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juin 1318), le sultan entra à Tunis où il resta assez de temps. pour recevoir de toute la population [le serment de fidélité]. Il donna le commandement de la chorta (cavalerie de police) à Meimoun-Ibn-Abi-Zeid et le chargea de gouverner la ville durant son absence. S'étant alors mis à la poursuite d'Abou-Darba, il l'atteignit à Messouh, dans le pays des Hoouara, et lui tua beaucoup de monde. Dans cette journée on compta parmi les morts Abou-Abd-Allah-Ibn-es-Chehîd, cheikh almohade et membre de la famille royale, Abou-Abd-Allah-Ibn-Yacîn, autre cheikh almohade, et Abou-'l-Fadl-el- Bédjaï 1, l'un des secrétaires d'état. Abou-Mohammed-Abd-Allah-Ibn-Yaghmor, premier ministre de l'empire, fut fait prisonnier et conduit devant le sultan qui lui accorda non seulement la vie mais de grandes marques de considération. Quelque temps après, il fut rétabli dans son ministère. Dans le mois de Redjeb (septembre), le sultan rentra à Tunis.

Revenons au sultan Abou-Yahya 2-el-Lihyani. En 717(1317), quand ce prince fut averti que le sultan [Abou-Yahya-AbouBekr] marchait sur Tunis pour la seconde fois et que les Almohades et les Arabes avaient proclamé Abou-Darba, il quitta Cabes et se rendit dans la province de Tripoli. Ensuite il reçut la nouvelle de la retraite du sultan, ce qui le décida à se fixer dans cette ville. Il établit le siège de son gouvernement dans le Tarma, édifice qu'il avait fait bàtir contre la muraille de la ville, du côté de la mer, et il envoya ses percepteurs dans les pays voisins pour y recueillir l'impôt. Abou-Abd-Allah-Ibn-Yacoub, parent de son chambellan, et Hedjrès-Ibn-Morghem, chef des Djouari debbabiens, furent chargés de soumettre les montagnes de Tripoli. Ils réduisirent les forts de cette région et se firent payer l'impôt dans toutes les contrées qui s'étendent de là jusqu'à Barca, et Ibn-Yacoub prit au service du sultan les Al-Soleiman et les Al-Salem, Arabes de la tribu de Debbab. Il revint ensuite auprès de son maître. Ce prince, ayant alors appris que

1. Variantes: Et-Tidjani, El-Tidjami.

2. Les manuscrits portent, à tort, Abou-Eïça.

l'armée de son fils Abou-Darba avait essuyé une déroute totale, fournit des sommes considérables à son chambellan Abou-Zékérïa-Ibn-Yacoub et à son vizir Abou-Abd-Allah-Ibn-Yacín, en les chargeant d'aller lever des troupes chez les Arabes. Tout cet argent fut distribué aux Allac et aux Debbab.

Abou-Darba s'était encore mis en marche pour atteindre Cairouan, quand le sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr quitta Tunis, le 29 Châban 718 (fin d'octobre 1318) et se mit à sa poursuite. Ses troupes évacuèrent à la hâte la ville qu'elles venaient d'occuper; puis, s'étant encouragées à combattre, elles mirent leurs chameaux aux entraves, bien résolues, disaient-elles, à mourir plutôt que de fuir; mais, quand l'armée du sultan commença à déboucher par le col de Feddj-en-Naam, toute cette cohue se dispersa et prit la fuite en abandonnant ses chameaux. Pendant la déroute, les troupes du sultan tuèrent un grand nombre de fuyards et firent un butin immense. Abou-Darba et les débris de son armée coururent s'enfermer dans El-Mehdia, ville qui reconnaissait l'autorité de son père, Ibn-el-Lihyani. Quand la nouvelle de cette défaite fut portée à Tripoli, de graves désordres éclatèrent dans le campet mirent Abou-YahyaIbn-el-Lihyani dans la nécessité de demander aux Chrétiens ' l'envoi d'un navire pour le transporter à Alexandrie. Ils lui en expédièrent six dans lesquels il s'embarqua avec sa famille, ses enfants et son chambellan Abou-Zékérïa-Ibn-Yacoub. Son parent et gendre, Abou-Abd-Allah-Ibn-Abi-Amran, resta à Tripoli pour lui servir de lieutenant. Quelque temps après, cet officier passa chez les Kaoub, sur leur invitation, et fit avec eux plusieurs incursions sur le territoire du sultan, ainsi que nous aurons à le raconter plus loin.

Débarqué à Alexandrie, Ibn-el-Lihyani fut accueilli avec de grands égards par Mohammed-Ibn-Calaoun, sultan de race turque qui régnait alors sur l'Égypte et la Syrie. Il mourut dans

1. Probablement aux chrétiens qui tenaient garnison dans l'île de Djerba.

ce pays, l'an 728 (1327-8), comblé de faveurs, d'honneurs et de

fiefs.

Après la défaite d'Abou-Darba à Feddj-en-Naam, le sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr s'en retourna à Tunis où il fit son entrée dans le mois de Choual de cette année (nov.-déc. 1318). Toutes les provinces de l'Ifrîkïa, ses villes et ses places fortes, à l'exception d'El-Mehdïa et de Tripoli, reconnurent l'autorité du vainqueur.

MORT D'IBN-GHAMR A BOUGIE 1.

Le chambellan Abou-Abd-er-Rahman-Ibn-Ghamr devint maître absolu de Bougie, en l'an 715 (1315-6), lorsque le sultan, après avoir quitté cette ville pour ne plus y rentrer, transporta sa cour à Constantine. Deux années plus tard, ce prince, étant de retour de sa seconde expédition contre Tunis, envoya MansourIbn-Fadl[-Ibn-Mozni] auprès d'Ibn-Ghamr et le fit accompagner par le caïd Abou-Abd-Allah-Mohammed, fils de l'ancien chambellan Abou-'l-Hocein-Ibn-Séïd-en-Nas. Ils eurent pour mission de disposer les palais de Bougie pour la prochaine arrivée de leur maître. Ibn-Ghamr les renvoya sans vouloir les recevoir, mais il sut conserver les bonnes grâces du souverain en lui expédiant, avec le plus grand empressement, tous les secours qu'il avait demandés. Ce fut à cette occasion que le sultan le nomma gouverneur de Bougie et de Constantine. Ibn-Ghamr se trouva ainsi seigneur de la ville et de la province de Bougie, ne rendant aucun autre hommage au sultan que celui de conserver son noin dans la prière publique et sur les monnaies.

Quand le sultan eut établi son autorité à Tunis, [Ali-Ibn-] Mohammed-Ibn-Ghamr se rendit, par son ordre, auprès d'AbouAbd-er-Rahman-Ibn-Ghamr, et celui-ci donna à l'envoyé ?, qui était son cousin, le commandement de Constantine. Mo

1. Dans le texte arabe, Ibn-Khaldoun fait suivre ce titre par un autre qui appartient, en réalité, au second chapitre qui vient après celui-ci. 2. Dans le texte arabe, il faut insérer le mot lého après el-hadjeb,

hammed alla s'y établir et Abd-er-Rahman continua à défendre Bougie contre les attaques des Zenata. Retraçons l'histoire de ces expéditions.

1

Abou-Hammou[-Mouça], seigneur de Tlemcen, ayant vaincu Mohammed-Ibn-Youçof et repris sur lui les pays des Maghraoua et des Toudjîn, envoya une armée contre Bougie et fit bâtir sur la rivière, à deux journées de la ville, le fort de Tegger pour servir de station à son armée pendant le blocus de la place. En l'an 718, après la mort de ce prince, son fils et successeur, Abou-Tachefin, donna quelque répit à Bougie, et le sultan put en profiter pour s'emparer de Tunis. Quelque temps après, Abou-Tachefîn quitta Tlemcen pour rétablir l'ordre dans ses états, et il réussit à tuer Mohammed-Ibn-Youçof qui s'était réfugié dans le Ouancherîch. On verra les détails de cet événement dans l'histoire des Beni-Abd-el-Ouad. A la suite de cette victoire, il marcha sur Bougie et arriva en vue de la place l'an 719; mais, après avoir reconnu qu'elle était beaucoup plus forte qu'il ne l'avait pensé et qu'elle renfermait une garnison nombreuse, il reprit le chemin de Tlemcen.

La même année, dans le mois de Choual, Ibn-Ghamr tomba malade et fit appeler son cousin, Ali-Ibn-Mohammed-Ibn-Ghamr, qui commandait à Constantine, afin de lui remettre le gouvernement de Bougie en attendant les ordres du sultan. Quelques jours plus tard (novembre-décembre 1319), il mourut dans son lit.

Le sultan conçut alors de vives inquiétudes au sujet de cette forteresse, et y envoya en toute hâte Ibn-Séïd-en-Nas accompagné de l'intendant du palais. Celui-ci eut pour mission de s'emparer de l'héritage et des trésors laissés par Ibn-Ghamr. Il réussit à tout découvrir et à rapporter au sultan une quantité énorme d'effets et d'argent. Ali-Ibn-Ghamr l'accompagna à Tunis et reçut de la bienveillance du sultan un emploi qui comblait

1. En arabe, Calât-Tegger; ailleurs, le nom de ce fort est écrit Hisn-Bekr. Tegger parait être une des nombreuses formes du mot Tagrarert (station). Bekr est le mot Tegger ponctué d'une autre

manière.

ses espérances. Il continua à séjourner dans la capitale jusqu'à l'époque où il prit part à la révolte d'Ibn-[Abi-]Amran. Plus tard, il fit sa soumission, mais le sultan ne lui pardonna jamais ses liaisons avec un rebelle et le fit assassiner par les affranchis Nedjah et Hilal. Ils le surprirent au moment où il sortait de son jardin et le blessèrent si gravement qu'il en mourut.

L'ÉMIR ABOU-ABD-ALLAH EST NOMMÉ GOUVERNEUR DE CONSTANTINE. SON FRÈRE, L'ÉMIR ABOU-ZÉKÉRÏA, OBTIENT LE GOUVERNEMENT DE BOUGIE ET REÇOIT IBN-EL-CALOUN POUR CHAMBELLAN.

Après la mort d'Ibn-Ghamr, le sultan réfléchit sérieusement sur la situation de Bougie qui était presque toujours bloquée et insultée par les Beni-Abd-el-Ouad. Il prit enfin la résolution d'augmenter les garnisons de ses forteresses occidentales et d'y établir ses fils pour mieux les défendre. L'émir Abou-AbdAllah reçut, en conséquence, le gouvernement de Constantine, et son frère, Abou-Zékérïa, fut nommé gouverneur de Bougie. Comme ces princes étaient encore très jeunes, le sultan leur donna pour chambellan et directeur Ibn-el-Caloun et plaça aux ordres de ce ministre un corps de troupes, en lui ordonnant de se tenir dans Bougie, ville toujours exposée aux attaques de l'ennemi. Au commencement de l'an 720 (fév.-mars 1320), les princes quittèrent Tunis avec une brillante escorte.

La place de chambellan auprès du sultan était ainsi devenue vacante, mais il n'y eut pas de nomination par égard pour Ibnel-Caloun; seulement, la direction des affaires publiques fut confiée à Abou-Abd-Allah-Mohammed-Ibn-Abd-el-Azîz-elKordi, qui reçut à cette occasion le titre d'El-Mizouar. Il était chef de la Dakhla serviteurs attachés à la personne] du sultan. Le ministère des finances passa au secrétaire Abou-'l-CacemIbn-Abd-el-Aziz. Nous raconterons plus loin les antécédents de ces deux hommes.

Ibn-el-Caloun partit ainsi pour Bougie, revêtu d'une charge également haute et honorable.

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