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Grenade, enfin, en face de laquelle le camp des assiégeants avait, pour ainsi dire, pris racine en donnant naissance à la ville de Santa-Fé, capitula seulement le 2 janvier 1492. Comme lassée des efforts que lui avait coûté une si glorieuse conquête, l'Espagne hésita alors à pousser plus loin ses succès, et peut-être Ximenès luimême ne se fût-il jamais décidé à aller attaquer les Arabes en Afrique, si la révolte des Maures andalous, provoquée par les instigations du Maroc, ne fût venue, quelques années après, irriter les vainqueurs en réveillant leurs alarmes.

1458-1481.-Établissements militaires des Portugais dans le nord de l'Afrique. Commencements de la nouvelle dynastie des chérifs au Maroc.

Depuis l'affaiblissement de l'autorité mérinide, les Portugais se trouvaient vis-à-vis du Maroc dans la même position que les Espagnols, obligés de supporter les attaques des populations maritimes s'ils ne voulaient aller eux-mêmes les réprimer sur le continent africain. Ceuta était plutôt une place de refuge et une base d'opérations militaires qu'une échelle de commerce. Les hostilités entre la garnison et les indigènes étaient incessantes. Les besoins de la défense, l'absolue nécessité d'assurer les explorations de leurs navires vers les côtes occidentales, où ils commençaient à commercer, amenèrent les Portugais à s'étendre des deux côtés du détroit. Ksar-el-Srir, poste avancé vers Tanger, fut conquis en 1458, et conservé malgré les plus vives attaques; Anfa, entre Azamour et Rabat, dont les corsaires infestaient les côtes chrétiennes, fut détruit en

1463; Arzilla, ville plus rapprochée du Portugal, que les Européens visitaient quelquefois dès le quatorzième siècle, fut prise en 1471; Tanger enfin, la seconde forteresse du détroit sur la côte africaine, capitula et arbora le drapeau portugais dans la même campagne. Maître des quatre positions de Ceuta, Ksar, Tanger et Arzilla, Alphonse V s'intitula, d'après Marmol, « roi d'au delà et en deçà de la mer », titre un peu prématuré, qu'auraient pu seules justifier les conquêtes des règnes suivants.

Tant que les chérifs, fondateurs de la dynastie régnante aujourd'hui au Maroc, ne furent que les rivaux des sultans mérinides, ils se gardèrent d'inquiéter les établissements chrétiens. La diversion des Portugais était même favorable à leurs propres projets. Mais quand leur souveraineté fut reconnue à Fez et à Maroc, le voisinage de ces postes leur inspira des inquiétudes et ils commencèrent par défendre aux indigènes de communiquer avec les garnisons chrétiennes. Les présides, où l'hostilité des Maures obligea les Portugais à se tenir renfermés, ne furent dès lors que des postes d'observation et des ports de relâche. Tous les efforts des successeurs d'Alphonse pour asseoir une vraie domination sur les côtes du nord du Maroc échouèrent, tandis que dans les provinces méridionales ils parvinrent peu après à fonder de vraies colonies agricoles et commerciales. Les populations des alentours d'Azamour et de Safi, ports de mer dont ils s'étaient emparés, acceptèrent leur domination, payèrent régulièrement l'impôt et apportèrent les produits de leurs champs aux flottes portugaises.

1487-1497.

Révolution opérée dans le commerce de la Méditerranée par la découverte du cap de Bonne-Espérance.

Mais les comptoirs de la province de Dekkala, les postes du Sénégal et de la Guinée, étaient de peu d'importance à comparer aux marchés immenses que découvraient dans un autre hémisphère le génie persévérant du roi Jean II et le courage de ses marins, pendant que Christophe Colomb donnait tout un monde nouveau au roi de Castille. En dix années, les prédictions jugées insensées ou téméraires recevaient la plus éclatante justification, les rêves de gloire et de fortune. étaient réalisés et dépassés. Dias doublait le cap de Bonne-Espérance en 1487; Christophe Colomb abordait aux Lucayes en 1492, et en 1497 Vasco de Gama découvrait les Indes. Les conditions et le siège du commerce de l'ancien monde étaient changés. Cadix allait recevoir les galions des deux Amériques; Lisbonne devenait le centre des épices, des aromates et de mille autres substances de l'extrême Orient, qui se vendaient en Europe au poids de l'or.

Les événements donnaient à la fois une cruelle leçon à l'imprévoyance des Génois, qui avaient méconnu les offres de Christophe Colomb, et à la politique étroite que les Vénitiens avaient suivie durant les croisades. Si la république de Venise, comme Innocent III l'avait prescrit, comme saint Louis l'avait souhaité, comme un de ses citoyens les plus éclairés, Sanudo l'ancien, le lui avait conseillé encore tardivement; si la république, au lieu d'aller attaquer les Grecs de Constantinople pour conserver ses privilèges à Alexandrie, fût restée

fidèle à la pensée des guerres saintes; si elle eût consacré ses efforts à abattre l'empire des mamelouks en Égypte afin de recouvrer plus sûrement le saint sépulcre, elle eût probablement, et trois cents ans avant les Portugais, pénétré jusqu'aux Indes et atteint la source même de ces précieuses denrées dont le commerce faisait sa fortune.

Chose étrange et pourtant facile à comprendre! les découvertes de Christophe Colomb et d'Améric Vespuce, poursuivies et proclamées pendant plus de dix années, laissèrent Venise à peu près indifférente, parce qu'elles n'affectaient pas les voies et les objets ordinaires de son négoce. Un seul voyage de Vasco de Gama aux Indes émut le gouvernement vénitien et souleva les alarmes de la nation entière. L'évidence du danger frappa le pays de stupeur comme un coup de foudre.

Prévenu par une dépêche de son ambassadeur, reçue à Venise le 24 juillet 1501, de l'arrivée à Lisbonne des galères de Vasco de Gama, le conseil des Dix s'assemble aussitôt pour délibérer avec les comités. Nous ne savons quelles furent les premières résolutions que la gravité de la situation lui inspira, ni s'il crut devoir agir alors sans attendre d'autres informations; mais un contemporain nous fait connaître l'inquiétude subite et profonde qui s'empara de la cité à l'annonce de ces événements. « Quand les nouvelles arrivées de Lisbonne se « répandirent à Venise, dit Priuli, la ville entière fut << comme glacée d'effroi. Les gens les plus sages di<< saient que jamais plus grand malheur n'avait atteint <«< la république. Chacun comprit que l'Allemagne, la << Hongrie, la Flandre, la France, obligées autrefois de

<< venir acheter les épices à Venise, allaient maintenant <<< trouver ces denrées à bien meilleur marché à Lis«bonne. Les épiceries qui arrivent à Venise par l'É<< gypte, la Syrie et autres pays du sultan, payent en << divers lieux des droits si élevés, que ce qui a coûté à << l'origine un ducat, Venise peut le vendre soixante et <«< quelquefois cent ducats. Le voyage de mer suppri<<< mant tous ces droits, Lisbonne va pouvoir donner à <«< bas prix ce que Venise devra toujours vendre à des << taux exorbitants. »

1503-1504.- Vains efforts de Venise pour ruiner le commerce
des Portugais dans les Indes.

Devant les dangers qui menaçaient son commerce d'une crise incalculable, deux partis se présentaient à la république de Venise.

Entrer résolument, mais pacifiquement, dans la lutte commerciale, malgré l'avance considérable des Portugais, soit en acceptant les offres du roi Emmanuel pour monopoliser le commerce des épiceries à Lisbonne au détriment de l'Égypte, soit en agissant isolément pour son propre compte et cherchant à prévaloir sur ses rivaux par la libre concurrence. Là, Venise pouvait employer avantageusement ses immenses ressources maritimes et son influence politique. En s'avançant à la fois par les deux routes et sur les deux mers qui enveloppent l'Afrique, elle pouvait obtenir d'être admise dans les Indes au même titre que les Portugais.

Ou bien refuser les propositions du Portugal, qui nécessairement subordonnaient le marché de Venise à celui de Lisbonne; se refuser également à l'entente et

AFRIQUE SEPTENTRIONALE.

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