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Le sol sur lequel devait s'élever la ville de Fez appartenait alors aux Beni-Borghos et aux Beni-'l-Khair, tribus zouaghiennes. Parmi les Beni-Borghos se trouvèrent des mages, des juifs et des chrétiens; les mages avaient même un temple du feu à Chibouba 1, endroit qui fait partie de la ville de Fez. Ces deux peuplades durent embrasser l'islamisme et en faire profession entre les mains d'Idris. Comme elles se livraient à des guerres intestines, leur nouveau maître chargea son secrétaire, Abou-'l-Hacen-Abdel-Mélek-el-Khazredji, de mettre un terme à ces désordres. Arrivé à l'emplacement de] Fez, Idrîs fit dresser ses tentes à l'endroit nommé Guerouaoua, et, en l'an 192 (807-8), il commença la construction de la ville, en traçant les fondations du quartier des Andalousiens (Adoua-t-el-Andelos). L'année suivante il bâtit le quartier des Cairouanides (Adoua-t-el-Caraouîïn) et y fixa son séjour. Il posa les fondations du Djamê-es-Chorefa (mosquée des chérifs). Le quartier des Cairouanides s'étendait depuis Bab-es-Silsela (porte de la chaîne) jusqu'à l'étang nommé Ghadir-Hamza et à l'endroit appelé El-Djorf (la berge).

Ayant raffermi son autorité comme khalife, il confia aux Auréba, soutiens de sa cause, les dignités les plus élevées de l'empire, et, en l'an 197 (812-3), il marcha contre les Masmouda et les réduisit à la soumission, après avoir occupé leurs

villes.

En l'an 199, il entreprit une expédition contre Tlemcen, et s'en étant rendu maître, il fit comme son père et reçut de Mohammed-Ibn-Khazer le serment d'obéissance. Pendant les trois années qu'il passa dans cette ville, il en fit rebâtir la mosquée et restaurer la chaire.

3

Après avoir soumis les Berbères et les Zenata, Idrîs se trouva assez puissant pour supprimer le Kharedjisme 3 [dans ses états] et enlever aux Abbacides tout le pays qui s'étend depuis le

• Variante du Cartas imprimé : Chilouma.

2 Variante du Cartas: Guedouara.

3 Voy. t. I, p. 203.

a

Sous-el Acsa jusqu'au Chelif. Ibrahîm -Ibn-el-Aghleb eut recours à la corruption, afin de protéger ses frontières, et, étant parvenu à gagner Behloul-Ibn-Abd-el-Ouahed, chef des Matghara, il le décida à repousser l'autorité d'Idris, à reconnaître la souveraineté de Haroun-er-Rechîd et à se rendre à Cairouan. Cette défection confirma les doutes qu'Idris entretenait au sujet de la fidélité des Berbères et le porta à demander la paix et à désarmer l'animosité qu'Ibrahîm lui témoignait. Bientôt les Aghlebides ne purent plus opposer une résistance efficace aux progrès des Idrîcides, et ils s'en excusèrent auprès des khalifes abbacides en leur représentant Idris comme un homme peu capable et en attaquant sa généalogie par des objections plus faibles que des toiles d'araignée.

En l'an 213 (828-9), Idris mourut, et son fils Mohammed le remplaça dans la souveraineté. D'après les conseils de sa grand'mère Kenza, ce jeune prince se décida à admettre ses frères au partage du royaume paternel : à El-Cacem il céda les villes de Tanger, Basra, Ceuta, Tetouan et Hadjer-en-Nesr avec leurs dépendances et leurs tribus; à Omar il donna Tîkîças et Tergha avec le commandement des tribus sanhajiennes et ghomarites établies dans le territoire qui sépare ces deux villes; il accorda à Dawoud le pays des Hoouara 1, Teçoul, Tèza et le gouvernement des tribus miknaciennes et ghaïathides qui occupaient la région intermé– diaire; il remit à Abd-Allah Aghmat, Anfis, les montagnes habitées par les Masmouda, le pays des Lamta et le reste du Sous-el-Acsa; il livra à Yahya les villes d'Azîla et d'El-Araïch avec leurs dépendances et le pays des Ouergha; il nomma Eiça au gouvernement des villes de Chella, Salé, Azemmor, Temsna et des tribus voisines; enfin, il remit à Hamza la ville et les dépendances d'Oulili. Ses autres frères, étant encore en bas âge, restèrent sous sa tutelle et sous celle de sa grand'mère. Tlemcen devint l'apanage du fils de Soleiman-Ibn-Abd-Allah [frère d'Idris I].

Dans le Maghreb, les Hoouara occupaient le pays situé entre le Mîna et le Habra.

Quelque temps après ce partage des états idricides, Eïça se mit en revolte à Azemmor dans l'espoir d'ôter le trône à son frère Mohammed. Celui-ci invita El-Cacem à marcher contre le rebelle et, sur son refus, il confia cette mission à son frère Omar. Eïça succomba, et Omar obtint de Mohammed l'autorisation de s'approprier les états du vaincu. Il reçut alors de Mohammed l'ordre de marcher contre El-Cacem dont la désobéissance méritait d'être punie; et, par suite d'une nouvelle victoire, il en occupa les états avec la permission de son chef. De cette manière, il se vit maître de tout le Rîf maritime depuis Tîkîças jusqu'au pays des Ghomara, de là, jusqu'à Ceuta, de Ceuta à Tanger, et puis toute la région qui borde la grande mer, ainsi qu'Azîla, Salé, Azemmor et le pays des Temsna. El-Cacem se jeta alors dans la dévotion et bâtit un hermitage (ribat) sur la côte, près d'Azîla, dans lequel il resta jusqu'à sa mort. Omar continua à servir son frère Mohammed avec dévouement et, en l'an 220 (835), pendant que celui-ci régnait encore, il mourut à Fedj-el-Férès, dans le pays des Sanhadja et fut enterré à Fez. Cet Omar fut l'ancêtre des Hammoudites, famille qui succéda, en Espagne, à celle des Oméïades. Ses états passèrent à son fils Ali, d'après l'ordre de l'émir Mohammed.

Mohammed [fils d'Idris II] mourut en l'an 224 (836), sept mois après la mort de son frère Omar. Dans sa dernière maladie il désigna pour successeur son fils Ali, qui était alors âgé de neuf ans. Les Auréba et autres Berbères, amis et serviteurs de la dynastie, s'empressèrent de prêter serment au jeune prince et de maintenir ses droits pendant sa minorité. Il mourut en l'an 234 (848-9), après un règne prospère de treize ans.

Yahya, autre fils de Mohammed et successeur désigné d'Ali, se chargea de l'autorité suprême. Pendant son règne, le terri

Dans la table géographique du Ier volume, nous avons indiqué deux régions du Maghreb-el-Acsa qui portaient le nom de pays des Sanhadja. Celle dont il est question ici était située au nord de Fez, dans le pays des Ghomara.

toire et la puissance de l'empire prirent un grand accroissement. De beaux monuments attestent encore l'excellence de l'administration de Yahya : à ses soins éclairés Fez dut la construction de ses bains, de ses faubourgs et de ses caravansérails; aussi était-elle devenue une ville très-florissante dans laquelle refluaient jusqu'aux habitants des villes éloignées.

Au nombre des personnes qui vinrent alors s'établir à Fez, on cite une femme de Cairouan nommée Omm-el-Benîn (mère des fils), fille de Mohammed-el-Fihri (de la tribu arabe de Coreich). Selon Ibn-Abi-Zerâ1, elle s'appelait Fatema et appartenait à une tribu berbère, les Hoouara. Cette femme, ayant hérité de grandes richesses, à la mort de ses proches, résolut de dépenser sa fortune en œuvres de bienfaisance, et fonda la grande mosquée du quartier des Cairouanides. Ce fut en l'an 245 (859) qu'elle fit poser les fondements de cet édifice dans un champ inculte dont Idris lui avait fait la concession. Dans la cour de la mosquée, elle fit creuser un puits pour l'usage du public: on dirait même que la sollicitude des souverains de Fez pour le bien-être du peuple leur avait été inspirée par la conduite d'Omm-el-Benîn. La mosquée d'Idris étant devenue trop petite pour le nombre toujours croissant des fidèles, on fit par la suite célébrer l'office du vendredi dans celle du quartier des Cairouanides. En l'an 345 (956-7), environ un siècle après l'érection de cet édifice, Ahmed-Ibn-Said-Ibn-Bekr en fit construire le minaret, comme on le voit par une inscription gravée sur pierre et placée au coin oriental de la tour. El-Mansour-Ibn-Abi-Amer fit aggrandir cette mosquée et bâtir un aqueduc pour fournir de l'eau à une fontaine située auprès de la porte d'El-Hofat. Les derniers souverains almoravides firent aussi des additions [à cette mosquée], et leur exemple fut suivi par les souverains almohades et mérinides; tous ont continué à l'embellir, à l'entretenir avec un soin particulier, comme on le peut voir dans les ouvrages qui retracent l'histoire du Maghreb.

1 Voy. p. 65, note 3 de ce volume.

Yahya mourut l'an...... ', et eut pour successeur son fils Yahya. Le nouveau souverain s'abandonna à son mauvais naturel et osa porter atteinte à l'honneur des femmes. Par un de ces méfaits il donna un si grand scandale 2 que le peuple l'expulsa du quartier des Cairouanides. Il alla se cacher dans le quartier des Andalousiens où il mourut de chagrin dans la même nuit. Cette révolte fut suscitée par Abd-er-Rahman-Ibn-Abi-Sehl-elDjodami, et elle eut pour résultat l'enlèvement de l'empire aux descendants de Mohammed-Ibn-Idris.

La nouvelle de la mort de Yahya fut portée à son cousin AliIbn-Omar, souverain du Rîf: de pressantes invitations lui arrivèrent en même temps de la part des grands officiers de l'empire, tant arabes que berbères, ainsi que des affranchis et clients de la maison royale. Cédant à leurs instances, Ali se rendit à Fez, reçut d'eux le serment de fidélité et réunit sous son autorité toutes les provinces du Maghreb.

Quelque temps après cet événement, un partisan des doctrines hérétiques des Sofrites, nommé Abd-er-Rezzac, leva l'étendard de la révolte dans les montagnes de Mediouna, d'où il marcha sur Fez et s'empara du quartier des Andalousiens. Ali-IbnOmar s'enfuit chez les Auréba; mais, le peuple du quartier des Cairouanides résista vigoureusement au rebelle, après avoir proclamé Yahya, surnommé Es-Saram 3, fils d'El-Cacem, fils d'Idrîs. Ce prince vint à leur secours avec une armée, livra plusieurs batailles à Abd-er-Rezzac, et parvint à l'expulser du quartier des Cairouanides. Il donna le commandement de cette partie de la ville à Thâleba-Ibn-Mohareb-Ibn-Abd-Allah, natif du faubourg (rebed) de Cordoue et descendant du célèbre émir Mohelleb-Ibn-Abi-Sofra . Thâleba eut pour successeur son fils

1 Nous avons cherché inutilement la date de la mort de Yahya dans le Cartas et dans le Meçalek d'El-Bekri.

2 Il pénétra dans une salle de bain et fit violence à une juive.

3 Variante El-Adam.

Voy. t. 1, p. 386, note 1.

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