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ribus à la tète de deux cent mille hommes, et, ayant combattu Ibn-el-Aghleb pendant plusieurs jours, il le força à évacuer le camp où il s'était retranché et à prendre la route de Cairouan. Laribus fut livré à la fureur du soldat et le vainqueur s'était déjà avancé jusqu'à Camouda quand Ziadet-Allah quitta Raccada en toute hâte pour se rendre en Orient. Les palais de Raccada furent aussitôt mis au pillage, et les habitants de la ville coururent se refugier, les uns dans Cairouan et les autres dans Souça. Ibrahim-Ibn-Abi-'l-Aghleb étant arrivé sur ces entrefaites à Cairouan, se rendit à la maison du gouvernement, convoqua les notables et les invita à le reconnaître comme souverain. Il leur demanda aussi des secours d'argent; mais, voyant qu'ils lui faisaient des difficultés et que la populace commençait à s'émeuter contre lui, il prit la fuite et courut rejoindre ZîadetAllah.

Abou-Abd-Allah ayant appris le départ des Aghlebides, quitta Sebîba, où il se trouvait alors, et marcha sur Raccada. Son avant-garde, sous les ordres d'Arouba-Ibn-Youçof et de HacenIbn-Abi Khanzîr, entra dans la place en proclamant une amnistie générale, et, en effet, un accueil plein de bienveillance fut accordé par le Chir aux habitants de cette ville et à ceux de Cairouan. Dans le mois de Redjeb 296 (avril 909), Abou-AbdAllah fit son entrée à Raccada, et, descendu au palais, il donna l'ordre de retirer son frère, Abou-l-Abbas, de la prison où on le retenait. Par une amnistie qu'il fit alors proclamer, il ramena tous les fuyards qui avaient abandonné Cairouan. Ensuite, il envoya de nouveaux gouverneurs dans les provinces de l'empire et parvint à en expulser les malfaiteurs qui y entretenait le dé-sordre. Il partagea les maisons de la ville entre ses Ketamiens, fit réunir et mettre sous bonne garde les trésors et les armes Ziadet-Allah y avait laissés et prit sous sa protection toutes les jeunes esclaves que ce prince n'avait pu emmener. Quand

que

1 Ce chiffre est évidemment exagéré.

Ibn Khaldoun aurait dû ajouter que, peu de temps après la prise de Raccada, le Chîï occupa Cairouan.

les prédicateurs vinrent lui demander quel était le souverain au nom duquel ils devaient faire la prière, il ne leur désigna personne; mais, d'après ses ordres, on frappa des monnaies portant, sur une des faces, les mots Hoddja-'t-Allah (la preuve de Dieu), et, sur l'autre, tefarrac ada Ollah (que les ennemis de Dieu soient dispersés). Sur les armes, il fit inscrire les mots fi scbil Illah (dans la voie de Dieu), et il marqua les chevaux des mots el-molk lillah (le royaume appartient à Dieu). H partit alors pour Sidjilmessa, afin de délivrer Obeid-Allah; mais, avant de se mettre en marche, il désigna son frère pour gouverner l'Ifrîkïa pendant son absence et il plaça auprès de lui le chef addjanien, Abou-Zaki-Temmam-Ibn-Temîm. Aussitôt qu'il se fut mis en campagne, une agitation extrême se répandit par tout le Maghreb les Zenata s'étant empressés d'abandonner le pays qu'il devait traverser et d'offrir leur soumission. Elica-Ibn-Midrar, souverain de Sidjilmessa, auquel il envoya une députation dans l'espoir de l'amener à un accomodement, en fit mourir tous les membres et sortit de sa ville pour livrer bataille. Quand les deux armées se trouvèrent en présence, celle d'Elîçâ recula dans le plus grand désordre et il prit lui-même la fuite, suivi d'un petit nombre d'amis. Le lendemain, les habitants de Sidjilmessa allèrent au-devant du Chiï et l'accompagnèrent jusqu'à la prison où le Mehdi et son fils étaient enfermés. Les en ayant fait sortir, il prêta hommage au Mehdi et les fit monter à cheval; puis, il marcha à pied devant eux, ainsi que tous les chefs de tribu, et les conduisit ainsi au camp, en versant des larmes de joie. « Le voici, s'écria-t-il, le voici, votre seigneur!» Eliçà tomba entre les mains des personnes envoyées à sa poursuite et fut mis à mort par l'ordre du chîïte.

Après avoir passé quarante jours à Sidjilmessa, les vainqueurs reprirent le chemin de l'Ifrîkïa, et le Chîï, en passant par Ikdjan, remit au Mehdi tous les trésors déposés dans cette ville. Ils arrivèrent à Raccada dans le mois de Rebiâ, 297 (déc. 909), et les habitants de Cairouan s'y rendirent aussi pour prêter le serment de fidélité au Mehdi. Ce prince étant ainsi parvenu au pouvoir, envoya des agents dans toutes les parties de l'empire.

pour sommer les populations à reconnaître son autorité. Le petit nombre qui se refusa à cette invitation fut passé au fil de l'épée. Les principaux personnages parmi les Ketama recurent en récompense de leurs services, des sommes d'argent, de belles esclaves et des commandements importants. Les bureaux du gouvernement s'organisèrent, les impôts commencèrent à rentrer régulièrement et, dans toutes les villes, s'installèrent des gouverneurs et d'autres fonctionnaires. Makinoun-Ibn-Debara-elAddjani fut nommé au gouvernement de Tripoli, et El-HacenIbn-Ahmed Ibn-Abi-Khanzîr à celui de la Sicile.

Débarqué à Mazera le 10 de Dou-'l-Hiddja 297 (août 910), Ibn-Abi-Khanzîr confia à son frère le gouvernement de Girgente et à Ishac-Ibn-el-Minhel l'office de cadi. En l'an 298, il traversa la mer et, débarqué sur le bord septentrional [du détroit de Messine], il établit son camp dans la Calabre, province du pays des Francs. Après y avoir répandu la dévastation, il revint en Sicile; mais, par ses actes tyranniques, il indisposa tellement les habitants [musulmans] de cette île qu'ils se jetèrent sur lui et le mirent en prison. El-Mehdi accueillit favorablement la lettre de justification qu'ils lui adressèrent et, ayant agréé leurs excuses, il remplaça Ibn-Abi-Khanzir par Ali-Ibn-Omar-el-Beloui. Le nouveau gouverneur arriva à sa destination vers la fin de l'année 299.

§ V. MORT D'ABOU-ABD-ALLAH-ES-CHIT ET DE SON FRÈRE.

Obeid-Allah le Mehdi, se voyant maître de l'Ifrîkïa, résista à l'influence que les deux frères Abou-Abd-Allah-es-Chîï et Abou'l-Abbas voulaient exercer sur son esprit; il ne leur permit même pas de se mêler de ses affaires. Par cette preuve de fermeté, il les blessa si profondément qu'Abou-'l-Abbas ne put dissimuler son mécontentement, malgré les conseils de son frère, et que celui-ci finit par en faire de même. Le Mehdi n'en voulut d'abord rien croire, et Abou-Abd-Allah lui ayant ensuite adressé des remontrances au sujet de sa trop grande familiarité avec le

peuple, conduite nuisible, disait-il, au respect dû à la souveraineté, il lui répondit avec beaucoup de douceur et de modération. Frappé, cependant, du morne silence avec lequel son ancien serviteur accueillit ses paroles, il sentit éveiller ses soupçons, et, dès ce moment, il resta aussi mal disposé pour Abou-Abd-Allah que celui-ci l'était pour lui. Abou-Abd-Allah se mit alors à semer les germes de mécontentement parmi les Ketama et à les exciter contre le Mehdi « qui, disait-il, s'était approprié les trésors d'Ikdjan sans leur en avoir accordé la moindre partie, et qui pourrait bien être ni l'imam impeccable, ni la personne pour laquelle ils avaient tant travaillé à soutenir les droits.» Cette déclaration troubla la confiance des Ketama, de sorte qu'ils chargèrent leur grand cheikh d'exposer au Mehdi les doutes qu'ils avaient conçus et de lui demander un miracle en preuve du caractère sacré qu'il s'attribuait. Le Mehdi y répondit en faisant mourir l'envoyé et, par cet acte, il fortifia tellement leurs soupçons qu'ils prirent la résolution de l'assassiner. Abou-Zaki-Temmam et plusieurs autres grands personnages de la tribu de Ketama entrèrent dans le complot. Pour déjouer cette conjuration, le Mehdi eut recours à la ruse chacun de ces chefs reçut sa nomination au gouvernement d'une ville, et Abou-Zaki eut l'ordre d'aller prendre le commandement à Tripoli. Makînoun, le commandant de cette forteresse, avait déjà reçu ses instructions et, aussitôt qu'AbouZaki y fut arrivé, il lui ôta la vie. Ibn-el-Cadîm, qui avait autrefois servi Ziadet-Allah et que l'on soupçonnait d'avoir trempé dans le complot, fut aussi mis à mort et toutes les richesses qu'il tenait de son ancien maître passèrent entre les mains du Mehdi. Voulant alors se défaire d'Abou-Abd-Allah et d'Abou-'lAbbas, ce prince autorisa les frères Arouba-Ibn-Youçof et Hobacha-Ibn-Youçof de les faire mourir. Dans le mois de Djomada 298 (janvier 914), ils rencontrèrent, auprès du château, les deux hommes qui devaient être leurs victimes; Arouba se jeta sur eux et quand le Chîï lui cria de s'arrêter, il répondit : « Celui à qui tu nous a ordonné d'obéir nous commande de te » tuer. »> On dit que le Mehdi lui-même présida à l'enterrement

du Chîï et qu'il invoqua sur lui la miséricorde divine, déclarant, en même temps, que ce malheureux s'était laissé égarer par les conseils de son frère, Abou-'l-Abbas. Comme la mort de ces deux missionnaires excita une révolte parmi leurs partisans, le Mehdi monta à cheval et réussit à calmer les esprits. Une lutte sanglante, qui éclata ensuite entre les Ketamiens et les habitants de Cairouan, fut calmée de même par le Mehdi qui se rendit au milieu d'eux à cheval. A cette occasion, l'ordre fut donné aux missionnaires de ne plus faire des prosélytes parmi les gens de la basse classe et de mettre à mort plusieurs membres de la famille aghlebide qui étaient rentrés à Baccada après la fuite de Ziadet-Allah'.

§ VI. SUITE DE L'Histoire du mendi.

Le Mehdi désigna son fils, Abou-'l-Cacem-Nizar, comme successeur au trône, après s'être débarrassé du Chiï, et il accorda le gouvernement de Barca et des contrées qui en dépendent à Hobacha-Ibn-Youçof. Ambeça, frère de Hobacha, reçut le gonvernement du Maghreb et alla s'installer à Baghaïa. La ville de Tèhert, dont le Mehdi s'empara ensuite, fut placée sous le commandement de Dowas-lbn-Soulat-el-Lehici. Plusieurs tribus ketamiennes ayant pris les armes pour venger la mort du Chiï, mirent à leur tête un enfant auquel ils donnèrent le titre de Mehdi; ils prétendirent même qu'il était prophète et que le Chîï

1 Pour d'autres détails sur la chute des Aghlebides et les exploits d'Abou-Abd-Allah-es-Chiï, voy. le chapitre sur l'origine de la dynastie des Fatimis, dans l'Histoire des Druzes, de M. de Sacy, t. I, p. CCXLVII et suiv.; ainsi que The Establishment of the fatemite Dynasty in Africa, par M. J. Nicholson, Tubingue, 1840; traduit sur le manuscrit arabe de la bibliothèque de Gotha, n° 261. Il faudrait aussi consulter le texte arabe du Baïan, cuvrage dont le savant éditeur, M. Dozy, devrait bien nous donnner la traduction. - Pour l'histoire des Arabes de la Sicile, on a un long chapitre d'En-Noweiri, traduit en français, par J.-J.-A. Caussin. Cette traduction aurait besoin d'être revue et corrigée à l'aide du texte arabe.

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