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les trouver et, à sa vue, elles se mirent à pousser des cris, pleurer et à demander grâce; cela ne leur servit à rien, il les tua, prit leurs têtes par les cheveux et revint les jeter aux pieds d'Ibrahim. Il avait plus de soixante jeunes gens à chacun desquels il avait assigné un lit. Etant venu à apprendre que quelques-uns d'entre eux étaient allés, pendant la nuit, trouver les autres, il monta sur son trône, à la porte du château, et se les fit amener tous. Les uns avouèrent leur faute, les autres le nièrent; et un jeune garçon qu'il affectionnait beaucoup ayant été interrogé à son tour, répondit : « Seigneur ! il n'y a rien de vrai dans ce dont on nous accuse. » A peine eut-il prononcé ces paroles qu'lbrahîm lui fit sauter la cervelle avec une massue de fer qu'il tenait à la main. Il donna ensuite l'ordre de chauffer des fours et il y fit jeter chaque jour cinq ou six de ces malheureux jusqu'à ce qu'il les eut fait tous périr. Il en fit enfermer plusieurs dans la pièce la plus échauffée du bain, et les retint là jusqu'à ce qu'ils mourussent. Il donna la mort à ses propres filles et à ses concubines en leur faisant souffrir diverses espèces de supplices: il plaça les unes dans une chambre qu'il fit murer et les - laissa ainsi mourir de faim et de soif; il en fit étrangler ou égorger d'autres, de sorte qu'il n'en laissa plus une seule au château. IĮ passa un jour chez sa mère qui se leva pour le recevoir: « Je veux manger avec vous, dit-il. » Enchantée de cette marque de faveur, elle fit servir un repas, et le voyant en bonne humeur après avoir mangé et bu, elle lui dit : « J'ai élevé deux jeunes esclaves pour vous et je les ai réservées pour vos plaisirs; car, depuis la mort de vos concubines, il y a déjà longtemps que vous ne vous êtes distrait; elles savent chanter les versets du Coran, et si vous voulez, je les ferai venir pour que vous puissiez les entendre.» « Faites ; » répondit-il. Elle donna l'ordre d'amener ces jeunes filles, et d'après son désir, et elles se mirent a réciter le Coran d'une manière admirable. « Voulez-vous maintenant, lui dit la princesse, « qu'elles vous récitent des vers. » — « Oui. » — Elles chantèrent alors en s'accompagnant du luth et de la guitare, et déployèrent un grand talent. Ibrahîm commençait alors à sentir les effets du vin et se disposait à s'en aller

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quand sa mère lui dit. « Voulez-vous qu'elles vous suivent chez vous? elles se tiendront à la tête de votre lit et vous procureront des distractions; car il y a longtemps que vous êtes resté sans compagne. >> — « Je le veux bien; » répondit-il. Il se retira alors, suivi des deux jeunes filles, et en moins d'une heure, un esclave vint chez la mère d'Ibrahîm, portant sur sa tête un plateau recouvert d'une serviette. Elle s'imagina que c'était un cadeau de la part de son fils: quand l'esclave déposa le plateau devant elle et enleva la serviette, que vit-elle ? les têtes de ces deux jeunes filles. Frappée d'horreur, elle jeta un cri et s'évanouit. Beaucoup de temps s'écoula avant qu'elle eut repris ses sens, et ses premières paroles furent des imprécations contre son fils.

On raconte d'Ibrahîm beaucoup d'autres faits analogues. Ce fut sous son régne que se montra Abou-Abd-Allah le Chîite, personnage dont nous donnerons l'histoire 1.

S LI.

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REGNE D'ABOU'L-ABBAS-ABD-ALLAH, FILS 'D'IBRAHIM, FILS D'AHMED, FILS DE MOHAMMED, FILS D'EL-AGHLEB.

Abou-'l-Abbas Abd-Allah prit en mains le gouvernement de de l'Ifrîkïa du vivant de son père, comme nous l'avons déjà dit, et par la mort de ce prince il se trouva en possession de l'autorité suprème. Son père, dont le caractère sanguinaire se plaisait au meurtre, n'épargnait personne, pas même les membres de sa famille; aussi Abou-'l-Abbas lui témoigna-t-il une obéissance et une soummission extrêmes, ce qui porta Ibrahîm à le distinguer honorablement et à le préférer à ses autres fils. Abou-'l-Abbas succéda à son père le lundi 17 de Dou'l-Câda, 289 (novembre 902), et il commença aussitôt à donner audience aux opprimés, à porter de (grossiers) habillements de laine et à gouverner avec justice et bonté. Ne voulant point habiter le château de son père, il fit l'acquisition d'une maison bâtie en briques, et il y demeura jusqu'à ce qu'il eut achevé l'hôtel qui porte encore son nom. L'appréhension de voir son fils Ziadet-Allah se révolter contre lui le décida à le faire emprisonner ainsi que plusieurs de ses officiers.

1 On trouvera dans le tome i et dans l'histoire des Druzes de M. de Sacy, une notice sur Abou-Abd-Allah.

Il accorda à Abou-l-Abbas-Mohammed-Ibn-el-Asoued-es-Sedîni les places de cadi et gouverneur de Cairouan, et le chargea aussi de surveiller la conduite des agents du gouvernement et des percepteurs de l'impôt. Dans l'exercice de ses fonctions, Es-Sedîni montra un grand zèle pour le maintien des bonnes mœurs et la suppression du vice; il déploya dans ses jugements une extrême sévérité contre les officiers du gouvernement, et il se montra plein de bonté envers les pauvres et les opprimés. Comme légiste, ses connaissances étaient assez bornées, ce qui l'obligeait à consulter très-souvent les docteurs de la loi, et il ne prononça jamais une jugement qui fût contraire à l'avis du cadi Ibn-Abdoun. Tontefois, il professait ouvertement le faux dogme de la création du Coran, et cela suffisait pour le faire détester par le public. Abou-'l-Abbas n'avait régné que peu de temps quand il fut tué, pendant son sommeil, par trois de ses eunuques, à l'instigation de son fils Ziadet-Allah. Les assassins allèrent ensuite trouver le jeune prince, amenant avec eux un serrurier pour détacher ses fers; mais quand il s'entendit saluer comme chef de l'empire il craignit que ces gens ne fussent des émissaires secrets de son père et repoussa leurs soins empressés. Alors, ils allèrent couper la tête d'Abou-'l-Abbas, et ils la lui apportèrent la même nuit. A la vue de cette preuve de leur veracité, il fit rompre ses fers et sortit de prison. L'assassinat d'Abou-'l-Abbas eut lieu la veille de mercredi, 29 Châban de l'an 290 (juillet 903). Depuis le départ d'Ibrahîm pour la Sicile jusqu'à sa mort, Abou-'l-Abbas avait régné un an et cinquante-deux jours; et à partir de l'époque où la mort de son père le rendit maître absolu de l'empire jusqu'au moment où il succomba lui-même, il avait régné neuf mois et treize jours. Il était remarquable pour sa bravoure, ses talents militaires, et son habileté en dialectique. Dans cette dernière science il avait eu pour maître Abd-Allah-Ibn-el-Acheddj.

1 Les musulmans orthodoxes considèrent le Coran comme incrée, en tant qu'il est la parole éternelle de Dieu.

2 Abou-l-Abbas fut assassiné à Tunis. Il s'était hautement distingué par son esprit cultivé, sa bravoure, sa justice et son habileté comme militaire. (Ibn-el-Athir.)

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§ LII

RÉGNE D'ABOU-MODER-ZÎADET-ALLAH, FILS D'ABOU-'LABBAS-ABD-ALLAH, FILS D'IBRAHIM, FILS D'AHMED, FILS DE MOHAMMED, FILS D'EL-AGHLEB, FILS D'IBRAHIM, FILS D'EL-AGHLEB.

L'historien dit : Ziadet-Allah ne se vit pas plutôt en possession du pouvoir qu'il fit exécuter et mettre en croix les eunuques qui avaient assassiné son père; témoignant en même temps un extrême horreur du forfait qu'ils avaient commis. Il déporta ensuite ses frères et ses cousins au nombre de vingt-neuf, dans une île appelée El-Korrath, où on les fit mourir dans le mois de Ramadan de la même année. Abou-'l-Abbas avait envoyé un de ses fils nommé El-Ahouel contre Abou-Abd-Allah-es-Chîi: Zîadet-Allah fit partir Fotouh-er-Roumi à la tête de cinquante cavaliers, le chargeant de délivrer à El-Ahouel une lettre d'une haute importance. Dans cette dépêche, qu'il avait écrite au nom de son père, il ordonnait à El-Ahouel de revenir sans retard. Ce prince obéit, mais il ne fut pas plutôt arrivé qu'il fut conduit au supplice. Pour Abou-Abd-Allah-es-Chîi, la mort d'El-Ahouel équivalait à une

victoire.

L'historien dit: Ziadet-Allah fit distribuer des gratifications aux employés du gouvernement. Il donna à Abd-Allah-Ibn-esSaïgh les places de vizir et de directeur des postes ; il nomma Abou-Moslem administrateur du revenu (kharadj), et il distitua le cadi Es-Sedini parce que ce fonctionnaire professait la non-éternité du Coran. Dans la lettre qu'il écrivit à ce sujet aux habitants de Cairouan, il s'exprima ainsi : « Je déstitue cet homme grossier et stupide, cet innovateur et réprouvé qui vous sert de cadi, et je donne sa place à Hammad-Ibn-Merouan qui est un homme doux et miséricordieux, dont le cœur est pur et qui sait bien le livre de Dieu et les traditions du Prophète (sonna).

Sous le règne d'Ibrahîm-Ibn-Ahmed, grand-père de Zîadet-Allah Abou-Abd-Allah-es-Chîi avait commencé son entreprise. et il se trouvait maintenant en possession d'une grande puissance; le nombre de ses partisans s'était considérablement accru et tout flé

chissait devant lui. Dans la crainte qu'il ne s'emparât de Cairouan, Ziadet-Allah quitta Tunis précipitamment afin de se rendre dans cette ville. En y arrivant, il en fit relever les murailles, mais tout fut inutile: le Chîite, fort de l'appui des Ketama et secondé par les guerriers des autres tribus berbères, défit successivement toutes les armées de Ziadet-Allah, subjugua les provinces et les villes, les unes après les autres, s'empara de Laribus et força Ibrahîm-Ibn-Abi-'l-Aghleb à prendre la fuite. Ce général avait été envoyé par Ziadet-Allah contre le rebelle; il avait même sous ses ordres une forte armée, mais il ne put éviter une défaite. Ce corps de troupes fut le dernier que ZiadetAllah mit en campagne. La défaite d'Ibrahîm eut lieu dans le mois de Djomada second dè l'an 296 (mars 909).

§ LIII. FUITE DE ZIADET-ALLAH EN ORIENT ET CHUTE

:

DE LA DYNASTIE AGHLEBIDE.

L'historien dit Bien que Zîadet-Allah eût perdu tout espoir en apprenant la défaite d'Ibrahîm-Ibn-Abi-'l-Aghleb, il fit proclamer dans la ville de Raccada, où il se trouvait alors, que ses troupes avaient remporté la victoire, et [pour faire croire au public qu'elles avaient tué beaucoup de monde] il donna l'ordre de mettre à mort toutes les personnes qu'il retenait dans ses prisons et de porter leurs têtes en triomphe dans les rues de Cairouan et d'El-Casr-el-Cadîm. Il commença ensuite à emballer ses effets et ses trésors, puis, ayant envoyé à ses favoris et aux membres de sa famille pour leur apprendre la véritable situation des choses, il les engagea à partir avec lui. Sur ces entrefaites, son vizir, Ibn-es-Saïgh, lui donna le conseil de rester . « Les troupes viendront se rallier autour de vous, lui dit-il ; répandez de l'argent, vous trouverez des hommes. Le Chîite n'osera jamais vous attaquer. Courage, donc ! courage! Rappelez-vous les guerres que votre grand-père, Ziadet-Allah, avait à soutenir ! » Le prince garda le silence, mais Ibn-es-Saïgh l'ayant de nouveau pressé de rester, il lui répondit : « Cette insistance confirme les bruits qui se sont répandus sur ton compte ; on t'accuse d'entre

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