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rédigeait la charte à sa façon, dans sa langue et avec les formes propres à sa chancellerie. Nous l'avons vu; presque toujours, toujours pourrions-nous dire, si les observations de M. de Sacy sur le traité conclu à Carthage en 1270 ne signalaient une dérogation très vraisemblable à l'usage ordinaire, — presque toujours, quand les négociations avaient lieu en Afrique, le texte arabe était écrit le premier et livré ensuite aux interprètes et notaires chrétiens, qui rédigeaient séparément la charte de leur traduction ou de leur interprétation. La forme de cette translation d'une langue dans l'autre n'avait rien de précis, rien de réglementaire. Interprète et notaire procédaient comme ils voulaient, au mieux de leur expérience et de leur instruction. Ils cherchaient à reproduire toutes les conditions essentielles de la convention, en ménageant le plus possible l'amour-propre et les sentiments des chrétiens dans les cas, extrêmement rares d'ailleurs, où le texte arabe aurait eu une forme soit impérieuse, soit blessante.

Quoique les notaires chrétiens reproduisent quelquefois les formules usitées en Europe pour attester que la transcription ou la traduction était faite mot à mot, sans additions ni suppressions, ils n'ont presque jamais suivi exactement la disposition générale de l'acte arabe. Tantôt ils traduisent littéralement les phrases arabes, trop littéralement même, tantôt ils les abrègent, tantôt ils les développent. Quelquefois la pièce réunit les trois systèmes, si l'on peut employercette expression pour parler de procédés qui n'ont précisément rien de systématique et de régulier. Mais, quelle que soit la forme

suivie, l'ensemble de l'acte chrétien finit par donner complètement et exactement tout ce qu'il y a d'essentiel et de fondamental dans la rédaction arabe. C'est ce que M. de Sacy remarquait à propos d'un traité conclu en 1290 entre la république de Gênes et l'Égypte. « La tra<«<duction latine de ce traité, dit l'illustre orientaliste, << diffère beaucoup de la rédaction arabe, et l'on pourrait << la regarder comme un traité particulier de commerce << conclu par suite du traité de paix. Cependant les arti<«<cles qui concernent les sujets du sultan, quoique << exprimés d'une manière plus courte dans la rédaction << latine, sont absolument conformes pour le fond au « traité arabe. » Ce que M. de Sacy disait du traité égyptien de 1290, nous le répétons, et nous avons cherché à le prouver pour tous les traités franco-maugrebins.

Si nous possédions les traductions arabes de quelques-uns de ces traités rédigés en Europe et en langue latine, il est très vraisemblable que nous y trouverions les mêmes divergences, provenant du fait des interprètes, des secrétaires ou notaires arabes. Il se formait ainsi deux textes du même accord, chacun n'ayant de valeur et d'intérêt que pour les gens de la langue dans laquelle il était écrit. Et de même que les Arabes, ne s'inquiétant que de leur rédaction, n'admettaient pas, au cas de conflit sur l'interprétation d'un article, qu'on pût leur opposer la rédaction chrétienne quand le traité avait été primitivement rédigé en Afrique et en langue arabe, de même nous sommes porté à croire que les chrétiens n'auraient pas permis qu'on opposât une traduction arabe, quelque authentique qu'elle fût, au texte chrétien conclu en Europe et rédigé primitivement dans

une langue chrétienne, tels par exemple que les traités aragonais de Valence, de Barcelone et du col de Paniçar, de 1271, 1274, 1285, 1309, 1314 et 1323.

A l'exception de ces traités, qui sont des textes primitifs et originaux, dont nous n'avons pas la contrepartie arabe, les textes latins des autres traités que nous avons ne sont donc pas les actes primordiaux de l'accord, mais bien les interprétations ou les versions officielles et originales qui en furent faites et authentiquées dans la séance même de la conclusion des négociations ou peu après.

Réduits à leur vraie valeur comme instruments diplomatiques, ils gardent toute leur importance et leur utilité comme pièces historiques. Nous pouvons avoir la certitude que les exemplaires de ces documents, conservés encore dans les archives publiques de l'Europe, sont des actes aussi sincères et aussi dignes de confiance que tous les autres traités qu'elles renferment.

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La Sicile, après avoir vainement essayé de reconquérir Gerba, vit en paix avec les rois de Tunis.

La digression que nous avons cru devoir consacrer à l'examen et à la défense de l'authenticité des rédactions chrétiennes de nos traités a depuis longtemps interrompu le récit des faits historiques. Nous nous étions en dernier lieu occupé du commerce des Génois et des Vénitiens. Nous avions vu que Venise, nonobstant les grandes guerres nécessitées par la défense de ses possessions de terre ferme et de ses colonies maritimes contre les Milanais et contre les Turcs, et que Gênes,

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malgré ses incessantes commotions intestines, conservaient toujours l'une et l'autre un grand commerce dans la Méditerranée et surtout au Magreb. Les gouvernements des deux États continuaient à couvrir d'une protection spéciale les relations avec l'Afrique, où la marine et l'industrie des deux nations trouvaient des débouchés indispensables.

Les États du sud de l'Italie étaient moins prospères que ceux du nord et du centre. L'extinction de la famille des princes d'Aragon, survenue presque à la même époque dans sa double lignée, à Barcelone par la mort de Martin Ier en 1409, à Palerme par la mort de Martin II en 1410, priva la Sicile, réunie dès lors à la Castille, des avantages d'une royauté qu'elle avait conquise et à laquelle elle s'était attachée. Le roi Alphonse s'efforça de faire oublier aux Siciliens la perte de l'indépendance par une administration vigilante et généreuse. Il entretint leurs flottes; il flatta leur courage en les appelant à reconquérir leurs anciennes colonies d'Afrique. Sous les ordres de son frère don Pedro, duc de Noto, gouverneur de l'île, ils dirigèrent un grand armement sur l'île de Gerba, avec laquelle ils se trouvaient presque toujours en hostilité. Si l'expédition n'atteignit pas le but espéré, don Pedro parvint du moins à débarquer dans l'île de Kerkeni (1424), à l'autre extrémité du golfe de Gabès; il y fit près de trois mille prisonniers, et ne se retira, disent les historiens de Sicile, qu'après avoir obtenu d'Abou-Farès, roi de Tunis, la mise en liberté de tous les chrétiens retenus captifs dans ses États. Alphonse prit lui-même le commandement d'une autre expédition en 1431, et fut

moins heureux que son frère. Abou-Farès ne voulut pas abandonner les Gerbiotes, malgré leur insubordination habituelle. Il leur envoya de nombreuses troupes, et le roi d'Aragon, à peine débarqué à Gerba, fut obligé de reprendre la mer.

Détourné par ces échecs répétés de poursuivre ses projets en Afrique, Alphonse chercha depuis lors à vivre en bonne intelligence avec les princes arabes, en se bornant à demander le rétablissement des anciens traités et la mise en liberté réciproque des captifs. La négociation paraît avoir été d'assez longue durée.

C'est à ces relations pacifiques que se rapportent les extraits de la Chronique de l'abbaye de Saint-Martin des Échelles près de Palerme, publiés dans nos documents. Le frère Jean Mayali, moine de Saint-Martin, en fut l'agent accrédité au nom d'Alphonse auprès des rois d'Afrique. Mayali, qui jouissait d'une grande estime à la cour du prince arabe, résida longtemps à Tunis avec les pleins pouvoirs d'envoyé et de négociateur du roi d'Aragon et de Sicile. On l'y voit en 1438, en 1443; on l'y retrouve en 1451. Par ses soins, des trêves furent renouvelées entre les deux pays, et les navires siciliens purent commercer, quelque temps au moins, en sécurité dans le royaume de Tunis, comme ils commerçaient encore avec la Grèce et la Syrie.

1437-1456.

Griefs et réclamations des marchands arabes et chrétiens.

Les rois d'Afrique, en veillant généralement à prévenir ou à réprimer les agressions de leurs sujets, eurent souvent à se plaindre aussi auprès des gouver

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