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déchue, le salua et lui demanda le motif qui l'y avait amené. El-Mothenna répondit que les Abyssins venaient d'enlever l'empire à la maison de Himyer. Alors le devin lui adressa ces paroles : « Va fixer ta demeure dans le pays du Maghreb ; il >> arrivera à tes enfants de grandes choses. Plusieurs d'entre >> eux régneront; ils se succéderont dans le commandement et » leur dynastie subsistera longtemps. Encouragé par cette prédiction, El-Mothenna partit pour le Maghreb. Là il fit part à ses fils des paroles du devin et ceux-ci les transmirent à leurs enfants. A l'époque où Menad, fils de Menkouch, vint au monde, ils nourrissaient encore l'espoir que leur famille régnerait un jour. Menad acquit, en grandissant, une force extraordinaire, et eut beaucoup de richesses et d'enfants. Son hospitalité envers les voyageurs fut si grande que partout on s'entretenait de lui et que sa renommée fut portée au loin. Une mosquée qu'il avait fait construire fut le lieu où tous les voyageurs allaient descendre. Il s'y rendait lui-même régulièrement pour faire la prière, et, chaque fois qu'il y voyait un étranger, il le saluait, l'amenait chez lui et le traitait avec de grands égards; puis, lors du départ de son hôte, il lui donnait des vivres, des vêtements et de l'argent. Telle fut son habitude quand, un certain jour, on vint lui annoncer qu'un voyageur était arrivé à la mosquée et qu'il se disait venir du pèlerinage. Comme c'était alors l'heure de la prière qui se fait après midi, Menad se rendit à la mosquée et, quand il eut acquitté les devoirs de la religion, il salua l'étranger et lui demanda qui il était et d'où il venait. « Je suis natif du Maghreb,

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répondit le voyageur; je suis allé faire le pèlerinage, mais, à » mon retour, j'ai été attaqué par des brigands, dépouillé et >> séparé de mes compagnons de voyage. Arrivé en Ifrîkïa, j'en>> tendis parler de l'hospitalité de Menad, et, pour cette raison, je viens lui demander des secours afin de pouvoir conti>> nuer ma route et revoir ma famille. Tu la reverras, lui répondit Menad, sois de bon courage. » L'ayant alors conduit chez lui, il lui fit servir une collation, et l'ayant ensuite laissé seul, en lui disant de se reposer, il alla égorger un mouton et préparer un grand repas. Quand le voyageur eut achevé de

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manger, il examina attentivement l'omoplate du mouton, la tournant, la retournant, et jetant sur Menad des regards étonnés : <<< Pourquoi me regardes-tu? lui dit Menad; pourquoi examiner cet os de mouton? - Ce n'est rien, lui répondit l'étranger. — Par Allah! il faut que tu me le dises. As-tu une femme enceinte ?

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Oui, dit Menad. - En as-tu déjà eu des enfants? Non, mais j'en ai eu d'autres femmes. - Fais-les-moi voir. » Après les avoir bien examinés il demanda à Menad s'il en avait d'autres. Je n'ai que ceux-là, répondit Menad. - Puisqu'il en est ainsi, >> aie grand soin de ta femme qui est enceinte, car, par Allah ! » elle donnera le jour à un enfant qui deviendra maître de » tout le Maghreb et dont les fils régneront après lui. — Par » Allah! s'écria Menad, nous n'avons jamais cessé d'espérer » qu'il naîtrait dans notre famille un enfant tel que tu me l'an>> nonces ; c'est une tradition que nous tenons de nos aïeux, mais nous ignorions de quelle branche il sortirait. Tu nous ap>> prends donc une chose à laquelle nous nous attendions depuis longtemps. >>

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Ensuite, dit l'historien, Menad traita son hôte avec de grands égards jusqu'à ce qu'il se remit en route.

HISTOIRE DE ZÎRI, FILS DE MENAD.

L'historien dit : La femme de Menad accoucha d'un fils qui reçut de son père le nom de Zîri. Jamais on ne vit un sibel enfant ; il surpassa même en beauté ses frères, dont les formes et les traits étaient si parfaits que, dans le Maghreb, on disait proverbialement d'un bel homme : On le prendrait pour un fils de Menad. Parvenu à l'âge de dix ans, Zîri paraissait en avoir vingt, à cause de sa haute taille et de sa vigueur. Les autres enfants de l'endroit avaient l'habitude de se rassembler autour de lui et de le nommer leur sultan. Ils se mettaient à cheval sur des bâtons pour représenter deux groupes en ordre de bataille, et Ziri les faisait combattre ensemble; puis il les conduisait chez sa mère pour qu'elle leur donnât à manger. Pendant ces repas, il se tenait debout derrière eux, sans rien prendre.

Quand il fut parvenu à l'âge viril, il profita de l'influence qu'il exerçait sur tous ceux qui l'entouraient pour rassembler plusieurs de ses parents et d'autres personnes d'une bravoure reconnue. A la tête de cette bande, il fit des incursions dans le pays des Zenata, tuant, pillant, enlevant des captifs et du butin qu'il distribua toujours à ses compagnons sans rien réserver pour lui-même. Les autres familles sanhadjiennes virent d'un œil jaloux les exploits de Zîri, parce qu'elles avaient espéré que l'enfant annoncé par le devin naîtrait d'elles, et, convaincues. enfin que ce chef était le personnage auquel la prédiction se rapportait, elles se réunirent pour l'écraser. A la suite d'une longue guerre, Zîri demeura vainqueur; il tua une foule d'ennemis, réduisit en servitude beaucoup d'autres et rentra dans sa montagne [à Tîteri] chargé de butin.

A la nouvelle de ces événements, les Zenata formèrent une coalition contre Zîri, et écrivirent aux fractions de la tribu de Sanhadja qui lui résistaient encore pour les engager à faire cause commune avec eux. Zîri fut averti de ces menées, et, partant à l'improviste, il entra dans le territoire des Maghîla 1, tomba sur les Zenata pendant la nuit, leur tua beaucoup de monde, fit un grand nombre de prisonniers et rapporta à son lieu de retraite, dans la montagne de Tîteri, une quantité de têtes et de butin. Avec les chevaux pris sur l'ennemi il forma un corps de trois cents cavaliers. Sa renommée remplit bientôt tout le Maghreb; l'accroissement de son pouvoir inspira de vives appréhensions aux habitants de ce pays, et les populations, remplies de crainte, s'attendaient à le voir, d'un moment à l'autre, fondre sur leurs territoires. Tous les esprits insoumis, partisans du désordre, allèrent grossir le nombre de ses troupes, et, voyant enfin que le lieu où il s'était établi ne pouvait plus les contenir, ils l'engagèrent à chercher un autre lieu où ils seraient plus à leuraise. En conséquence de ces représentations, il se transporta

1. Les Maghila habitaient les plaines du bas Chelif, depuis la mer jusqu'à Mazouna.

sur le lieu où il bâtit, plus tard, la ville d'Achîr. Cet endroit était alors inhabité, mais il renfermait plusieurs sources d'eau.

FONDATION D'ACHÎR.

Zîri, ayant examiné cette position, dit à ses compagnons: « Voici l'endroit qui vous convient pour résidence »>, et il se décida à y bâtir une ville. Ceci se passa en l'an 324 (935-6), sous le règne du khalife fatemide El-Caïm, fils d'El-Mehdi. Il fit alors venir d'El-Mecîla, de Hamza et de Tobna un grand nombre de charpentiers et de maçons, et il se fit envoyer par El-Caïm un architecte qui surpassait en habileté tous ceux de l'Ifrîkïa. Il obtint aussi du même prince une grande quantité de fer et d'au-* tres matériaux. S'étant alors mis à l'œuvre, il acheva la construction de sa ville.

Pendant la domination des Aghlebides, les Zenata avaient opprimé les habitants de ce pays et leur tyrannie n'avait cessé de s'accroître sous les règnes d'El-Mehdi et de son fils El-Caïm. Aussi, quand celui-ci eut appris que Zîri pensait à fonder une ville, il rendit grâces à Dieu en déclarant que le voisinage des Arabes lui serait plus avantageux que celui des Berbères 1. Il aida même de tous ses moyens à l'accomplissement de cette entreprise.

Zîri se rendit ensuite à Tobna, à El-Mecîla et à Hamza pour en transporter les principaux habitants à Achîr; de sorte qu'il peupla sa nouvelle capitale et en fit une forteresse inexpugnable. On ne pouvait approcher de cette ville que du côté de l'orient, et, là, dix hommes auraient suffi pour la défendre. Située d'ailleurs sur une montagne escarpée, elle n'avait pas besoin de muraille; elle était arrosée par deux sources abondantes d'ex

1. Si cette parole n'est pas de l'invention d'Ibn-Cheddad, elle prouve que, déjà à cette époque, on croyait que la famille de Ziri était de race arabe.

cellente eau, et comme elle se remplit bientôt de légistes, de savants et de marchands, elle devint très fameuse '.

1. NOTE SUR LA MONTAGNE DE TITERI, APPELÉE AUSSI EL-KEF-elAKHDAR LE ROCHER VERT). Le 1er et le 2 juillet 1850, je longeais le pied méridional de cette montagne rocheuse qui se présente à pic, au Sud, dans une direction Est-Ouest, entre Djebel-ben-Hedjeraïd et Djebel-Kerbouchia. Elle est presque partout impraticable sur cette face, sauf vers l'Est, à El-Bab, où des piétons peuvent passer, et aussi à Tenit-ben-Hedjeraïd. A cette exposition du Midi, le Kef apparaît comme une gigantesque muraille composée d'énormes assises de pierres taillées.

Ben-Yahya, chef de l'aghalik du Sud-Est, me raconta, à cette époque, qu'on trouvait sur le Kef-el-Akhdar une ville ruinée dont les restes sont appelés Menza-bent-es-Soltan; et, en outre, sur la même montagne, une ruine isolée dans le col appelé Fedj-el-Metkelma.

Je ne doutai pas, dès cette époque, que ces vestiges fussent ceux de la ville d'Achîr tant et si vainement cherchée; mais, engagé alors dans l'accomplissement d'une mission spéciale qui ne me permettait pas d'entreprendre des recherches incidentes, je dus, à cause de la difficulté d'aborder ces ruines par le Sud, en remettre l'exploration à une autre fois.

Ce fut seulement au mois d'août 1852 que je pus réaliser mon projet. Je m'engageai alors dans l'Atlas par la gorge de l'Oued-el-Djemâa et je gagnai le bordj de Mahi-el-Din ou Zaouït-bou-Maali, par la montagne des Beni-Zerman. De la porte de la maison des hôtes qui dépend de ce bordj, j'avais le Kef-el-Akhdar devant moi, en plein Sud, le Dira au Sud-Est, et le Ouan-Noura à l'Est-Sud-Est.

Le lendemain, 24 août, j'allai coucher chez le caïd des Oulad-Soltan, et le 25, dans la matinée, j'étais au pied du Kef-el-Akhdar.

Cet immense rocher à le forme d'un lam J, qui serait couché en long de l'Est à l'Ouest, et dont le côté convexe regarderait l'Occident; on pourrait encore le comparer à un hameçon ou crochet. L'espace compris entre la grande et la petite branche du lam est ce que les Arabes appellent kheneg ou défilé. Du fond de cet étranglement sort un ruisseau appelé Oued-Khorza, ou rivière du Défilé, une des branches supérieures de l'Isser. On côtoie, pendant près d'une heure, sur des couches de grès, la rive gauche de cet Oued, avant d'atteindre le fond de l'impasse étroite et abrupte formée par la concavité du lam. Là, sur un rocher qui surplombe, sont les ruines d'une forteresse qui domine. à la fois, deux sentiers : celui de gauche, et le plus difficile, conduit aux ruines appelées Menza-bent-es-Soltan ; l'autre mène chez les OuladSidi-Mohammed, qui sont établis sur le seul terrain cultivable qu'on

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