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Constantine et de percevoir l'impôt dans ce territoire. D'après ses instructions, il devait rester aux ordres du chambellan lequel se tiendrait dans Bougie.

Depuis l'échec que les Mérinides avaient éprouvé à Constantine, on y retenait prisonnier un fils du sultan Abou-'l-Hacen, nommé Abou-Omar-Tachefîn et surnommé par ses compatriotes El-Medjnoun (le possédé), parce qu'il avait l'esprit dérangé. Dans sa prison il recevait des émirs de la ville une pension pour son entretien, et il obtenait de leur bonté et indulgence toutes les gratifications qu'il pouvait désirer. Quand le corps de cavalerie mérinide se fut mis en marche pour se porter à Beni-Baurar, sur la frontière de la province de Bougie, en menaçant ainsi les habitants de Constantine des fléaux de la guerre et d'un siége prochain, l'émir Abou-Zeid fit proclamer sultan ce pauvre insensé, dans l'espoir que les officiers mérinides à Bougie et les troupes envoyées à Beni-Baurar, se rallieraient autour du fils de leur ancien souverain. Son calcul fut justifié par l'événement : quand ils apprireat qu'Abou-Omar-Tachefîn avait été revêtu des insignes de la souveraineté, ils vinrent en grand nombre se joindre à lui. Nebil, chambellan de l'émir Abou-Zeid, se mit alors en campagne et pénétra dans la province de Bougie à la tête des nomades qui habitaient les plaines autour de Bône, et des partisans que son maître conservait encore parmi les Sedouîkich et les Douaouida.

Le chambellan, gouverneur de Bougie, envoya aussitôt chercher les autres Douaouida dans leurs quartiers d'hiver et, les ayant fait passer du Désert dans le Tell, il se concerta avec leur chef Abou-Dinar-[Yacoub-] Ibn-Ali-Ibn-Ahmed, et organisa une expédition contre Constantine. Dans le mois de Rebiâ 755 (avril-mai 1354), il quitta Bougie, força Abou-Omar-Tachefin et ses partisans à rentrer dans Constantine, et se porta, avec les Mérinides, les Douaouida et les Sedoufkich, à la rencontre de Nebil. Ayant mis en déroute l'armée de cet officier, il balaya le

Voy. ci-devant, p. 37.

territoire de Bône, dont il enleva tous les troupeaux, et de là il marcha sur Constantine. Pendant une semaine il tint cette forteresse investie; mais, ensuite, il leva son camp et se rendit à Mila. Abou-Dinar-Yacoub parvint alors à négocier une trève entre les deux parties, en faisant livrer Abou-Omar-el-Medjnoun. Ce prince fut envoyé à son frère Abou-Einan qui le fit enfermer dans une chambre sous bonne garde.

Ibn-Abi-Amr se mit alors à parcourir la province de Bougie et, arrivé à El-Mecîla, il s'en fit payer les impôts et repartit pour le siége de son gouvernement. Il Ꭹ mourut au commencement de l'an 756 (janv.-fév. 1355), et il eut pour successeur Abd-Allah-Ibn-Ali-Ibn-Said de la tribu de Yaban 1.

Le nouveau gouverneur étant arrivé du Maghreb, alla tenter la conquête de Constantine, mais il y rencontra une si vigoureuse résistance quil dut rebrousser chemin. L'année suivante, c'est-à-dire en 757, il reparut devant Constantine et dressa ses catapultes. Le siége durait encore quand on répandit, dans le camp, le faux bruit de la mort du sultan Abou-Einan. A cette nouvelle, les troupes se dispersèrent et leur général dut incendier ses machines de guerre et reprendre la route de Bougie.

Nous aurons bientôt à raconter la défaite du corps de cavalerie établi à Beni-Baurar, sous les ordres de Mouça-Ibn-Ibrahimel-Irniani, commandant des Sedoufkich.

LA VILLE DE Tripoli TOMBE AU POUVOIR DES CHRÉTIENS ET PASSE ENSUITE SOUS LE COMMANDEMENT D'IBN-MEKKI.

Sous les dynasties précédentes, la ville de Tripoli était une forteresse importante dont ont eut toujours soin d'assurer la défense, [vu sa situation exposée;] car elle s'élève dans une plaine, et aucune tribu n'habitait les régions arides qui l'avoisinent. Sa possession avait souvent excité la cupidité des chré

Variante: Baban.

tiens de la Sicile, et [George, fils de] Michel d'Antioche, amiral du roi Roger, était parvenu à l'enlever aux Beni-Khazroun', vers l'époque où cette dynastie maghraouienne et la dynastie sanhadjienne [des Zirides] allaient succomber. Reprise par Ibn-Matrouh, la ville de Tripoli passa sous la domination des Almohades et tomba plus tard au pouvoir d'Ibn-Thabet. Vers l'an 750 (1349-50), ou quelque temps après, le fils d'Ibn-Thabet y exerça le commandement. Sous l'administration de ce chef, Tripoli ne reconnaissait plus l'autorité de la capitale, bien que la prière publique s'y fît toujours au nom du souverain almohade [hafside].

Les négociants génois qui avaient l'habitude de s'y rendre, découvrirent alors les endroits faibles de la place et formèrent le projet de la surprendre. En l'an 755 (1354), ils vinrent y débarquer, comme ils en étaient convenus, et se répandirent dans les rues pour suivre leurs occupations ordinaires; puis, au milieu d'une nuit obscure, ils montèrent sur les remparts et devinrent maîtres de la ville. Revêtus de leurs armes, ils poussèrent leur cri de guerre; et les habitants, réveillés en sursaut et voyant leurs fortifications au pouvoir de l'ennemi, ne pensèrent qu'à la fuite. Leur gouverneur, Thabet-Ibn-Omar, courut se refugier au milieu des Djouari, population qui campait alors dans le territoire tripolitain. Les Djouari sont une fraction des Debbab, Arabes soleimides. Au lieu de la protection qu'il espérait trouver parmi ces nomades, il rencontra la mort, et cela parce qu'il avait versé, à une autre époque, le sang d'un individu de cette tribu. Ses frères parvinrent à atteindre Alexandrie.

Les chrétiens mirent la ville au pillage, et ils avaient déjà rempli leurs navires de meubles, d'effets de toute nature, d'objets de prix et de captifs quand Abou-'l-Abbas-Ibn-Mekki, seigneur de Cabes, espéra racheter la ville et entra en pourparlers avec eux. Comme ils lui en demandaient cinquante mille pièces d'or,

1 Dans un autre chapitre de ce volume on trouvera l'histoire de cette famille.

il envoya emprunter cette somme à Abou-Einan, sultan du Maghreb, en promettant de lui laisser le mérite d'avoir fait une si bonne action. Pressé ensuite par les chrétiens qui s'impatientaient d'attendre, il réunit tous ses trésors, et, pour compléter la somme, il s'adressa aux habitants de Cabes, d'El-Hamma et du Djerîd. Le désir de plaire à Dieu et de faire une bonne œuvre décida ces gens charitables à lui fournir ce qui lai manquait. Ayant racheté la ville, il y établit son autorité et en fit disparaître les souillures de l'infidélité.

Quelque temps après, le sultan Abou-Einan lui envoya de l'argent pour rembourser ce qu'il avait emprunté, en déclarant qu'il lui laisserait tout l'honneur du rachat. La plupart de ceux qui avaient prêté leur argent à Ibn-Mekki en refusèrent le remboursement, de sorte que presque toute la somme resta entre les mains d'Ibn-Mekki. Ce chef continua à gouverner Tripoli jusqu'à

sa mort.

INAUGURATION DU SULTAN ABOU-'L-ABBAS A CONSTANTINE.
COMMENCEMENT DE SON REGNE FORTUNE.

L'émir Abou-Zeid avait été désigné par son grand-père, le khalife Abou-Yahya-Abou-Bekr, comme héritier du trône en cas de la mort du son père, l'émir Abou-Abd-Allah. Établi à Constantine, il réunit autour de lui tous ses frères, et, dans le nombre, Abou-'l-Abbas[-Ahmed], maintenant émir des Croyants et chef unique de la dynastie hafside. Depuis le moment où AbouYahya-Abou-Bekr cessa de vivre, tout le monde regardait ces princes comme les véritables héritiers du khalifat: et l'on assure qu'Abou-Hadi, l'ascète le plus illustre de l'époque et un de ces saints personnages auxquels la divinité se plaît à dévoiler l'avenir, s'était écrié un jour, en les voyant tous venir demander sa bénédiction, selon l'usage suivi par leurs ancêtres à l'égard des hommes favorisés de Dieu : « La faveur divine se manifestera au >> milieu de ces dix jeunes gens. » Les devins et les astrologues avaient également annoncé l'envoi de cette grâce, et, d'après

certains indices et signes qu'ils découvrirent en Abou-'l-Abbas, ils crurent reconnaître qu'entre ces dix frères la fortune et la puissance lui étaient spécialement réservés.

En l'an 753 (1352), Abou-Zeid leva le siége de Tunis et partit pour Cafsa. Ayant alors appris que le sultan Abou-Einan s'était avancé jusqu'à la frontière de Bougie, il prit la résolution de rentrer à Constantine, sa capitale. A cette occasion ses alliés arabes, les Mohelhel, ainsi que ses autres partisans, et même IbnMekki, seigneur de Cabes, le prièrent de mettre à leur tête un de ses frères, afin d'avoir un chef ostensible sous les ordres duquel ils pourraient reprendre le siége de Tunis. Il accueillit cette demande favorablement et leur envoya son frère Abou-'l-Abbas. Ce prince, accompagné de son frère germain, Abou-Yahya[-Zékérïa], passa de cette manière chez les Arabes, et alla se fixer à Cabes.

Quand Mohammed-Ibn-Thabet, seigneur de Tripoli, envoya une flotte contre Djerba, [qui appartenait alors à Ibn-Mekki], l'émir Abou-'l-Abbas, accompagné de ses gens de guerre, passa à gué le canal qui sépare cette île du continent, fit lever le siége du château et força les troupes d'Ibn-Thabet à s'éloigner. Rentré à Cabes, il rassembla les Aulad-Mohelhel, marcha sur Tunis et y mit le siége; mais, voyant, au bout de quelques jours, que la ville pourrait résister très-longtemps, il passa dans les provinces djeridiennes.

En l'an 755 (1354), il envoya son frère, Abou-Yahya-Zékérïa, auprès du sultan [Abou-Einan] pour solliciter son appui [dans la guerre qu'il faisait au gouvernement de Tunis]. Ce jeune prince fut accueilli avec une haute distinction, et reçut un cadeau magnifique et la promesse d'un prompt secours. Ayant alors repris la route de son pays, il visita, en passant, le chambellan Ibn-AbiAmr, qui venait de lever le siége de Constantine. Parvenu enfin jusqu'au lieu de sa résidence, à l'autre extrêmité de l'Ifrikïa, il

Voy. ci-devant p. 45.
Voy. p. 46 de ce volume.

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