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peuple, conduite nuisible, disait-il, au respect dû à la souveraineté, il lui répondit avec beaucoup de douceur et de modération. Frappé, cependant, du morne silence avec lequel son ancien serviteur accueillit ses paroles, il sentit éveiller ses soupçons, et, dès ce moment, il resta aussi mal disposé pour Abou-Abd-Allah que celui-ci l'était pour lui. Abou-Abd-Allah se mit alors à semer les germes de mécontentement parmi les Ketama et à les exciter contre le Mehdi « qui, disait-il, s'était approprié les trésors d'lkdjan sans leur en avoir accordé la moindre partie, et qui pourrait bien être ni l'imam impeccable, ni la personne pour laquelle ils avaient tant travaillé à soutenir les droits.» Cette déclaration troubla la confiance des Ketama, de sorte qu'ils chargèrent leur grand cheikh d'exposer au Mehdi les doutes qu'ils avaient conçus et de lui demander un miracle en preuve du caractère sacré qu'il s'attribuait. Le Mehdi y répondit en faisant mourir l'envoyé et, par cet acte, il fortifia tellement leurs soupçons qu'ils prirent la résolution de l'assassiner. Abou-Zaki-Temmam et plusieurs autres grands personnages de la tribu de Ketama entrèrent dans le complot. Pour déjouer cette conjuration, le Mehdi eut recours à la ruse chacun de ces chefs reçut sa nomination au gouvernement d'une ville, et Abou-Zaki eut l'ordre d'aller prendre le commandement à Tripoli. Makînoun, le commandant de cette forteresse, avait déjà reçu ses instructions et, aussitôt qu'AbouZaki y fut arrivé, il lui ôta la vie. Ibn-el-Cadîm, qui avait autrefois servi Ziadet-Allah et que l'on soupçonnait d'avoir trempé dans le complot, fut aussi mis à mort et toutes les richesses qu'il tenait de son ancien maître passèrent entre les mains du Mehdi. Voulant alors se défaire d'Abou-Abd-Allah et d'Abou-'lAbbas, ce prince autorisa les frères Arouba-Ibn-Youçof et Hobacha-Ibn-Youçof de les faire mourir. Dans le mois de Djomada 298 (janvier 914), ils rencontrèrent, auprès du château, les deux hommes qui devaient être leurs victimes; Arouba se jeta sur eux et quand le Chîï lui cria de s'arrêter, il répondit : <«< Celui à qui tu ncus a ordonné d'obéir nous commande de te tuer. >> On dit que le Mehdi lui-même présida à l'enterrement

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du Chiï et qu'il invoqua sur lui la miséricorde divine, déclarant, en même temps, que ce malheureux s'était laissé égarer par les conseils de son frère, Abou-'l-Abbas. Comme la mort de ces deux missionnaires excita une révolte parmi leurs partisans, le Mehdi monta à cheval et réussit à calmer les esprits. Une lutte sanglante, qui éclata ensuite entre les Ketamiens et les habitants de Cairouan, fut calmée de même par le Mehdi qui se rendit au milieu d'eux à cheval. A cette occasion, l'ordre fut donné aux missionnaires de ne plus faire des prosélytes parmi les gens de la basse classe et de mettre à mort plusieurs membres de la famille aghlebide qui étaient rentrés à Raccada après la fuite de Ziadet-Allah'.

§ VI. SUITE DE L'HISTOIRE DU mehdi.

Le Mehdi désigna son fils, Abou-'l-Cacem-Nizar, comme successeur au trône, après s'être débarrassé du Chîï, et il accorda le gouvernement de Barca et des contrées qui en dépendent à Hobacha-Ibn-Youçof. Ambeça, frère de Hobacha, reçut le gonvernement du Maghreb et alla s'installer à Baghaïa. La ville de Tehert, dont le Mehdi s'empara ensuite, fut placée sous le commandement de Dowas-Ibn-Soulat-el-Lehici. Plusieurs tribus ketamiennes ayant pris les armes pour venger la mort du Chîï, mirent à leur tête un enfant auquel ils donnèrent le titre de Mehdi; ils prétendirent même qu'il était prophète et que le Chîï

1 Pour d'autres détails sur la chute des Aghlebides et les exploits d'Abou-Abd-Allah-es-Chîï, voy. le chapitre sur l'origine de la dynastie des Fatimis, dans l'Histoire des Druzes, de M. de Sacy, t. 1, p. CCXLVII et suiv.; ainsi que The Establishment of the fatemite Dynasty in Africa, par M. J. Nicholson, Tubingue, 1840; traduit sur le manuscrit arabe de la bibliothèque de Gotha, n° 261. Il faudrait aussi consulter le texte arabe du Baïan, cuvrage dont le savant éditeur, M. Dozy, devrait bien nous donnner la traduction. - Pour l'histoire des Arabes de la Sicile, on a un long chapitre d'En-Noweiri, traduit en français, par J.-J.-A. Caussin. Cette traduction aurait besoin d'être revue et corrigée à l'aide du texte arabe.

vivait encore. Abou-'l-Cacem, fils du Mehdi, marcha contre eux, les tailla en pièces, tua l'enfant et revint auprès de son père dont il venait ainsi d'exécuter les ordres.

En l'an 300 (942-3), le peuple de Tripoli se révolta et chassa son gouverneur, Makînoun. Abou-'l-Cacem partit pour le châtier, d'après les ordres de son père, et, à la suite d'un long siége, il s'empara de la ville, passa au fil de l'épée une partie des habitants et frappa les survivants d'une contribution de trois cent mille pièces d'or.

L'année suivante, le Mehdi plaça ce même prince à la tête d'un corps de troupes ketamiennes et l'envoya contre la ville d'Alexandrie, en Egypte, pendant qu'une flotte de deux cents navires, parfaitement approvisionnée et commandée par Hobacha-Ibn-Youçof, partit pour la même destination. Abou-'lCacem soumit d'abord le pays de Barca et se rendit ensuite maître d'Alexandrie et de la province d'E!-Faiyoum; mais, à la suite de plusieurs combats qu'il eut à soutenir contre les troupes que le khalife El-Moctader y avait envoyées de Baghdad, sous la conduite de ses généraux, Tikîn et Mounès l'eunuque, il se vit forcé d'évacuer l'Egypte et de rentrer en Maghreb. Hobacha arriva avec sa flotte à Alexandrie, en l'an 202, et prit possession de la ville. Il marcha ensuite sur le Vieux-Caire; mais, ayant perdu sept mille hommes dans le dernier des nombreux combats que Mounès lui livra, il s'empressa de repartir pour le Maghreb où il fut mis à mort par l'ordre du Mehdi. Cet acte de sévérité porta Arouba, frère de Hobacha, à lever l'étendard de la révolte et à rassembler une nombreuse armée composée de Ketamiens et d'autres peuples berbères. Ghaleb, affranchi du Mehdi, marcha contre les insurgés et les dispersa, après leur avoir tué beaucoup de monde. Dans cette bataille, Arouba et ses cousins. perdirent la vie.

En l'an 304 (946-7), les habitants de la Sicile arrêtèrent leur gouverneur, Ali-Ibn-Amr, et choisirent pour chef Ahmed-IbnCorhob. Comme cet officier n'eut rien de plus pressé que de proclamer, dans cette île, la souveraineté du khalife abbacide El-Moctader, le Mehdi donna à El-Hacen-Ibn-Abi-Khanzîr le

commandement d'une flotte et l'envoya contre les rebelles. Cette flotte fut dispersée par celle d'Ibn-Corhob, et son chef périt dans le conflit. Quelque temps après, les Siciliens rétablirent l'ancien ordre de choses et envoyèrent Ibn-Corhob prisonnier en Ifrîkïa, où le Mehdi le fit immoler sur le tombeau d'Ibn-AbiKhanzîr. Un nouveau gouvernenr, nommé Ali-Ibn-Mouça-IbnAhmed, leur arriva alors de la part du Mehdi, amenant avec lui un corps de troupes ketamiennes.

La perspective du danger auquel l'empire serait exposé dans le cas où les Kharedjites [de l'Ifrîkïa] prendraient les armes, décida le Mehdi à fonder, sur le bord de la mer, une ville qui pût servir d'asile aux membres de sa famille. L'on rapporte, à ce sujet, qu'il prononça les paroles suivantes : « Je bâtirai cette >> ville pour que les Fatemides puissent s'y réfugier pendant >> une courte durée de temps. Il me semble les y voir, ainsi que >> l'endroit, en dehors des murailles, où l'homme à l'âne1 viendra » s'arrêter. » Il se rendit lui-même sur la côte afin de choisir un emplacement pour sa nouvelle capitale, et, après avoir visité Tunis et Carthage, il vint à une péninsule ayant la forme d'une main avec le poignet : ce fut là qu'il fonda la ville qui devait être le siége du gouvernement. Une forte muraille, garnie de portes en fer, l'entourait de tous les côtés, et chaque battant de porte pesait cent quintaux. On commença les travaux vers la fin de l'an 303 (juin 916). Quand les murailles furent élevées, le Mehdi y monta et lança une flèche du côté de l'occident. Faisant alors remarquer le lieu où elle tomba, il dit : « Voilà l'endroit >> auquel parviendra l'homme à l'âne », voulant ainsi désigner Abou-Yezîd. Il fit tailler dans la colline un arsenal qui pouvait contenir cent galères (chini); des citernes et des silos y furent creusés par son ordre; des maisons et des palais s'y élevèrent et tout ce travail fut achevé en l'an 306 (918-9). Après avoir mené à terme cette entreprise, il s'écria : « Je suis maintenant >> tranquille sur le sort des Fatemides ! »

1 Il sera question de ce personnage plus loin.

L'année suivante, son fils, Abou-'l-Cacem mena une seconde expédition en Egypte. S'étant encore emparé d'Alexandrie, il se rendit maître de Djîza, d'Ochmounein et d'une partie considérable du Saîd [le Haute-Egypte]. Une lettre par laquelle il somma les habitants de la Mecque de faire leur soumission, demeura sans réponse, et bientôt il eut à combattre les troupes que l'eunuque Mounès, général d'El-Moctader, amena [de la Syrie] contre lui. Une suite de revers, la peste et le manque de vivres, réduisirent tellement son armée qu'il lui fallut opérer une prompte retraite en Ifrîkïa. Une flotte de quatre-vingts vaisseaux commandée par l'eunuque Soleiman et par Yacoub-el-Ketami, officiers d'une grande bravoure, se dirigeait d'El-Mehdïa à Alexandrie pour secourir Abou-'l-Cacem, quand elle fut rencontrée et brûlée, auprès de Rosette, par une escadre de vingtcinq vaisseaux envoyée de Tarsus pour la combattre. Soleiman et Yacoub tombèrent au pouvoir de l'ennemi: le premier mourut en captivité, mais Yacoub parvint à s'échapper de la prison de Baghdad et à rentrer en Ifrîkïa.

il

En l'an 308 (920-4), le Mehdi envoya en Maghreb MessalaIbn-Habbous accompagné de plusieurs chefs miknaciens. Messala attaqua le prince idricide, Yahya-Ibn-Omar-Ibn-Idris-IbnIdris, qui régnait à Fez, et le força à reconnaître la souveraineté du Mehdi. Ayant alors confié le gouvernement du Maghreb à Mouça-Ibn-Abi-'l-Afïa, un des principaux chefs des Miknaça, reprit le chemin de l'lfrîkïa. L'année suivante, Messala envahit le Maghreb une seconde fois et le soumit en entier; puis, cédant aux invitations de son voisin, Mouça-Ibn-Abi-'l-Afïa, il attaqua Yahya-Ibn-Idris, seigneur de Fez, le fit prisonnier, en ajouta les états à ceux de Mouça et mit fin à la puissance des Idricides dans le Maghreb. Ces princes, chassés du royaume de leurs pères, se réfugièrent dans le Rîf et la province de Ghomara, où ils fondèrent un nouvel empire, comme nous le raconterons ailleurs en parlant de la tribu des Ghomara 1. Les BeniHammoud, ces descendants d'Ali qui s'emparèrent de Cordoue

Voy. p. 145 de ce volume et t. 1, p. 266.

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