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Que les Turcs, comblez de douleurs,
Ayans perdu huit cens des leurs,
En cette attaque assez hardie
Qui pour eux devint tragedie
Par l'ardeur et noble courroux
Du brave et genereux de Roux,
Maudirent leur folle surprize
Et leur temeraire entreprize
Qui ne servit de rien, sinon
Que d'etre, à grands coups de canon,
Rechassez jusque dans leurs hutes
Non sans faire bien des culbutes.

LETTRE QUARANTE-SIX (du samedy vingt-deuxième Novembre)

Ma Musette n'a pas trop ry

De la prize de Gigery.

On avoit déja commencé

Cet ouvrage était avancé,

Un port de guerre, place guerrière,

Fut notre conquete première,

Mais soit que messieurs les Destins,
Pires souvent que les Lutins,
N'eussent pas signé l'ordonnance
Du brave projet de la France,
Nos avanturiers généreux
Voyans venir fondre sur eux
Des tourbillons épouvantables
De mécréans innumerables,

(C'est à dire, vingt contre deux),
Quoy qu'ils fussent gens hazardeux,
Préférans contre cet orage

La prudence à leur grand courage
Concevans quelque espoir alors
D'y retourner un jour plus forts
Abandonnèrent cette ville,
Dont le terroir sec et stérile

Ne produit jamais vin, ni pain,
Ny pour la soif, ny pour la faim.
Dieux! que le sort, dans ses caprices,
Rempli d'effroyables malices,

Cauze au monde de grands mèchefs!
Six cens soldatz, avec leurs chefs

Du régiment de Picardie

(O traître sort, Dieu te maudie !)
Cherchans un lieu de sureté
Pour fuir la captivité

Qu'ils eussent souffert chez les Mores,
Et pluzieurs maux pires encores,
Assavoir la honte et la mort,
Sont péris presque dans le port;
Car le large vaisseau de guerre (1)
Qui les transportoit vers la terre
S'étant ouvert dans un moment,
Fit choir épouventablement
Ce brave et misérable monde
Dans les creux abimes de l'onde.

Ce fut près le port de Toulon

Que le sort bizarre et félon,
Par une soudaine ouverture,

Cauza cette triste avanture.

LETTRE QUARANTE-SEPTIEME (du samedy, vingt-neufième Novembre)

On dit que le duc de Beaufort,
Que les Mores redoutent fort,
Leur a pris, assez loin de terre,
Un notable vaisseau de guerre

Plein de richesses et de biens,

Qu'ils avoient pris sur les Chrétiens ;
Lequel vaisseau, considérable

Et de grandeur presque admirable

(1) Le vaisseau la Lune; il sombra à pic, et très peu de passagers échappèrent à la mort. Une des victimes fut M. de Villedieu, dont la femme eut un moment de célébrité comme poète et bel esprit.

(A ce que j'en puis coliger),
Se nommoit l'Amiral d'Alger.

Et, s'il est vray ce qu'on en conte,
Armé de cent canons de fonte.

CONTINUATEURS DE LORET

LETTRE DU 27 JUIN 1665 (Mayolas) (1)

Monseigneur le duc de Beaufort,
Prince très brave et d'esprit fort,
Dont la valeur et le courage
Ne craint ny trépas ny naufrage,
S'alla poster devant Alger,
Sans appréhender le danger,

Voulant dix vaisseaux reconnaitre.

Son abord les fit disparaitre
Et n'ozèrent plus aprocher
Ce duc, ferme comme un rocher.
Voyant sa bonne contenance
Prest a se batre d'importance,
Ils firent promptement ramer
Tous les vaisseaux en pleine mer.
Cet amiral vaillant et sage
Fut faciliter le passage

De tous nos navires marchans,
Surpris souvent par ces méchans.
Après quoy, conduizant sa flote
Le long de la prochaine côte,
Il revint visiter nos ports,
Et de Toulon touche les bords
Pour faire bâtir maint navire,

Par l'ordre de notre Grand Sire.

(1) La Muze Historique se termine par la lettre bebdomadaire du samedi, 28 mars 1665; elle durait depuis le mercredi, 4 mai 1650. — Loret étant mort au mois de mai 1665, son œuvre fut continuée par Gravette de Mayolas et Robinet.

LETTRE DU 16 SEPTEMBRE 1665 (Mayolas)

Le duc de Beaufort, qui, sans cesse,
Par sa valeur et son adresse,
Vogue, cingle et règne sur mer,
Avoit l'œil au guct près d'Alger
Pour épouvanter ces Barbares,
Plus dangereux que les Tartares.
Mais, ayant ouï tout de bon
Le terrible bruit du canon,
Remply de courage et de zèle,
Il se rendit près de Sarcelle
Pour rejoindre maint gros vaisseau
Qui, près de terre, étoit sur l'eau.
Prenant Sainte-Anne et la Royale,
D'une vitesse sans égale,

Il courut du côté des lieux
D'où venait le bruit furieux.
Il apercut avec liesse
Aupres de cette forteresse
Cinq navires des ennemis
Qui là, par hazard, s'étoient mis,
Accompagné de tout son monde
Qui dans le peril le seconde
Du commandeur Pol, courageux,
Du marquis de Martel, très preux,
Il les ataque, il les canonne,
N'epargne vaisseau ny personne,
Les charge vigoureusement,
Les blesse dangereuzement,
Rompt les mats et perce les toiles
De leurs plus favorables voiles,
Emporte la teste et les bras

Des capitaines et soldats;

De sorte que tous ces corsaires,

Quoy qu'ils soient beaucoup temcraires,

Furent contraints de reculer

Et de promptement s'en aller.

Alors ce prince avec ses troupes,
Dans des barques et des chaloupes,

Les poursuivant, prit l'amiral,
Le Croissant, le vice-amiral
Et remporta toute la gloire

De cette celebre victoire.

LETTRE DU 25 OCTOBRE 1665 (Mayolas)

Du Louvre, on porta dix drapeaux
Illustres, riches, grands et beaux,
Que le duc de Beaufort nagueres
A remporté sur les corsaires
Au son des trompettes, tambours,
Plus éclatans que les discours
Dans l'église de Notre Dame
Ou tous les jours on la reclame.

H.-D. DE GRAMMONT.

(A suivre).

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