Images de page
PDF
ePub

pire. Ce fut vers cette époque qu'Abou-Abd-Allah annonça la prochaine apparition du Mehdi, et sa parole ne tarda pas à s'accomplir.

§ IV.

LE MEHDI ARRIVE EN MAGHREB ET EST EMPRISONNÉ A SIDJILMESSA. -IL RECOUVRE LA LIBERTÉ ET S'EMPARE DU

POUVOIR.

Mohammed-el-Habib étant près de mourir, légua l'imamat à son fils Obeid-Allah, et lui adressa ces paroles : « C'est toi qui » es le Mehdi; après ma mort tu dois te réfugier dans un pays >> lointain où tu auras à subir de rudes épreuves. » Quand la nouvelle de cet événement parvint aux missionnaires qui se trouvaient en Ifrikïa et en Yémen, Abou-Abd-Allah chargea quelques Ketamiens d'aller annoncer au Mehdi le triomphe que Dieu leur avait accordé et de l'informer que l'on désirait sa présence en Ifrikïa. Le bruit de l'apparition du Mehdi s'étant répandu partout, le khalife abbacide, El-Moktefi, ordonna des perquisitions pour le découvrir. Obeid-Allah s'enfuit alors de la Syrie et passa en Irac, d'où il se rendit en Egypte avec son fils Abou-'l-Cacem, qui était encore très-jeune, et avec quelques amis dévoués, accompagnés de leurs serviteurs. Il s'était d'abord proposé d'aller en Yémen; mais, ayant appris qu'Ali-Ibn-elFadl, le successeur d'Ibn-Haucheb, s'était très-mal conduit dans ce pays, il renonça à son projet et résolut d'aller trouver AbouAbd-Allah dans le Maghreb. En quittant le Vieux-Caire, il se dirigea sur Alexandrie, d'où il se remit en route avec ses amis déguisés eu marchands. Eïça-en-Noucheri, gouverneur du Caire, avait déjà reçu une dépêche d'El-Moktefi, renfermant le signalement du fugitif et l'ordre d'aposter des agents partout, afin de l'arrêter. Il parvint effectivement à découvrir les voyageurs, mais ne pouvant constater leur identité malgré le soin qu'il avait mis à les interroger, il jugea convenable de les relâcher. El-Mehdi partit sur-le-champ et marcha à grandes journées jusqu'à Tripoli. Il avait emporté dans son sac de voyage plusieurs

livres de Melahem qu'il tenait de ses ancêtres; mais, pendant la route, ces volumes lui furent dérobés. L'on dit que son fils Abou-'l-Cacem se les fit rendre à Barca, lors de son expédition contre l'Egypte. Arrivé à Tripoli, il s'y arrêta et laissa partir les marchands qui composaient la caravane. Il envoya toutefois avec eux Abou-'l-Abbas, frère d'Abou-Abd-Allah-es-Chîï, auquel il avait donné l'ordre d'aller joindre ce missionnaire dans le pays des Ketama. Abou-'l-Abbas voulut s'y rendre, en passant par Cairouan; mais, comme Ziadet-Allah l'aghlebide était déjà prévenu des mouvements du Mehdi et faisait subir à tous les voyageurs un interrogatoire sévère, il fut arrêté et questionné comme les autres. Ne pouvant rien tirer de lui, Zîadet-Allah le fit mettre en prison et envoya au gouverneur de Tripoli l'ordre de se saisir du Mehdi. Celui-ci échappa au danger et, passant près de Constantine, où il n'osa pas entrer, il continua sa route jusqu'à Sidjilmessa. Elîçâ-Ibn-Midrar, souverain de cette ville, l'accueillit avec distinction; mais, ayant ensuite appris par une lettre de Ziadet-Allah ou du Khalife El-Moktefi, selon un autre récit, que son hôte était le Mehdi dont les émissaires se donnaient tant de mouvement dans le pays des Ketama, il le fit mettre en prison.

La mort d'Abou-'l-Khawal qui, pendant quelque temps, avait tenu Abou-Abd-Allah en échec, permit à cet habile missionnaire de rallier tous les Ketama et de mettre le siége devant Setîf. AliIbn-Djafer-Ibn-Asloudja, gouverneur de cette ville, et son frère Abou-Habîb, y perdirent la vie; mais Dawoud-Ibn-Habatha, personnage éminent de la tribu de Lehiça, lequel s'y était ré

• On donne le nom de Melahem à de certains ouvrages dans lesquels on a rassemblé des prédictions touchant les révolutions des empires et autres graves événements. Consultez, à ce sujet, la Chrestomathie arabe de M. de Sacy, t. 1, p. 298 et suiv.

Il évita de se rendre auprès de son missionnaire, Abou-Abd-Allahes-Chit, pour ne pas compromettre les jours d'Abou-'l-Abbas; car Ziadet-Allah aurait alors acquis la certitude que celui-ci était effectivement l'une des personnes qu'il cherchait. (Ibn-el-Athir.)

fugié avec plusieurs autres chefs ketamiens, prit le commandement des assiégés. La place finit par capituler et fut ruinée de fond en comble par l'ordre d'Abou-Abd-Allah. Zîadet-Allah envoya alors une nouvelle expédition contre les Ketama. Cette armée, forte de de quarante mille hommes et commandée par Ibn-Hobaïch, membre de la famille des Aghleb, s'avança jusqu'à Constantine, et, s'y étant arrêtée, elle laissa aux Ketama le temps de se retrancher dans leurs montagnes. Ibn-Hobaïch alla ensuite leur livrer bataille près de la ville de Belezma, mais il essuya une défaite et dut rentrer à Cairouan après s'être réfugié dans la ville de Baghaïa.

Quelques Ketamiens, auxquels le Chîï avait donné l'ordre de porter au Mehdi la nouvelle de cette victoire, s'y prirent avec tant d'adresse qu'ils purent accomplir leur mission sans être découverts. Le Chiï marcha ensuite sur Tobna, en tua le gouverneur, Feth-Ibn-Yahya-el-Messalti, et obtint la possession de cette place après avoir accordé une amnistie aux habitants. De là il alla emporter d'assaut la ville de Belezma, mais il perdit en même temps celle de Dar-Melouwel; une colonne de troupes que Ziadet-Allah avait envoyée contre lui sous les ordres de Harounet-Tobni, gouverneur de Baghaïa, étant venu ruiner cette place et en exterminer les habitants. Arouba-Ibn-Youçof, un des officiers du Chîi, essuya alors une défaite dans une rencontre avec Haroun, et mourut sur le champ de bataille. Bientôt après, Youçof-el-Ghassani, un autre général du Chîï, reçut à capitulation la ville de Tidjist et permit à la garnison de se retirer dans Cairouan.

Pendant que les populations [de l'Ifrîkïa ] souhaitaient le triomphe d'Abou-Abd-Allah à cause de sa clémence envers les vaincus et de son respect pour les traités, Ziadet-Allah recevait à toute heure les nouvelles les plus fâcheuses et vidait son trésor afin d'organiser une nouvelle armée et de réparer ses placesfortes. Eu l'an 295 (907-8), il se mit lui-même en campagne et marcha jusqu'à Laribus; mais, n'osant pas risquer un combat, il écouta les conseils de son entourage, ramena ses troupes à Cairouan et chargea son parent, Ibrahim-Ibn-Abi-'l-Aghleb, d'en,

prendre le commandement et de se bien défendre dans cette forteresse. Le Chiï s'avança alors contre Baghaïa, qui capitula aussitôt, le gouverneur s'étant enfui à son approche, et de là il expédia un détachement qui prit Mermadjenna d'assaut et en tua le commandant. Encouragé par ce succès, il lança ses colonnes sur l'Ifrîkïa et dirigea plusieurs expéditions contre les Nefza et les autres Berbères. Les habitants de Tifech lui firent leur soumission, et ayant ainsi mérité leur grâce, ils reçurent comme gouverneur Souab-Ibn-Abi-'l-Cacem-es-Sektaï ; mais Ibrahim-IbnAbi-'l-Aghleb vint bientôt les faire rentrer sous la domination aghlebide. Le Chîïte rassembla alors une nombreuse armée et marcha sur Baghaïa d'où il alla s'emparer de Meskiana et de Tebessa. Il se dirigea ensuite vers El-Casrein, dans la province de Camouda, reçut les habitants de cette ville à composition et marcha sur Raccada. Pour détourner le danger qui menaçait Ziadet-Allah, danger d'autant plas grand que la garnison de cette place était peu nombreuse, Ibrahim-Ibn-Abi-'l-Aghleb alla livrer bataille au Chîï et le contraignit à se réfugier dans Ikdjan. Étant alors rentré à Laribus, il donna à son adversaire l'occasion de mettre le siége devant Constantine. Les habitants de cette ville capitulèrent pour avoir la vie sauve et ceux de Cassa imitèrent leur exemple. Le vainqueur se porta alors jusqu'à Baghaïa pour y laisser une garnison sous les ordres d'AbouMekdoula de la tribu de Djîmela, puis, il reprit la route d'Ikdjan. Ayant ensuite appris qu'Ibn-Abi-'l-Aghleb voulait profiter de son éloignement pour attaquer Baghaïa, il plaça un corps de de douze mille hommes sous les ordres de trois de ses officiers, Abou-l-Medini-Ibn-Ferroukh-el-Lehîci, Arouba-Ibn-Youçof-elMelouchi et Redja-Ibn-Abi-Conna, en les chargeant d'aller couvrir la ville. Ces généraux repoussèrent Ibn-Abi-'l-Aghleb jusqu'au défilé d'El-Arar, où ils cessèrent la poursuite.

En l'an 296 (908-9) Abou-Abd-Allah le Chîï marcha sur La

• Encore une ville dont la position est inconnue.

Il y a un endroit de ce nom sur la route de Constantine à Batna.

ribus à la tête de deux cent mille hommes 1, et, ayant combattu Ibn-el-Aghleb pendant plusieurs jours, il le força à évacuer le camp où il s'était retranché et à prendre la route de Cairouan. Laribus fut livré à la fureur du soldat et le vainqueur s'était déjà avancé jusqu'à Camouda quand Ziadet-Allah quitta Raccada en toute hâte pour se rendre en Orient. Les palais de Raccada furent aussitôt mis au pillage, et les habitants de la ville coururent se refugier, les uns dans Cairouan et les autres dans Souça. Ibrahim-Ibn-Abi-'l-Aghleb étant arrivé sur ces entrefaites à Cairouan, se rendit à la maison du gouvernement, convoqua les notables et les invita à le reconnaître comme souverain. Il leur demanda aussi des secours d'argent; mais, voyant qu'ils lui faisaient des difficultés et que la populace commençait à s'émeuter contre lui, il prit la fuite et courut rejoindre ZiadetAllab.

Abou-Abd-Allah ayant appris le départ des Aghlebides, quitta Sebîba, où il se trouvait alors, et marcha sur Raccada. Son avant-garde, sous les ordres d'Arouba-Ibn-Youçof et de HacenIbn-Abi Khanzîr, entra dans la place en proclamant une amnistie générale, et, en effet, un accueil plein de bienveillance fut accordé par le Chiï aux habitants de cette ville et à ceux de Cairouan. Dans le mois de Redjeb 296 (avril 909), Abou-AbdAllah fit son entrée à Raccada, et, descendu au palais, il donna l'ordre de retirer son frère, Abou-l-Abbas, de la prison où on le retenait. Par une amnistie qu'il fit alors proclamer, il ramena tous les fuyards qui avaient abandonné Cairouan 2. Ensuite, il envoya de nouveaux gouverneurs dans les provinces de l'empire et parvint à en expulser les malfaiteurs qui y entretenait le dé-sordre. Il partagea les maisons de la ville entre ses Ketamiens, fit réunir et mettre sous bonne garde les trésors et les armes que Ziadet-Allah y avait laissés et prit sous sa protection toutes les jeunes esclaves que ce prince n'avait pu emmener. Quand

1 Ce chiffre est évidemment exagéré.

2 Ibn-Khaldoun aurait dû ajouter que, peu de temps après la prise de Raccada, le Chiï occupa Cairouan.

« PrécédentContinuer »