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par de fréquentes expéditions et des siéges très-prolongés. De son côté, le sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr y envoyait ses meilleurs officiers et ses vizirs les plus habiles, afin que la conservation de cette place importante fût toujours garantie par la présence des hommes de mérite et de courage. Il y faisait passer de l'argent, des armes et des troupes, en recommandant aux habitants de tenir ferme, de supporter leurs maux avec patience et de compter sur sa constante sollicitude. Chaque fois qu'AbouTachefin voyait le sultan s'apprêter à marcher au secours de la ville ou se disposer à attaquer les troupes qui la tenait étroitement bloquée, il lui suscitait un adversaire afin de déjouer son projet et de ralentir son ardeur. De tous ces agents de désordre, Hamza-Ibn-Omar était le plus actif; il poussait les Arabes à la révolte, rassemblait des bandes pour les lancer contre la capitale, et mettait en avant quelque membre de la famille des Hafsides, en lui faisant convoiter le bien d'autrui, la dignité du khalifat. Telle fut son habitude pendant toute cette époque.

En 725 (1324-5), quand Abou-Tachefin envoya Ibn-es-Chehid en Ifrîkïa avec un corps d'armée commandé par Mouça-Ibn-Aliel-Kordi, Hamza et ses partisans marchèrent avec eux. Le siége de Constantine déjà entrepris et abandonné, fut recommencé en l'an 728 (1327-8). Le général abd-el-ouadite ayant porté le ravage dans les alentours de cette place, passa encore une fois dans la vallée de Bougie et bâtit une nouvelle ville à Tiklat. Cet endroit est situé à une journée de marche de Bougie, au débouché du chemin qui mène de l'Occident en Orient. Comme Bougie se trouve sur l'embranchement de cette route qui mène à la mer, ils choisirent cette localité pour l'emplacement de leur ville. Ayant réuni un grand nombre de bras et assigné à chaque corps de l'armée une partie du travail, il parvint à terminer sa tâche dans l'espace de quarante jours. Cette ville reçut le nom de de Temzezdekt afin de rappeler le souvenir de l'ancienne cita

La route suivie par les Abd-el-Ouadites passait par Tedellis (Dellys) et Zaffoun, forteresses où ils tenaient des garnisons, et par la montagne appelée Djebel-ez-Zan.

delle abd-el-ouadite, située sur la montagne vis-à-vis d'Oudjda, et dans laquelle Yaghmoracen s'était défendu contre Es-Said qui, comme on le sait, mourut pendant le siége. On approvisionna la place et on y établit une garnison de cavalerie, d'infanterie et de contingents des tribus [voisines], afin d'intercepter les communications avec Bougie.

Le sultan [Abou-Yahya-Abou-Bekr] conçut de graves inquiétudes en voyant occuper cette position et ordonna à ses généraux, à ses gouverneurs de province, à ses affranchis et à ses serviteurs de conduire leurs troupes au secours de MohammedIbn-Séïd-en-Nas, commandant de Bougie, et de mettre en ruine la nouvelle ville, dussent-ils y périr tous. En conséquence de cet ordre, Dafer-el-Kebîr se mit en marche de Constantine, AbdAllah-el-Akel partit du pays des Hoouara, Dafer-es-Sinan sortit de Bône, et ils arrivèrent à Bougie en l'an 727 (1327). Mouça-IbnAli fut averti de leur approche et appela à son secours les détachements abd-el-ouadites qui se trouvaient dans les contrées derrière sa position. Les troupes venues an secours de Bougie sortirent sous le drapeau d'Ibn-Séïd-en-Nas et marchèrent contre le camp à Tîklat, mais elles furent trahies par la fortune et durent reprendre le chemin de la ville, après avoir perdu beaucoup de monde. Dafer-el-Kebir fut tué dans cette bataille. Comme Ibn-Séïd-en-Nas s'était concerté secrètement avec Mouça-IbnAli [-el-Kordi] à l'effet de se ménager réciproquement aux dépens des intérêts de leurs maîtres, il se méfia de ses auxiliaires et leur ferma les portes de la ville; aussi ces troupes partirent le lendemain pour leurs provinces respectives.

Le sultan donna alors le commandement de Constantine à Abou-'l-Cacem-Ibn-Abd-el-Azîz. Cet officier fut rappelé au bout de quelques jours pour assister Mohammed-el-Mizouar-Ibn-Abdel-Azîz dans les fonctions de chambellan. En effet, celui-ci n'avait pas les talents nécessaires pour remplir une pareille charge. L'affranchi Dafer-es-Sinan fut nommé chambellan de l'émir Abou-Abd-Allah, fils du sultan et gouverneur de Constantine.

4 Les manuscrits portent Eiça à la place d'Ali,

T. II.

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Dafer garda cette place jusqu'à ce que l'édifice de sa fortune fût renversé.

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Les antécédents d'[Abou-Abd-Allah-Mohammed-Ibn-Abd-elAzîz-el-Kordı], surnommé El-Mizouar, me sont peu connus; tout ce que j'en sais se réduit aux faits suivants: il avait pour aïeul un de ces chefs kurds qui vinrent en Maghreb, après avoir été chassés de Chehrezour 2, leur lieu natal, lors de la prise de Baghdad, en l'an 656 (1258). Quelques-uns d'entre eux se fixèrent à Tunis; d'autres s'établirent à Maroc sous la protection du sultan El-Morteda, d'autres encore se rendirent au milieu des tribus mérinides, et le reste alla demeurer chez les BeniAbd-el-Ouad, ainsi qu'on peut le voir dans l'histoire de ce dernier peuple. Parmi ceux qui restèrent à Tunis, se trouva l'ancêtre du sujet de cette notice. Mohammed-Ibn-Abd-el-Azîz fut élevé à la cour de l'émir Abou-Zékérïa second, seigneur de Bougie et de Constantine. Ayant été le compagnon d'enfance des fils de ce prince, il grandit sous un haut patronage, et se rendit, plus tard, à Tunis dans la suite de l'émir Abou-Yahya-AbouBekr, fils d'Abou-Zékérïa. A cette époque, il faisait partie de la société intime du prince et commandait le corps des domestiques appelé la Dakhla (gens de l'intérieur). Ce fut pour cette raison qu'il porta le titre d'El-Mizouar (l'introducteur). Sa haute intelligence, la dignité de ses manières et sa piété profonde lui avaient assuré une grande considération à la cour. Dénoncé par lui, en l'an 724, le chambellan Ibn-el-Caloun prit la fuite et alla

A la place des noms que nous avons mis entre parenthèses, les manuscrits et le texte imprimé portent Mohammed-Ibn-el-Caloun, leçon inadmissible.

* On trouvera dans le chapitre du troisième volume qui contient la notice de Mouça-Ibn-Ali, des renseignements sur les Kurds qui passerent en Afrique après la chute du khalifat de Baghdad.

trouver Ibn-Abi-Amran. Nommé chambellan, en remplacement du transfuge, El-Mizouar, qui n'était qu'un guerrier plein d'audace et de courage, se fit aider dans ses nouvelles fonctions. par le secrétaire Abou-l-Cacem-Ibn-Abd-el-Aziz, n'ayant pas les connaissances requises pour remplir une telle position. Il resta en place jusqu'à sa mort, événement qui eut lieu dans le mois de Châban 727 (juin-juil. 4327).

Le sultan avait offert la place de chambellan à mon grand-père, Mohammed-Ibn Khaldoun, sans pouvoir le décider à l'accepter. Bien que le prince l'eût invité à revenir sur sa détermination, mon parent persista dans son refus; car, depuis plusieurs années, il s'était adonné à la dévotion et n'aspirait qu'à jouir d'une vie tranquille, loin des grandeurs. Il conseilla toutefois au sultan de choisir Mohammed-Ibn-Abi-'l-Hocein-Ibn-Séïd-en-Nas, gouverneur de Bougie, en lui faisant observer que les ancêtres de ce personnage avaient été longtemps au service de ceux du souverain; qu'il possédait une nombreuse clientèle et qu'il avait toujours déployé une grande énergie dans les affaires dont on l'avait chargé. Je tiens ces renseignements de feu mon père.

Un de mes amis, Mohammed-Ibn-Mansour-Ibn-Mozni, m'a fourni sur le même sujet les détails suivants : « Le jour même de la mort » d'El-Mizouar, me dit-il, j'allai prévenir votre grand-père que » le sultan l'attendait au camp de Bédja. On l'introduisit dans la »tente royale où il resta quelque temps, et, à sa sortie, il apprit >> que la nouvelle de sa nomination s'était répandue parmi les » courtisans. Il démentit ce bruit et, le même jour, la place de » chambellan fut confiée provisoirement au secrétaire Abou-'l>> Cacem-Ibn-Abd-el-Azîz. Le sultan fit alors chercher le fils du » chambellan de son père, et, dans le mois de Moharrem 728 » (nov.-déc. 1327), Mohammed, fils d'Abou-'l-Hocein-lb n-Séïd» en-Nas, arriva à la cour et reçut sa nomination. » A cette faveur fut ajoutée celle d'un diplôme confirmatif de l'acte en vertu duquel il exerçait déjà le gouvernement de Bougie et les fonctions de chambellan auprès du prince royal établi dans cette ville. Ibn-Séïd-en-Nas se fit remplacer à Bougie par Mohammed

Ibn-Ferhoun, une de ses créatures, et par son secrétaire Abou'l-Cacem-Ibn-el-Merid '.

Sur ces entrefaites, les troupes zenatiennes continuèrent à parcourir le territoire de Bougie et à resserrer la ville au moyen de forts qu'elles élevèrent sur les hauteurs voisines. Presqu'aussitôt après l'arrivée d'Ibn-Séïd-en - Nas, l'ancien chambellan, Ibn-el-Caloun, se présenta à la cour, ayant obtenu sa grâce par suite des démarches que son hôte, Ali-Ibn-Ahmed, chef des Douaouida, venait de faire en sa faveur. Il espérait mème obtenir sa réintégration dans la place de chambellan. Reprenons l'histoire de ce personnage.

Laissé à Tunis par le sultan [en l'an 721], il embrassa le parti d'Ibn-Abi-Amran; ensuite, il voulut passer en Espagne, mais le retour imprévu du sultan l'empêcha d'exécuter ce dessein. Pour échapper au danger, il s'éloigna avec Ibn-Abi-Amran et assista aux expéditions que ce prince dirigea contre la capitale. Plus tard, il se rendit à Tlemcen et, rentré de nouveau en Ifrîkïa avec Ibn-es-Chehid, il y commit des actes de brigandage épouvantables. Quand la fortune se déclara contre Ibn-es-Chehîd, il chercha un asile parmi les Douaouida et fixa son séjour à Tolga, ville du Zab, où il demeura quelque temps sous la protection d'Ali-Ibn-Ahmed, chef de ce peuple. A la fin, il reçut le pardon de ses trahisons, grâce aux démarches de son hôte, dont le frère, Mouça-Ibn-Ahmed, le ramena à Tunis. Il espérait même obtenir la place de chambellan, mais Ibn-Séïd-en-Nas y était déjà installé. Dans une audience que le sultan lui accorda, il promit de faire oublier le passé par un dévouement désormais inaltérable, et, ayant obtenu sa nomination au gouvernement de Cafsa, il partit pour cette ville avec Bechîr et Fareh, affranchis d'origine européenne qui étaient au service du sultan. Ibn-Séïd-en-Nas avait déjà expédié aux cheikhs de Cafsa l'ordre d'arrêter l'escorte d'Ibn-el-Caloun; voulant ainsi procurer aux deux affranchis l'occasion de lui ôter la vie. Quand cette troupe fut venu camper à la porte de la ville, Kichli, officier qui en faisait partie

1 Variante: Mezid.

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