deux hypothèses a été soutenue par M. Bouisson, la seconde par M. Virchow.

M. G. Variot a examiné au microscope un morceau de langue, réséqué sur un jeune sujet atteint de macroglossie, traité par l'acide osmique et il est arrivé à se convaincre de l'hypertrophie des vaisseaux lymphatiques.

Mais comment expliquer cette hypertrophie des vaisseaux lymphatiques? Il me semble qu'on peut la rattacher à la lésion cardiaque de cet enfant. Une lésion, en effet, qui amène une stase veineuse peut amener aussi un arrêt de la circulation dans les vaisseaux lymphatiques et amener ainsi leur développement.

M. PARROT. Je connaissais les travaux dont M. Mathias

Duval vient de nous parler, et si je n'en ai pas parlé, c'est parce que je craignais que cette discussion ne fût trop exclusivement médicale pour rentrer dans le cercle des études anthropologiques.

J'ai examiné la langue du sujet que j'ai observé il y a dix ans; il est vrai que l'étude histologique n'en a pas été faite, mais à la coupe on voyait facilement l'énorme développement des masses musculaires. Il est possible que les vaisseaux lymphatiques fussent plus considérables qu'à l'état normal, mais il m'est impossible de leur attribuer le développement si considérable de la langue.

M. GENILLER. M. Parrot vient de rattacher la grosseur de la langue de cet enfant et son mauvais développement musculaire à la faiblesse de son cerveau. Cependant beaucoup d'animaux ont à la fois un puissant développement musculaire et un petit cerveau. C'est ainsi que la tradition nous dépeint aussi les Hercules de tous les temps.

M. PARROT. C'est un fait assez général que les enfants idiots et en général ceux qui ont le cerveau mal conformé marchent très tard, et que leurs mouvements restent incomplets.

M. LUNIER. Il existe entre les crétins et les macroglosses de nombreuses différences. Il est vrai que les crétins ont souvent la langue épaisse. Mais leurs crânes ne sont pas petits; leur intelligence est plutôt engourdie qu'atrophiée; et la preuve en est que si l'on éloigne immédiatement après la naissance les enfants crétins du milieu où ils sont nés, ils peuvent recouvrer une intelligence, qui ne diffère de la moyenne que par quelques différences. On peut caractériser les crétins en disant qu'ils sont lourds de corps et d'esprit. Il n'en est malheureusement pas de même pour les idiots; leur infirmité est incurable.

Le crâne de macroglosse que nous présente M. Parrot diffère aussi de celui des crétins par un autre caractère. Chez certains crétins, en effet, l'apophyse basilaire est en quelque sorte relevée, en sorte qu'au lieu d'être oblique en bas et en

arrière, elle est presque horizontale. Sur ce crâne, je constate qu'elle est normale.

M. PARROT. M. Lunier vient d'établir un parallèle intéressant entre les macroglosses, les idiots et les crétins. Quoique les caractères différentiels qu'il a rappelés me fus sent connus, je n'ai pas eu à en faire mention. J'ai seulement remarqué que, chez les crétins comme chez les individus dont j'ai parlé, on constate à la fois une langue pâteuse et une intelligence lourde et peu développée.

Sar les applications de la photographie à l'anthropologie à propos de la photographic des Fuégiens du Jardin d'acclimatation;

PAR M. LE DOCTEUR GUSTAVE LE BON.

J'ai l'honneur d'offrir à la Société d'anthropologie un exemplaire de diverses photographies des Fuégiens du Jardin d'acclimatation, que j'ai exécutées avec le concours de mon ami M. Jeanmaire. Les sujets sont reproduits de face et de profil et portent sur le bras une échelle constituée par une bande de papier de 1 décimètre de longueur, ce qui permet de reconstituer les dimensions de toutes les parties du corps et d'effectuer par conséquent sur ces photographies les mêmes mensurations que l'on pourrait effectuer sur le vivant.

En raison de l'impossibilité d'obtenir de ces individus qu'ils restassent absolument immobiles, leur reproduction par les anciens procédés de photographie eût été extrêmement laborieuse. Un photographe de profession qui nous a précédé a dû revenir cinq jours de suite et recommencer ses opérations pendant six heures de suite chaque jour. Par les procédés secs au gélatino-bromure, nous avons pu opérer d'une façon instantanée, et par conséquent ne pas avoir à nous préoccuper de l'immobilité à donner aux sujets. Aussi nos sauvages ont-ils été surpris dans les poses les plus diverses, mais en même temps les plus naturelles. Deux enfants dont on voit la tête seule émerger de l'abri où ils se sont réfugiés

PHOTOGRAPHIE APPLIQUÉE A L'ANTHROPOLOGIE. 759 ont une expression de physionomie très curieuse. Un d'eux, que j'avais contrarié quelques instants auparavant, continue à pleurer.

Au point de vue esthétique, ces photographies ne valent peut-être pas celles des Nubiens, que j'avais exécutées l'année dernière. Mais au point de vue photographique leur netteté est complète. Nous avons pu les grandir considérablement et je compte vous en montrer une épreuve de grande dimension dans une prochaine séance.

J'appellerai, en terminant, l'attention de la Société sur l'importance des services que peuvent rendre à l'anthropologie les découvertes nouvelles récemment accomplies en photographie. Avec les vieux procédés humides ou les procédés secs si lents autrefois, la photographie en voyage était une opération fort peu pratique. Avec les nouveaux procédés secs au gélatino-bromure, elle est devenue d'une simplicité très grande. Le matériel que nous avions emporté pour photographier les Fuégiens avait le volume d'un fort dictionnaire. Celui que j'ai emporté dans l'un de mes derniers voyages et qui a subi sans encombre un parcours de 2,000 lieues tenait, avec tous ses accessoires, dans une petite valise à main. Il n'y a pas beaucoup d'appareils anthropométriques moins volumineux, et je ne connais pas de mesures anthropométriques qui puissent fournir autant de renseignements qu'une bonne photographie munie d'une échelle. Il serait donc à souhaiter que la Société d'anthropologie recommandât l'emploi de la photographie dans ses Instructions et même en fit l'objet d'une instruction spéciale. Cette instruction serait d'autant plus nécessaire, que la plupart des photographies qu'on trouve dans le commerce ne peuvent fournir de renseignements utiles au point de vue anthropologique, et qu'il suffirait d'un très petit nombre de règles pour les rendre, au contraire, fort utiles. J'ajouterai que les plaques préparées d'avance se conservent fort longtemps et que, par des procédés fort simples, on peut leur donner une sensibilité en quelque sorte indéfinie. Voici par exemple

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