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Mouça-Ibn-Abi-'l-Afïa, encouragé par la mort du Mehdi, rentra dans le territoire du Maghreb, s'empara de toute cette région et donna le gouvernement de Fez à Ahmed-Ibn-BekrIbn-Sehl-el-Djodami. Il s'occupait à assiéger les Idrîcides, princes du Rif et de Ghomara, quand Meiçour l'eunuque arriva de Cairouan, à la tête d'une armée, enleva Fez à El-Djodami, se mit à la poursuite d'Ibn-Abi-'l-Afïa,. lequel lui livra plusieurs combats dans un desquels il perdit son fils El-Bouri. Les Idrîcides du Rîf réunirent leurs forces à celles de Meiçour et l'aidèrent à à chasser du pays leur ennemi commun.

En l'an 324 (935-6), Meiçour reprit la route de Cairouan, après avoir accordé les états d'Ibn-Abi-'l-Afïa et les contrées voisines à El-Cacem-Ibn-Mohammed-Ibn-Idrîs, surnommé Kennoun, qui était alors chef de la famille des Idrîcides. Ce prince devint ainsi seigneur de tout le Maghreb, excepté Fez, et y fit reconnaître la souveraineté des Fatemides. Une flotte nombreuse, commandée par Yacoub-Ibn-Ishac, fut alors expédiée par Abou-'l-Cacem contre les côtes du pays des Francs. Cette armée répandit la dévastation dans ces contrées, enleva beaucoup de prisonniers, assiégea la ville de Gênes et s'en empara par une faveur spéciale de Dieu. Elle passa ensuite auprès de Sardaigne, île appartenant aux Francs, et y tua beaucoup de monde ; puis elle se dirigea vers les côtes de la Syrie et brûla les navires qui se trouvaient dans le port de Cæsarée 2.

4 Voici en quels termes Ibn-el-Athîr rend compte de cette expédition: «En l'an 323, El-Caïm fit partir une flotte de l'Afrique pour attaquer le pays des Francs. Ses troupes s'emparèrent de la ville de Gênes et opérérent ensuite une descente en Sardaigne où elles atta quèrent les habitants et brûlèrent un grand nombre de navires. Ensuite, la flotte alla incendier les navires qui se trouvaient dans les parages de la Calabre, et elle en revint saine et sauve. »

2 Cette ville, située sur la côte de la Syrie, à douze lieues S. S. O. de St-Jean-d'Acre, appartenait alors à Ikhchîd-Ibn-Tordj, souverain de l'Egypte. A la place de Cæsarée (Caisaria), le manuscrit porte Carkicia, nom d'une ville située sur l'Euphrate.

T. II.

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Abou-'l-Cacem envoya ensuite son affranchi Zeidan contre l'Egypte. Cet officier se rendit maître d'Alexandrie; mais il dut s'en éloigner et rentrer en Maghreb pour éviter une rencontre avec les troupes qu'El-Ikhchîd [souverain de ce pays] expédia contre lui du Vieux-Caire.

§ VIII. HISTOIRE D'ABOU-YEZÎD LE KHAREDJITE.

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Abou-Yezid-Makhled était fils de Keidad, natif de Castilia. Il naquit dans le Soudan, où son père avait l'habitude de se rendre pour faire le commerce, et il passa sa jeunesse à Tonzer, où il apprit le Coran et fréquenta les Nekkarïa, secte kharedjite que l'on désigne aussi par le nom de Sofrite. Séduit par leurs doctrines, il en devint le prosélyte; puis, il alla tenir une école d'enfants à Tèhert. Quand le Chrite marcha sur Sidjilmessa pour délivrer le Mehdi, Abou-Yezîd se retira à Takîous et y passa son temps à enseigner. Entraîné par le fanatisme, il déclara infidèles les personnes qui professaient la religion [orthodoxe]; décidant que, par ce fait même, elles avaient encouru la peine de mort et la confiscation de leurs biens. Il posa aussi en principe l'obligation de se révolter contre le sultan.

En l'an 316 (928-9), il se mit à faire la police des mœurs et travailla à supprimer les abus qui portaient scandale à la religion. De cette manière il gagna taut de partisans qu'à la mort du Mehdi, il se vit assez fort pour lever l'étendard de la révolte. Ayant pris un âne pour monture et adopté le titre de Cheikh des vrais croyants, il se montra aux environs de l'Auras dont il somma les populations d'embrasser la cause d'En-Nacer, le prince oméïade qui régnait en Espagne. Secondé par une foule de Berbères appartenant à diverses tribus, il défit le gouverneur de Baghaïa qui était sorti pour l'attaquer, et alla de suite mettre le siége devant cette ville. N'ayant pu réussir dans cette tentative, il décampa et fit passer un écrit aux Beni-Ouacìn, tribu berbère de la province de Castilïa, leur ordonnant de faire le siége de Touzer. On obéit à cette injonction, de sorte qu'en l'an

333 (944-5), Touzer fut complètement bloquée. Il reçut ensuite à composition les villes de Tebessa et de Mermadjenna. Ayant pris pour monture un âne gris dont un homme de Mermadjenna lui avait fait cadeau, il fut dès-lors appelé l'Homme à l'âne. Son habillement consistait en une chemise de laine, assez courte et à manches étroites. Ayant dispersé l'armée ketamienne établie près de Laribus, il pilla cette ville, la livra aux flammes et massacra toutes les personnes qui s'étaient réfugiées dans la grande mosquée. Un détachement de ses troupes s'empara de Shiba et en tua le gouverneur.

Quand El-Caïm eut connaissance de cette révolte, il se borna à dire « Sans aucun doute, cet homme s'avancera jusqu'au mosalla d'El-Mehdïa. » Il expédia alors des troupes à Cairouan et à Raccada; il chargea Meiçour, l'eunuque, d'aller combattre le rebelle et dépêcha vers Bédja un corps d'armée sous les ordres de son affranchi Bochra. Abou-Yézîd attaqua celui-ci, l'obligea à se jeter dans Tunis, et mit le feu à Bédja après l'avoir livré au pillage. Les hommes et les enfants furent massacrés par son ordre, et les femmes réduites en esclavage. Se voyant soutenu par de nombreuses tribus berbères, il adopta l'usage des tentes, des drapeaux et de tout l'appareil de la guerre. Une armée que Bochra fit partir de Tunis pour le combattre fut mise en déroute; Bochra lui-même s'enfuit de cette ville, et les habitants délaissés firent leur soumission au vainqueur et reçurent de lui un nouveau gouverneur. El-Caïm ayant alors appris qu'AbouYézîd marchait sur Cairouan, ordonna à Bochra d'aller le combattre et lui recommanda de se faire précéder par des éclaireurs. Le chef insurgé avait pris la même précaution, mais son armée fut mise en déroute, laissant les corps de quatre mille cavaliers sur le champ de bataille. Les prisonniers faits dans cette journée furent emmenés à El-Mehdia et mis à mort.

Abou-Yézid vint encore attaquer les troupes ketamiennes, en refoula l'avant-garde dans Cairouan, et, soutenu par une armée de cent mille hommes, cerna la ville de Raccada. Khalil-IbnIshac, gouverneur de la place, s'était attendu à voir Meiçour arriver quand l'ennemi fit son apparition, et, bien qu'il se trouvât

sans espoir de secours, il céda aux instances des habitants et tenta de faire lever le siége. Ses troupes marchèrent au combat, mais elles furent repoussées dans la ville et la laissèrent enlever d'assaut. Tout y fut livré au feu et au pillage. Dans le mois de Safer 333 (sept.-oct. 944), Cairouan fut prise et pillée par Aïoubez-Zouîli, l'un des chefs des insurgés, et Khalil, le gouverneur, auquel on avait promis la vie sauve, fut mis à mort par l'ordre d'Abou-Yézîd. Les cheikhs de la ville allèrent implorer la merci du conquérant et obtinrent leur grâce et la cessation du pillage. Meiçour partit enfin pour attaquer les rebelles, et ayant su, par une lettre d'El-Caïm, que les Beni-Kemlan, tribu qui l'accompagnait, entretenaient une correspondance avec l'ennemi, il les chassa de son camp. Abou-Yezîd, auxquel cette peuplade vint aussitôt se rallier, marcha contre les troupes de son adversaire et les força à prendre la fuite. Les Beni-Kemlan tuèrent Meiçoar et portèrent sa tête en triomphe à travers les rues de Cairouan.

Pendant qu'Abou-Yezid faisait annoncer partout la nouvelle de cette victoire, El-Caïm se disposait à soutenir un siége [dans El-Mehdia], et faisait entourer la ville d'un retranchement. Abou-Yezid passa soixante-dix jours dans le camp de Meiçour, afin de laisser à ses détachements le temps de parcourir les contrées voisines et d'y faire du butin. Un de ces corps prit d'assaut la ville de Souça 1, et les autres portèrent la devastation dans toutes les parties de l'Ifrîkïa. Un petit nombre de malheureux, échappés à ce grand désastre, arriva dans Cairouan, sans habits ni chaussures; le reste étant mort de faim et de soif. ElCaïm appela alors à son secours les chefs des Ketama et d'autres tribus berbères, et il pria Zîri-Ibn-Menad, prince des Sanhadja, de lui amener des renforts. Ces chefs étaient encore à faire leurs préparatifs pour se mettre en marche quand Abou-Yezîd, ayant deviné leur intention, alla prendre position à cinq parasangs (lieues) d'El-Mehdïa. Les Ketama ayant su qu'il avait dis

• Comme on lit plus loin qu'Abou-Yezîd assiégea la ville de Souça après sa tentative contre El-Mehdïa, il faut supposer que la première de ces forteresses avait été évacuée par lui et réoccupée par les Fatemides.

persé ses troupes dans les environs pour y porter le ravage, résolurent de l'attaquer à l'improviste. On était alors vers la fin de Djomada premier (49 janvier 945). Abou-Yezîd envoya à leur rencontre son fils El-Fadl qui venait de lui amener des renforts de Cairouan, et il le suivit de près avec le reste de l'armée. Les Ketamiens avaient déjà mis les troupes d'El-Fadl en pleine déroute, quand ils virent arriver l'armée d'Abou-Yezîd. A cet aspect ils prirent la fuite sans attendre le combat et se réfugièrent dans El-Mehdia. Abou-Yezid s'avança jusqu'à la porte de la ville [de Zouila] et recula ensuite, afin d'en commencer l'attaque quelques jours plus tard. Arrivé alors au bord du retranchement, il en chassa le corps de nègres qui le défendait et, longeant la muraille, il suivit [le bord de] la mer et entra dans le mosalla qui était à une portée de flèche d'El-Mehdïa. Les Berbères qui attaquaient la ville du côté opposé venaient de reculer devant une sortie faite par les Ketama; Zîri-Ibn-Menad allait arriver, aussi, Abou-Yezid résolut-il de passer devant la porte d'ElMehdia afin de tourner Zîri et les Ketamiens. Les habitants de Zouîla l'ayant reconnu, coururent aux armes pour le repousser et le mirent dans un péril d'où il eut de la peine à se tirer. Il regagna enfin son ancienne position et y trouva ses soldats aux prises avec le corps de nègres1. Son arrivée redoubla le courage de ses partisans et amena la retraite de leurs adversaires. Il s'éloigna alors à une petite distance de la ville et se fortifia dans un camp retranché. Une foule immense de Berbères lui étant arrivée du pays des Nefouça, du Zab et du fond du Maghreb, il serra la ville de près, et, vers la fin du mois de Djomada [20], il livra un assaut avec tant d'acharnement qu'il faillit y perdre la vie. D'après son ordre écrit, le gouverneur de Cairouan lui envoya toutes ses troupes disponibles. Vers la fin de Redjeb

'La ville d'El-Mehdia occupait l'extrêmité d'une péninsule; le faubourg de Zouila en était situé à l'occident, sur la terre ferme, et touchait des deux côtés à la mer; entre la ville et le faubourg, se trouvait un terrain découvert, large d'une ou deux portées de flèche, et, près d'une extrêmité de ce terrain, se voyait un local qu'on avait disposé pour servir de mosalla. (Voy. t. 1, p. 372.)

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