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envoya alors une ambassade auprès d'Abou-Hammou et obtint une suspension d'armes moyennant la cession de cette place. Abou-Hammou y établit une garnison, obtint en mariage la fille de l'émir de Bougie, et envoya au-devant d'elle jusqu'à la frontière de ce royaume, une députation composée de ses vizirs et des notables de son peuple.

Le prince de Bougie se tira ainsi d'un grand embarras; mais, pendant sa guerre avec Abou-Hammou, il avait fait inviter Abou-Zian, fils du sultan Abou-Saîd, à quitter Tunis pour aller s'établir à Tedellis, d'où il pourrait donner de l'occupation à son cousin, le sultan abd-el-ouadite, et l'empêcher d'attaquer Bougie. Depuis la mort d'Ibn-Tafraguîn, l'émir Abou-Zîan n'était pas sorti de Tunis; mais, [ayant reçu cette invitation et] encouragé par les messages de quelques factieux de Tlemcen, cheikhs de la tribu des Abd-el-Ouad, il résolut d'envahir les états d'Abou-Hammou et d'accepter les offres de coopération que ces gens malintentionnés lui avaient faites. S'étant donc mis en route pour atteindre la frontière qui séparait la principauté de Bougie d'avec le royaume de Tlemcen, il passa auprès de Constantine sans vouloir y entrer. Le sultan Abou-'l-Abbas, seigneur de cette ville, s'offensa d'un procédé si peu respectueux et fit arrêter et emprisonner celui qui en était l'auteur.

A cette époque, Abou-'l-Abbas était encore en guerre avec son cousin Abou - Abd - Allah. Celui-ci, d'un caractère extrêmement sévère, traitait les habitants de Bougie très-durement; à peine eut-il régné deux ans que, déja, une cinquantaine d'entre eux avaient été décapités par ses ordres. Le peuple, excédé de tant de cruautés, pria enfin le sultan Abou-'l-Abbas de mettre à profit les derniers succès qu'il avait obtenus et de les délivrer de la tyrannie qui les accablait. En l'an 767 (1366)1, à la suite de cette communication, Abou-'l-Abbas marcha sur Bougie. L'émir Abou-Abd-Allah sortit à sa rencontre et alla

1 Daus le texte arabe, on lit : « à la fin de l'an 767.» Mais on voit par les dates données plus loin que l'expédition dont il s'agit eut lieu vers le milieu de l'année.

camper à Lebzou, montagne qui domine Tagrert1. Le lendemain, au point du jour, il se laissa surprendre par l'ennemi et s'enfuit au grand galop, mais il fut atteint par les cavaliers envoyés à sa poursuite et tué à coups de lance. Abou-'l-Abbas fit son entrée à Bougie le vingtième jour de Châban (mai), à l'heure de midi. Les habitants s'étant empressés de faire leur soumission pour éviter les malheurs d'une prise d'assaut, tout se terminal heureusement 2.

Le sultan Abou-Hammou manifesta une colère extrême en apprenant la mort de son beau-père, et il déclara son intention. d'en tirer vengeance; mais, dans le fond, il était bien aise d'avoir trouvé un prétexte pour couvrir ses projets ambitieux. Ayant rassemblé son armée et levé de nombreuses troupes chez les Arabes et les Zenata, il partit pour Bougie à la tête d'une multitude immense. Arrivé au terme de sa marche, il remplit de ses tentes tous les environs de la ville.

Le sultan Abou-l-Abbas voulait sortir pour le combattre, mais, à la prière des habitants, il consentit à rester avec eux. Sur un ordre qu'il expédia à Constantine, son affranchi Bechîr mit en liberté l'émir Abou-Zîan, lui fournit de beaux habits, des chevaux, un équipage complet; puis, l'ayant escorté jusqu'en face du camp d'Abou-Hammou, il dressa ses tentes au pied de la montagne des Beni-Abd-el-Djebbar. Informé alors du mécontentement qui régnait dans l'armée assiégeante, et surtout parmi les Arabes, il se mit, avec son protégé, à harasser les abords du camp depuis le matin jusqu'au soir.

Le sultan Abou-Hammou s'aperçut alors que la conquête de Bougie ne serait pas aussi facile qu'il l'avait pensé ; trompé par

Il y a une localité près de Tiklat qui porte le nom de Tagrert. Si c'est l'endroit dont notre anteur a voulu parler, il faut modifier l'indication donnée dans la table géographique du premier volume, article Lebzou; la véritable position de cette montagne serait alors à quatre lieues N. E. de celle que nous lui avons assignée.

2 Voy. p. 73 de ce volume.

quelques intrigants, fauteurs de sédition, qui étaient venus lui promettre de la part des principaux cheikhs que les portes de la ville lui seraient ouvertes, il avait négligé toute espèce de précaution et s'était avancé étourdiment jusqu'au pied de la forteresse, sans se douter des obstacles qu'il devait y rencontrer. Il eut alors le regret de voir son armée découragée par la résistance des assiégés, ses convois interceptés, et d'apprendre que le mauvais esprit de ses troupes auxiliaires ne faisait que s'accroître depuis qu'elles avaient devant elles, dans les rangs de l'ennemi, un prétendant au trône de Tlemcen. Les chefs arabes, prévoyant une catastrophe et craignant la mauvaise humeur du sultan, prirent entre eux la résolution de l'abandonner à l'heure du combat.

Abou-Hammou ayant alors reconnu que les cheikhs de la ville l'avaient trompé, se décida à livrer l'assaut, et, malgré l'avis des hommes compétents, il fit dresser ses pavillons sur une colline très-accidentée qui touchait presqu'aux remparts. Tout à coup, la garnison fit une sortie, chassa la garde de ses tentes et les abattit à coups d'épée. Les Arabes, voyant de loin ce qui se passait, tournèrent bride et entraînèrent dans leur fuite le reste de l'armée. Le sultan se hâta de faire charger ses bagages, mais il dut les abandonner à l'ennemi. Pendant que son armée s'éloignait dans le plus grand désordre, des bandes de montagnards se précipitèrent sur elle de chaque vallée, attaquée de tous côtés, elle ne put ni avancer ni reculer; et bientôt la route fut obstruée par la foule et encombrée de cadavres. Ce fut là un événement si extraordinaire que l'on en parla pendant longtemps.

Le harem d'Abou-Hammou fut amené à Bougie, et l'émir Abou - Zîan obtint pour lui-même la fille de Yahya le zabien, femme célèbre qui tirait son origine d'Abd-el-Moumen-Ibn-Ali, le sultan almohade. Abou-Hammou l'avait épousée à l'époque où il vivait en proscrit chez les Almohades et il l'avait toujours aimée plus que ses autres femmes. Dans le partage des dépouilles, elle échut à l'émir Abou-Zîan, qui évita, toutefois, de consommer son mariage avec elle jusqu'à ce que l'obstacle qui s'oppo

sait à leur union fût levé par une sentence juridique. Les casuistes auxquels il s'adressa décidèrent que le premier mariage s'était dissous par suite d'un parjure dont ils prétendaient qu'Abou-Hammou s'était rendu coupable à l'égard de toutes ses épouses'.

Le sultan abd-el-ouadite échappa aux périls qui l'entouraient et arriva dans la ville d'Alger presque mort de honte et de douleur. Il se rendit de là à Tlemcen.

Abou-Zian, devenu maintenant assez puissant pour entreprendre des conquêtes lointaines, rallia autour de son drapeau une foule d'Arabes et d'autres peuplades, et, pendant plusieurs années, il tint tête à son cousin, en lui disputant la partie orientale de l'empire abd-el-ouadite.

ABOU - ZIAN SOULÈVE LE PAYS DES HOSEIN ET S'EMPARE DE MÉDÉA, D'ALGER ET DE MILIANA.

Ce fut dans la soirée d'un des premiers jours du mois de Dou'l-Hiddja 767 (milieu d'août 1366), que le sultan Abou-Hammou prit la fuite, après avoir assisté à la déroute de son armée sous les murs de Bougie. L'émir Abou-Zian fit aussitôt battre ses tambours, et marcha sur les traces du fugitif jusqu'à ce qu'il atteignit le pays des Hosein. Cette tribu zoghbienne supportait avec impatience son état de dégradation et s'indignait d'être. traitée en peuple corvéable et tributaire par les diverses dynasties dont elle avait subi l'autorité. Voyant que ses maîtres cherchaient à le détourner du genre de vie que suivaient ses

Le sultan avait probablement déclaré, avec serment, qu'il regarderait ses femmes comme répudiées si telle ou telle out elle chose avait lieu de sa part ou de la leur. C'est l'espèce de divorce que les légistes appellent Talac bi-chart (répudiation conditionnelle). L'événement serait arrivé; le sultan aurait négligé d'expier son faux serment selon les formalités légales, et, par cet oubli, il aurait converti le divorce conditionnel en divorce absolu.

frères les Zoghba, dont les établissements se trouvaient devant et derrière elle, elle se jeta alors dans la révolte afin de reconquérir l'honneur. Sachant que la montagne de Tîteri lui fournirait un asile que les armées du sultan ne sauraient jamais violer, elle promit à Abou-Zîan, sous la foi du serment, de lui être fidèle jusqu'à la mort. Ensuite, elle marcha avec lui contre Médéa, ville dans laquelle le sultan Abou-Hammou avait laissé une forte garnison sous les ordres de trois vizirs: Amran-IbnMouça-Ibn-Youçof, Mouça-Ibn-Berghout et Ouadfel-Ibn-ObbouIbn-Hammad. Après un siége de quelques jours, Abou-Zîan enleva cette place et permit aux vizirs et aux cheikhs abd-elouadites d'aller rejoindre leur sultan.

Pour se soustraire à l'humiliation de payer l'impôt, les Thaleba suivirent l'exemple des Hosein et donnèrent à l'émir AbouZian l'assurance d'une soumission parfaite. Les habitants d'Alger, déjà très-mal disposés pour le gouvernement abd-el-ouadite à cause de la tyrannie de ses agents, prêtèrent l'oreille à Salem-Ibn-Ibrahim-Ibn-Nasr, émir des Thâleba, et reconnurent aussi l'autorité d'Abou-Zian. Le peuple de Miliana, invité par ce prince à imiter la conduite des Algériens, s'empressa de lui

obéir.

Le sultan Abou-Hammou commença les préparatifs d'une nouvelle expédition afin de couper court aux projets des insurgés; il envoya des émissaires chez les Arabes, il prodigua de l'argent aux tribus et leur concéda des territoires assez vastes pour satisfaire à toutes leurs exigences. En l'an 768 (1366-7), il envahit le pays des Toudjin et s'arrêta devant la Cala-t-IbnSelama, dans l'espoir d'obtenir la soumission d'Abou Bekr-IbnArîf, émir des Soueid. Presqu'aussitôt, il se vit abandonner par Khaled-Ibn-Amer. Ce chef alla joindre ses bandes à celles d'IbnArif, revint pour attaquer le sultan dans son camp et le força d'abandonner tentes et bagages et de rentrer à Tlemcen.

Peu de temps après ce revers, le sultan marcha sur Milîana et

' Voy. t. 1, pp. 124, 125.

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