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démonstrations de respect. Les voyageurs se mirent alors à table, et pendant qu'ils se baissaient pour manger, les domestiques d'Arous se précipitèrent sur El-Montacer, à un signal donné par leur maître, le frappèrent de leurs poignards et, dans leur empressement de l'achever, ils donnèrent aux autres convives le temps de s'échapper. La tête d'El-Montacer fut envoyée à EnNacer qui la fit exposer à Bougie, et son corps fut mis en croix à la Calà pour servir d'exemple.

En-Nacer fit mourir un grand nombre de chefs zenatiens, ainsi qu'un chef maghraouien, Abou-'l-Fotouh-Ibn-Habbous, émir des Beni-Sindjas et seigneur de Lemdïa (Médéa). Cette ville fut ainsi nommée à cause des Lemdïa, tribu sanhadjienne.

Moannecer-Ibn-Hammad s'étant trouvé dans le pays du Chelif, attaqua le gouverneur de Miliana et tua les cheikhs des BeniOurcîfan, tribu maghraouienne. Le sultan [En-Nacer] ne pouvant aller au secours des Ourcîfen à cause de ses démélés avec les Arabes, leur écrivit de se venger eux-mêmes. Ils marchèrent donc contre Moanneceret, l'ayant tué, ils envoyèrent sa tête à En-Nacer qui la fit exposer à côté de celle d'El-Montacer.

Averti par les habitants du Zab que les Ghomert et les Maghraoua venaient de se joindre aux Arabes de la tribu d'Athbedj afin d'envahir cette province, En-Nacer envoya à leur secours un corps d'armée commandé par son fils El-Mansour. Ce prince détruisit Oughellan, ville où El-Montacer-Ibn-Khazroun devait s'établir, et ses troupes s'étant ensuite emparées de Ouergla, il y installa un nouveau gouverneur. De nombreux captifs et un riche butin attestèrent le succès de cette expédition.

Les Beni-Toudjîn, tribu zenatienne commandée par MenadIbn-Abd-Allah, avaient aidé les Arabes de la tribu d'Adi à dévaster le pays et à intercepter les communications. El-Mansour, fils d'En-Nacer, marcha contre eux, d'après les ordres de son père, et réussit à faire prisonniers Saken-Ibn-Abd-Allah, Hamîd

1 Ce Moannecer était fils de Hammad, fils de Moannecer, fils d'ElMoëzz, fils de Ziri, fils d'Atïa le maghraouien. Dans le chapitre sur les Maghraoua, Ibn-Khaldoun le confond avec Moannecer, fils de Ziri--IbnAtïa.

Ibn-Haral1 et Lahec-Ibn-Djehan, tous émirs de la tribu d'Adi, ainsi que les émirs toudjînides, Menad-Ibn-Abd-Allah, Zîri, frère de Menad, et leurs oncles Aghleb et Hammama. [En-Nacer] les fit comparaître devant lui, leur reprocha le service qu'il leur avait rendu autrefois en les protégeant contre les Aulad-elCacem, famille puissante de la tribu des Beni-Abd-el Ouad, leur fit couper les mains et les pieds et les laissa mourir ainsi.

En l'an 460 (1067-8), il s'empara de la montagne de Bougie (Bedjaïa), localité habitée par une tribu berbère du même nom. Chez eux, Bedjaïa s'écrit Bekaïa et se prononce Begaïu. On trouve encore les débris de cette peuplade sanhadjienne éparpillés parmi les autres tribus berbères. En-Nacer ayant conquis cette montagne, y fonda une ville à laquelle il donna le nom d'EnNacerïa; mais tout le monde l'appelle Bougie du nom de la tribu. Il y construisit un palais d'une beauté admirable qui porta le nom du Château de la Perle (Casr-el-Louloua). Ayant peuplé sa nouvelle capitale, il exempta les habitants de l'impôt (kharadj) et, en l'an 461 (1068-9), il alla s'y établir lui-même.

Ce fut sous le règne de ce prince que la dynastie hammadite atteignit au faîte de sa puissance et acquit la supériorité sur celle des Badicides d'El-Mehdïa. L'invasion des Arabes hilaliens avait tellement accablé ceux-ci que leur empire s'était désorganisé et que la plupart de leurs sujets et de leurs grands fonctionnaires avait répudié leur autorité. Pendant ces événements, le royaume des Hammadites n'avait fait que grandir et prospérer sous les auspices d'En-Nacer. Ce monarque éleva des bâtiments magnifiques, fonda plusieurs grandes villes et fit de nombreuses expéditions dans l'intérieur du Maghreb. Il mourut en l'an 481 (1088-9).

Règne d'El-Mansour, fils d'En-Nucer. El-Mansour, fils et successeur d'En-Nacer, sortit de la ville d'El-Calâ en l'an 483 (1090-1), et alla faire sa résidence à Bougie avec ses troupes et sa cour. Il s'éloigna ainsi d'une région où la violence et la tyrannie des Arabes avaient tout ruiné. L'audace de ces brigands en était

1 Variantes: Djeral, Khazal.

venue à un tel point qu'ils portaient la dévastation dans les environs de la Calâ et enlevaient tout ce qui se montrait en dehors de la ville. Ces entreprises leur étaient d'autant plus faciles que leurs montures pouvaient y arriver par des routes toujours praticables. Il en était bien autrement à Bougie; la difficulté des chemins mettait cette ville à l'abri de leurs attaques.

El-Mansour ayant fait de Bougie le siége et le boulevard de son empire, en restaura les palais et éleva les murs de la grande mosquée. Doué d'un esprit créateur et ordonnateur, il se plaisait à fonder des édifices d'utilité publique, à bâtir des palais, à distribuer les eaux dans des parcs et des jardins; aussi, l'on peut dire que, par ses soins, le royaume hammadite échangea son organisation nomade contre celle qui résulte de la vie à demeure fixe. Après avoir érigé à la Calâ le palais du Gouvernement, le palais du Fanal (Casr-el-Menar), le palais de l'Etoile (el-Kokab) et le palais du Salut (es-Selam), il construisit, à Bougie, ceux de la Perle et d'Amîmoun.

A peine fut-il monté sur le trône que son oncle Belbar, auquel son père En-Nacer avait confié le gouvernement de Constantine, forma le projet de se rendre indépendant. Une expédition, dirigée de ce côté, fit perdre au prince révolté sa ville et sa liberté. Abou-Yekni, fils de Mohcen, fils d'El-Caïd, [le prince hammadite] qui remporta cette victoire, reçut alors d'ElMansour le gouvernement de Constantine et de Bône. Il se fixa dans la première de ces villes, après avoir envoyé son prisonnier Belbar à la Cala, et il donna le commandement de Bône à son frère Ouîghlan.

En 487 (1094), Abou-Yekni lui-même se révolta à Constantine et ordonna à son frère [Ouîghlan] de se rendre à El-Mehdïa et d'offrir à Temim-Ibn-el-Moëzz la possession de Bône. Ce monarque accepta le don, et son fils, Abou-'l-Fotouh, alla demeurer à Bône avec Ouîghlan. Les deux frères s'étaient fait de nombreux par

1 Ci-devant, p. 51, l'auteur attribue la construction du palais de la Perle à En-Nacer.

Le texte et les manuscrits portent son frère. Voy. ci-devant, p. 47.

tisans parmi les Arabes et entretenaient une correspondance écrite avec les Almoravides du Maghreb quand El-Mansour expédia des troupes contre eux. Après un siége de sept mois, son armée emporta d'assaut la ville de Bône et fit prisonnier Abou-'lFotouh, fils de Temîm. El-Mansour, à qui on envoya ce jeune homine, l'enferma dans la Calâ, et, encouragé par le succès de ses armes, il donna l'ordre de mettre le siége devant Constantine. Abou-Yekni, voyant ses affaires prendre une très-mauvaise tournure, alla se retrancher dans un château du Mont-Auras, après avoir confié la défense de Constantine à un Arabe de la tribu d'Athbedj nommé Soleisel-Ibn-el-Ahmer. Cet homme livra la ville à El-Mansour moyennant une somme d'argent, mais Abou-Yekni conserva sa forteresse de l'Auras et envahit le territoire de Constantine à plusieurs reprises. Cette hardiesse lui devint fatale assiégé enfin par les troupes d'El-Mansour, il perdit, à la fois, son château et la vie.

La dynastie hammadite s'était alliée par des mariages aux Beni-Quemannou, famille unie et puissante qui exerçait alors le commandement suprême chez les Zenata, tribu dont elle faisait partie. En-Nacer avait épousé une sœur de Makhoukh, chef de cette maison, et El-Mansour en avait épousé une autre. Ces alliances ne purent empêcher la guerre d'éclater entre les Sanhadja et les Zenata: El-Mansour marcha contre son beau-frère, essuya une défaite et rentra à Bougie. La colère qu'il en éprouva fut si grande qu'il tua sa femme parce qu'elle était la sœur de son adversaire. Ce forfait confirma davantage la haine que Makhoukh lui portait; rempli d'indignation, il embrassa le parti des Almoravides, émirs de Tlemcen, et les poussa à envahir le territoire sanhadjien. Cet événement fut un des motifs qui portèrent ElMansour à marcher sur Tlemcen; ces motifs nous allons les exposer.

Youçof-Ibn-Tachefîn ayant établi son autorité dans le Maghreb, convoita la possession de Tlemcen, et, en l'an 474 (1081 – 2), il enleva cette ville aux Aulad-Yala, ainsi que nous le raconterons ailleurs. En ayant alors fait un des boulevards de son empire, il y installa Mohammed-Ibn-Tinamer en qualité de gon

verneur. Ce fonctionnaire ne tarda pas à insulter les villes et les forteresses du pays des Sanhadja. El-Mansour marcha contre lui et, après avoir dévasté le territoire de Makhoukh et détruit ses châteaux, il serra Ibn-Tînamer de si près que Youçof-IbnTachefin se vit dans la nécessité de faire la paix et d'empêcher ses Almoravides d'envahir les états hammadites. Quelque temps s'écoula ainsi, mais les Almoravides ayant renouvelé leurs tentatives hostiles, El-Mansour envoya contre eux son fils, l'émir Abd-Allah. Les Almoravides évacuèrent alors le territoire sanhadjien et rentrèrent à Maroc. Abd-Allah prit, dans le Maghreb central, une position d'où il put lancer des troupes sur les contrées occupées par les Beni-Ouemannou, et ayant mis le siége devant El-Djâbat, il s'en empara. A ce succès, il ajouta la prise de Merat, et, ayant fait grâce aux habitants, il alla rejoindre son père. Alors la guerre s'alluma entre Makhoukh et El-Mansour, lequel tua la sœur de son adversaire. Le fils de Makhoukh se rendit à Tlemcen pour obtenir l'appui d'Ibn-Tînamer, et marcha ensuite sur la ville d'Alger qu'il tint bloquée pendant deux jours.

A la suite de cette expédition, Mohammed-Ibn-Tînamer mourut, et son frère, Tachefin-Ibn-Tînamer, auquel Youçof-IbnTachefin donna le gouvernement de Tlemcen, alla s'emparer d'Achîr. Cette nouvelle insulte excita l'indignation d'El-Mansour au plus haut degré; il appela sous ses drapeaux toute la population sanhadjienne, et s'étant assuré l'appui des Arabes athbedjiens, zoghbiens et rebiens, nommés aussi makiliens, ainsi que d'une foule de peuplades zenatiennes, il marcha sur Tlemcen, l'an 496 (1102-3), à la tête de vingt mille hommes. Arrivé au Ouadi-Stafcif, il envoya l'armée en avant et la suivit de près. Tachefin, qui venait de quitter Tlemcen pour se rendre à Teçala, rencontra ces troupes sur sa route et essuya une telle défaite qu'il courut se réfugier dans le Djebel-es-Sakhra. L'armée d'ElMansour avait déjà commencé à saccager Tlemcen, quand Haoua, la femme de Tachefîn, sortit au-devant de lui et implora sa miséricorde, en faisant valoir les liens de parenté qui existaient entre les deux nations sanhadjiennes. Profondément touché de la démarche de cette dame, le vainqueur l'accueillit de la manière

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