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c'était effectivement celui qu'ils avaient cru un pauvre idiot. Alors Ibn-Toumert montra un feint étonnement et demanda à cet homme ce qui lui était arrivé. El-Ouancherîchi répondit : « Cette nuit, un ange venu du ciel m'a lavé le cœur et m'a en>> seigné le Coran, les traditions, le Mouatta [ouvrage de juris>> prudence composé par l'imam Malek] et autres livres. » Questionné sur ce qu'il avait appris, il récita, d'une très-belle voix, tous les passages du Coran que son maître lui demandait; il montra, de même, une parfaite connaissance du Mouatta et de plusieurs traités qui ont pour sujet le droit et la théologie dogmatique. Cette scène remplit les assistants d'admiration. Alors El-Quancherichi leur dit : « Dieu très-haut m'a communiqué » une lumière par laquelle je saurai distinguer les hommes. >> prédestinés au paradis d'avec les réprouvés, gens voués à » l'enfer. Il vous ordonne de faire mourir ceux-ci, et pour

prouver la vérité de mes paroles, il a fait descendre plusieurs >> anges dans le puits qui est à tel endroit, afin qu'ils portent » témoignage de ma véracité. » Aussitôt tout le monde se rendit au puits, en versant des larmes de componction, et Ibn-Toumert, s'étant placé auprès de la margelle, fit une prière et prononça ces paroles : « Anges de Dieu! Abou-Abd-Allah-el>> Ouancherichi dit-il la vérité? » Alors des individus qu'il avait fait secrètement cacher dans le puits, répondirent : « Oui, il est » véridique! » Ayant reçu ce témoignage, il se tourna vers le peuple et leur dit : « Ce puits est pur et saint, car les anges y >> sont descendus ; aussi, ferions -nous bien de le combler pour >> empêcher qu'il soit souillé par des ordures. » Tous s'empressèrent d'y jeter des pierres et de la terre, et bientôt, ils l'eurent complètement rempli. Alors Ibn-Toumert fit proclamer dans la montagne que tous les habitants eussent à se rassembler auprès du puits, afin de subir un triage. Quand tout le monde fut réuni, El-Ouancherichi plaça successivement à sa gauche tous les hommes dont il se méfiait et il ordonna aux autres de se

mettre à sa droite. Cette opération achevée, il indiqua les gens de gauche, en disant : « Voilà les réprouvés ! » Aussitôt, les élus se jetèrent sur ces malheureux et les lancèrent dans un préci

pice. De cette façon, Ibn-Toumert raffermit complètement son autorité et se débarrassa de sept mille individus qui lui avaient donné ombrage. Tel est le récit que m'ont fait plusieurs Maghrebins d'un grand mérite; mais d'autres m'ont raconté le même événement d'une manière différent. Selon eux, Ibn-Toumert remarqua qu'il y avait un grand nombre de malfaiteurs et de gens pervers parmi les habitants de la montagne. Il fit, en conséquence, venir les cheikhs de tribu et leur dit : « Vous ne saurez >> maintenir votre religion dans sa pureté et sa force sans obliger » le peuple à pratiquer le bien et à éviter le mal. Vous devez >> aussi expulser de chez vous les gens pervers. Recherchez donc >> tous les malfaiteurs qui pourront se trouver au milieu de » vous, et infligez-leur des amendes. S'ils vous écoutent, lais>> sez-les tranquilles; si non, écrivez leurs noms sur un papier >> et faites-le moi parvenir. » Il leur demanda ensuite une seconde série de listes, et puis une troisième. Quand il eut toutes ces pièces sous la main, il prit note des noms qui s'y trouvaient répétés et mit cette nouvelle liste entre les mains d'El-Ouancherîchi, surnommé El-Bechîr. Ayant alors convoqué une assemblée générale de toute la population, il ordonna à El-Ouancherîchi de passer les tribus en revue et de placer à sa gauche tous les individus dont les noms se trouvaient sur la liste. Quand cette opération fut terminée, Ibn-Toumert fit lier ces misérables et donna aux gens de chaque tribu l'ordre d'ôter la vie à ceux qui appartenaient à cette tribu. Ce fut là ce qu'on appela le jour du triage.

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Après s'être emparé de Fez et des lieux voisins, Abd-elMoumen se mit en route pour Maroc, capitale de l'empire almoravide et l'une des plus grandes cités du monde. Ishac, fils de Youçof, fils de Tachefin, souverain qui y régnait alors, était à peine sorti de l'enfance. En l'an 544 (1146-7), Abd-elMoumen prit position à l'Occident de la ville et dressa ses tentes

sur une colline où il fit aussitôt bâtir des maisons pour s'y loge: avec son armée. Il construisit aussi une mosquée et une tour très-élevée afin de pouvoir contempler les combats qui allaient se livrer, Pendant onze mois ses troupes eurent à repousser les fréquentes sorties des Almoravides et leur livrèrent plusieurs combats acharnés. Les vivres commencèrent enfin à manquer chez les assiégés et la famine ne tarda pas à s'y déclarer. Un certain jour, pendant qu'Abd-el-Moumen était assis sur le haut de son observatoire, la garnison fit une sortie et repoussa les Almohades jusque dans leur camp. Déjà elle en avait renversé une partie des remparts, et une foule d'individus étaient accourus de la ville pour prendre part au pillage, quand un roulement de tambour se fit entendre et un corps de troupes que le souverain almohade avait fait placer en embuscade, prit les assaillants en flanc et en fit un massacre affreux. Le reste s'enfuit vers la ville avec tant de précipitation qu'un monde énorme fut écrasé en essayant de passer par les portes. Comme le souverain almoravide était trop jeune pour s'occuper d'affaires, les grands cheikhs de la nation avaient pris en main l'administration de l'empire. L'un de ces chefs, nommé Abd-Allah-Ibn-Abi-Bekr, sortit alors de la ville pour faire sa soumisssion et obtenir d'Abdel-Moumen grâce et protection pour sa famille. Ce fut lui qui indiqua aux assiégeants les parties faibles des fortifications. Pendant que des catapultes, portées sur des tours, répandaient la destruction dans la ville, la famine décimait les habitants. Plus de cent mille individus de la basse classe avaient déjà succombé et leurs cadavres pourrissaient sur place, quand un corps de troupes européennes (Frendy) que le gouvernement almoravide avait pris à son service, se dégoûta des fatigues d'un si long siége et livra une des portes de la ville à Abd-el-Moumen pour obtenir sa grâce. Ce fut par cette porte, appelée Bab-Aghmat, que les Almohades firent irruption, l'épée en main. La ville fut prise de vive force; tout ce qui s'y trouvait fut massacré; l'émir Ishac et ses chefs almoravides furent arrachés du palais et traînés devant le vainqueur. Pendant qu'on décapitait ses officiers, Ishac versait des larmes d'effroi et priait Abd-el-Moumen

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de le laisser vivre. Sîr-Ibn-el-Haddj, émir d'une grande bravoure qui se trouvait à côté de lui, les mains liées derrière le dos, fut tellement indigné de ces marques de lâcheté qu'il cracha à la figure du prince et lui dit : « Est-ce que tu pleures pour » maman et papa! allons! sois ferme ! conduis-toi en homme! » Quant à celui-là [Abd-el-Moumen], c'est un impie et un » infidèle. » A peine eut-il prononcé ces mots que les Almohades se jetèrent sur lui et l'assommèrent à coups de bâton. Malgré son extrême jeunesse l'émir Ishac eut la tête tranchée. Ceci se passa en l'an 542 (1447-8). Pendant sept jours les Almohades s'occupèrent à massacrer et à piller; alors Abd-el-Moumen fit proclamer une amnistie et sauva de la fureur des troupes masmoudiennes ceux des habitants qui s'étaient tenus cachés jusqu'alors. « Ce sont des artisans, disait-il, des boutiquiers qui nous seront » utiles. » Le vainqueur choisit Maroc pour le siége de son empire, et après en avoir fait enlever les morts, il construisit dans la citadelle une grande mosquée d'une beauté et d'une solidité remarquables. Par son ordre on abattit la mosquée fondée par Youçof-Ibn-Tachefîn. Celui-ci avait fort mal agi envers [son ancien allié] Mohammed-Ibn-Abbad [roi de Séville; après l'avoir détrôné] il l'emprisonna, comme on le sait, et le traita d'une manière indigne. Ce fut, sans doute, à cause de ce méfait que Dieu livra la postérité de ce monarque à un homme qui devait en tirer vengeance outre mesure. Ainsi vont les choses humaines; fi donc du monde ! fi de lui! Béni soit le souverain dont le royaume ne finira jamais! Prions Dieu de couronner nos œuvres par le bonheur éternel et de faire que notre plus beau jour soit celui où nous comparaîtrons devant lui !

§ III.

PRISE DE DJERBA PAR LES SICILIENS.

En l'an 529 (1134-5), la flotte de Roger [II, roi de Sicile,] s'empara de Djerba, île dont les habitants se livraient à la piraterie, sans même respecter les navires appartenant aux sujets du sultan zîride.

§ IV. LES SICILIENS ATTAQUENT LA VILLE DE TRIFOLI ET DÉTRUISENT CELLE DE DJÎDJEL.

En l'an 537 (1443), une flotte, partie de Sicile, vint mettre le siége devant Tripoli, ville dont les habitants s'étaient toujours refusés de reconnaître l'autorité de l'émir El-Hacen [fils d'Ali, sultan zîride] et qui avaient confié à des cheikhs de la famille Matrouh le soin de les gouverner. Le roi de Sicile, voyant cet état de choses, y expédia des troupes par mer; elles y arrivèrent le 9 de Dou-'l-Hiddja (26 juin), et ayant pris position contre la place, elles commencèrent les hostilités, attachèrent des crochets à la muraille et y firent une brèche. Le lendemain, une foule d'Arabes vint au secours des habitants qui, se trouvant ainsi bien appuyés, sortirent contre l'ennemi et le mirent en pleine déroute. Un grand nombre des Francs fut tué et le reste se réfugia à bord de la flotte, après avoir abandonné ses' armes, ses bagages et ses montures. Rentrés en Sicile, les Francs renouvelèrent leurs armes, firent de nouveaux préparatifs et partirent encore pour l'Afrique. Ils se présentèrent, cette foisci, devant Djidjel dont les habitants s'enfuirent vers les campagnes et les montagnes voisines. Les Francs étant entrés dans la ville, la détruisirent complètement et mirent le feu au château de plaisance que l'émir Yahya-Ibn-el-Azîz s'était fait bâtir. Après cet exploit, ils s'en retournèrent chez eux.

§ V.

PRISE DE TRIPOLI PAR LES FRANCS.

Le 3 Moharrem 544 (16 juin 4146), une flotte immense, expédiée par Roger, roi de Sicile, parut devant Tripoli et débarqua des troupes. Les habitants, se voyant investis par terre et par mer, sortirent pour combattre l'ennemi. Les hostilités avaient duré trois jours, quand les Francs entendirent un grand tumulte dans la ville et, s'étant alors aperçus que la muraille était dégarnie, ils s'empressèrent d'y placer leurs échelles et de péné

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