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SIEGE DE BOUGIE PAR LES BENI-ABD-EL-QUAD.

En l'an 710 (1340-1), le sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr, s'étant retiré précipitamment des environs de Bougie, chargea son affranchi, Saîd-Ibn-Yakhlof, de se rendre à Tlemcen et négocier un traité d'alliance avec Abou-Hammou-Mouça, qui venait de vaincre les Zenata du Maghreb central et d'enlever toutes les villes de ce pays à la domination mérinide. La mort du sultan mérinide, Youçof-Ibn-Yacoub, [qui fut assassiné] sous les murs de Tlemcen, avait permis à Abou-Hammou de reprendre cette province, de soumettre les pays des Maghraoua et des Toudjîn, d'arracher la ville d'Alger à la domination d'Ibn-Allan et celle de Tedellis à Ibn-Khalouf [gouverneur de Bougie]. Ce traité d'alliance devait engager les parties contractantes à se soutenir mutuellement et à tourner leurs armes contre Ibn-Khalouf. Une proposition de cette nature fut d'autant plus agréable à AbouHammou qu'il espérait pouvoir en profiter pour se rendre maître de Bougie. Ayant appris, quelque temps après, qu'Ibn-Khalouf venait d'être tué et que cette ville était tombée au pouvoir du sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr, il éleva des réclamations sous le prétexte que, d'après le traité d'alliance, Bougie devait lui appartenir. Sur ces entrefaites, les Sanhadja, indignés de l'assassinat de leur chef, allèrent lui offrir leur concours dans une expédition contre la forteresse qu'il convoitait tant. Après eux, se présenta Othman-Ibn-Sebâ-Ibn-Yahya dont la fierté ne pouvait soutenir l'atteinte que le sultan Abou-Yahya-Abou-Bekr avait portée à sa considération et à son honneur en violant le saufconduit donné à Ibn-Khalouf. Il y avait encore au camp l'exchambellan Ibn-Abi-Djebbi qui venait d'accomplir le pèlerinage de la Mecque et qui s'était attaché au sultan Abou-Hammou. D'après les conseils de tous ces chefs, le souverain de Tlemcen organisa une expédition contre Bougie et en confia le commandement à ses cousins, Mohammed-Ibn-Youçof-Ibn-Yaghmoracen, Masoud-Ibn-Abi-Amer-Ibrahim et à son affranchi Moçameh. Cette colonne partit de Chelif, ville où Abou-Hammou faisait

alors sa résidence, et marcha rapidement vers sa destination. Après avoir traversé le Djebel-ez-Zan et perdu Abou-'l-CacemIbn-Abi-Djebbi, qui avait reçu l'ordre de les accompagner et qui mourut au passage de cette montagne, les troupes abd-elouadites commencèrent le siége de Bougie; mais, au lieu de continuer, elles quittèrent leurs positions afin d'aller ravager les contrées situées à l'est de cette ville. Pendant leur marche, elles mirent tout à feu et à sang, et, ayant pénétré, l'an 713 (1313), dans la montagne des Beni-Thabet, elles y répandirent la ruine et la mort. Le corps d'armée préposé à la défense de cette région leur mit, enfin, tant de monde hors de combat et remporta sur elles tant d'avantages, qu'il les força à la retraite. Ce fut alors que les Abd-el-Ouadites construisirent et approvisionnèrent leur forteresse à Zeffoun. Quand ils furent de retour de cette expédition, le sultan fit de vifs reproches à Mohammed-IbnYouçof et à Moçameh, et, en punition de leur négligence et incapacité, il leur ôta leurs commandements.

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En l'an 714 (1344-5), le sultan [Abou-Yahya-Abou-Bekr] revint de Constantine et envoya un corps d'armée contre la forteresse que les Beni-Abd-el-Ouad avaient bâtie à Zeffoun. Ces troupes, étant soutenues par la flotte qui fut expédiée de . Bougie pour le même objet, s'emparèrent de la place et la ruinèrent de fond en comble, après en avoir enlevé tous les approvisionnements. L'année suivante, une armée abd-el-ouadite, commandée par Masoud - Ibn-Abi-Amer - Ibrahîm, cousin du sultan Abou-Hammou, vint attaquer la ville de Bougie. Pendant le siége, le bruit se répandit que Mohammed-Ibn-Youçof-IbnYaghmoracen [prince de la famille royale de Tlemcen] s'était mis en révolte et, qu'ayant obtenu l'appui des Beni-Toudjîn, il s'était emparé du camp d'Abou-Hammou à la suite d'un combat qui avait amené la déroute des Abd-el-Ouadites. Masoud abandonna aussitôt ses positions et s'éloigna de la ville. Bientôt après, le sultan [Abou-Yahya-Abou-Bekr] reçut de Mohammed

1 Littéralement: il leur attacha le collier de la négligence et de l'incapacité. Il faut lire oua tauwacahoma.

Ibn-Youçof la promesse de faire cause commune avec lui et de le reconnaître pour souverain. Par suite de cette communication, Mohammed-Ibn-el-Haddj, un des serviteurs du sultan, porta au prince abd-el-ouadite les emblèmes de commandement avec un riche cadeau et l'assurance d'obtenir un secours efficace et la concession de tous les domaines que Yaghmoracen avait autrefois reçus du gouvernement de l'Ifrikia. Le sultan ayant ainsi l'Ifrîkïa, suscité à la cour de Tiemcen assez d'embarras pour l'empêcher d'attaquer Bougie, sortit avec ses troupes afin d'examiner l'état de ses provinces.

IBN-GHAMR ÉTABLIT SA DOMINATION A BOUGIE.

Le chambellan Ibn-Ghamr continuait depuis longtemps à gouverner l'esprit du sultan; il réglait toutes les volontés de ce prince; il contrôlait ses ordres et, par des insinuations perfides, il obtenait de lui la mort ou le bannissement de plusieurs courtisans. Le sultan commença enfin à se lasser d'une telle servitude, et, en l'an 713, il poussa secrètement quelques habitants de Constantine à tuer, en guet-apens, ce puissant ministre. Un plan fut adopté pour y parvenir; mais, avant de recevoir son accomplissement, il fut découvert par Ibn-Ghamr qui en fit punir les auteurs par divers genres de supplices. Dans la même année, le sultan revint à Bougie, afin de relever le courage des habitants toujours exposés aux dangers d'un siége 1, et, jusqu'au moment d'atteindre l'âge viril, il continua à subir la domination de son chambellan. A cette époque, il laissa percer la violence de son caractère, et, dans une partie de débauche, il tua de sa propre main Mohammed-Ibn-Fadl, sans même avoir prévenu le ́ministre de son intention. Le lendemain, de bonne heure, IbnGhamr se rendit à la porte du palais pour y donner audience comme d'habitude et il vit, étendu au milieu du chemin, le corps d'Ibn-Fadl, tout habillé et couvert de sang. Ayant appris

Dans le texte arabe, lisez hiçariha.

ce qui venait de se passer, il reconnut avec inquiétude que le sultan commençait à montrer de l'énergie et à agir en maître. Craignant alors pour lui-même et sachant que les intrigues des courtisans et les calomnies des intimes du palais devaient avoir dorénavant des suites redoutables, il chercha un prétexte pour décider le sultan à s'éloigner de Bougie, afin de pouvoir y commander lui-même sans opposition. Il l'encouragea donc à tenter la conquête de l'Ifrîkïa, et, ayant organisé une armée et réuni tout ce qu'il fallait en fait de tentes, de machines de guerre et de serviteurs, il se chargea de la solde des troupes et les mit à la disposition du prince, en l'invitant à marcher contre [AbouYahya-Ibn-el-Libyani et à lui enlever ce pays. En l'an 745(1315-6), Abou-Yahya-Abou-Bekr prit le commandement de cette armée et se rendit à Constantine, d'où il fit une irruption dans le territoire des Hoouara et en expulsa le commandant militaire, Dafer, et les autres affranchis hafsides au service de cet officier. Ayant levé l'impôt dans toute cette région,{il reprit le chemin de Constantine et y fit son entrée en l'an 716. Pendant ce temps, Ibn-Ghamr gouvernait la ville de Bougie en maître absolu et la défendait contre les Zenata [abd-el-ouadites], et comme le sultan avait accepté Mohammed -Ibn-Calaoun comme vice-chambellan, il se vit au comble de ses vœux et possesseur de l'indépendance qu'il avait tant souhaité. Nous le reverrons plus tard.

LE SULTAN ABOU-YAHYA-EL-LIHYANI SE REND A CABES

ET ABDIQUE.

Le sultan Abou-Yahya-Ibn-el-Lihyani étant alors très-avancé en âge, reconnut, par son expérience des affaires politiques, qu'il ne pourrait supporter plus longtemps le poids du khalifat. H venait d'apprécier les droits légitimes des descendants de l'émir Abou-Zékérïa l'ancien au trône de l'Ifrîkïa et la puissance du nouvel empire fondé par l'émir Abou-Yahya-Abou-Bekr

1 Pour hidjabetihi, il faut probablement lire hidjabeti.

dans les provinces de l'occident. Il avait même remarqué combien l'autorité de ce prince s'était augmentée par le nombre des peuples qui avaient embrassé sa cause et par l'importance des personnages qui étaient entrés dans les cadres de son armée. On y comptait plusieurs princes de souche zenatienne, les plus braves guerriers d'entre les Toudjîn, les Maghraoua, les BeniAbd-el-Ouad et les Beni-Merîn, hommes qui, par leur proche parenté avec les familles régnantes ou par le haut rang qu'ils tenaient dans leurs propres tribus, avaient encouru la jalousie de leurs souverains ou de leurs chefs et qui étaient venus à diverses époques chercher un refuge auprès du souverain de Bougie. Il y avait encore dans cette armée des natifs des pays subjagués des Maghraoua, des Toudjîn et des Melikich.

Devenu formidable aux autres rois, le sultan Abou-YahyaAbou-Bekr se mit en marche, l'an 716 (1316-7), pour envahir l'Ifrikïa, et il recueillit l'impôt dans tout le pays des Hoouara, ainsi que nous venons de le dire. Le sultan Ibn-el-Libyani s'attendait même à se voir attaquer dans Tunis, car la majeure partie de l'Ifrîkïa avait cessé de lui appartenir, et il ne conservait plus d'espoir que dans l'appui de ses alliés arabes. Ce fut pour cette raison qu'il partagea son autorité avec Hamza-Ibn-OmarIbn-Abi-'l-Leil', qu'il lui accorda le comirandement absolu de toutes les populations arabes, et qu'il lui prodigua même les trésors de l'empire. Comme cette conduite n'avait servi qu'à accroître l'insolence des Arabes et leur insubordination, il se décida à renoncer au khalifat et à sortir du mais il songea pays; d'abord à emballer son argent et ses trésors; ensuite, il fit vendre tous les meubles, tapis, vases et autres objets précieux qui se trouvaient dans les garde-meubles de la couronne et jusqu'aux livres de la bibliothèque que l'émir Abou-Zékérïa l'ancien avait formée. Ces volumes, tous manuscrits originaux ou bien exemplaires choisis avec grand soin, furent distribués aux libraires pour être mis en vente dans les magasins. On

1 Dans le texte arabe, il faut lire: Hamza-Ibn-Omar-Ibn-Ali-IbnAbi-'l-Leil.

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