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Il accorda à Abou-'l-Abbas-Mohammed-Ibn-el-Asoued-es-Sedîni les places de cadi et gouverneur de Cairouan, et le chargea aussi de surveiller la conduite des agents du gouvernement et des percepteurs de l'impôt. Dans l'exercice de ses fonctions, Es-Sedîni montra un grand zèle pour le maintien des bonnes mœurs et la suppression du vice; il déploya dans ses jugements une extrême sévérité contre les officiers du gouvernement, et il se montra plein de bonté envers les pauvres et les opprimés. Comme légiste, ses connaissances étaient assez bornées, ce qui l'obligeait à consulter très-souvent les docteurs de la loi, et il ne prononça jamais une jugement qui fût contraire à l'avis du cadi Ibn-Abdoun. Tontefois, il professait ouvertement le faux dogme de la création du Coran, et cela suffisait pour le faire détester par le public. Abou-'l-Abbas n'avait régné que peu de temps quand il fut tué, pendant son sommeil, par trois de ses eunuques, à l'instigation de son fils Zîadet-Allah. Les assassins allèrent ensuite trouver le jeune prince, amenant avec eux un serrurier pour détacher ses fers; mais quand il s'entendit saluer comme chef de l'empire il craignit que ces gens ne fussent des émissaires secrets de son père et repoussa leurs soins empressés. Alors, ils allèrent couper la tête d'Abou-'l-Abbas, et ils la lui apportèrent la même nuit. A la vue de cette preuve de leur veracité, il fit rompre ses fers et sortit de prison. L'assassinat d'Abou-'l-Abbas eut lieu la veille de mercredi, 29 Châban de l'an 290 (juillet 903). Depuis le départ d'Ibrahîm pour la Sicile jusqu'à sa mort, Abou-'l-Abbas avait régné un an et cinquante-deux jours; et à partir de l'époque où la mort de son père le rendit maître absolu de l'empire jusqu'au moment où il succomba lui-même, il avait régné neuf mois et treize jours. Il était remarquable pour sa bravoure, ses talents militaires, et son habileté en dialectique. Dans cette dernière science il avait eu pour maître Abd-Allah-Ibn-el-Acheddj.

1 Les musulmans orthodoxes considèrent le Coran comme incrée, en tant qu'il est la parole éternelle de Dieu.

• Abou-'l-Abbas fut assassiné à Tunis. Il s'était hautement distingué par son esprit cultivé, sa bravoure, sa justice et son habileté comme militaire.

(Ibn-el-Athir.)

S LII

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RÉGNE D'ABOU-MODER-ZÎADET-ALLAH, FILS D'ABOU-'LABBAS-ABD-ALLAH, FILS D'IBRAHIM, FILS D'AHMED, FILS DE MOHAMMED, FILS D'EL-AGHLEB, FILS D'IBRAHIM, FILS D'EL-AGHLEB.

L'historien dit : Ziadet-Allah ne se vit pas plutôt en possession du pouvoir qu'il fit exécuter et mettre en croix les eunuques qui avaient assassiné son père; témoignant en même temps un extrême horreur du forfait qu'ils avaient commis. Il déporta ensuite ses frères et ses cousins au nombre de vingt-neuf, dans une fle appelée El-Korrath, où on les fit mourir dans le mois de Ramadan de la même année. Abou-'l-Abbas avait envoyé un de ses fils nommé El-Ahouel contre Abou-Abd-Allah-es-Chii: Zîadet-Allah fit partir Fotouh-er-Roumi à la tête de cinquante cavaliers, le chargeant de délivrer à El-Ahouel une lettre d'une haute importance. Dans cette dépêche, qu'il avait écrite au nom de son père, il ordonnait à El-Ahouel de revenir sans retard. Ce prince obéit, mais il ne fut pas plutôt arrivé qu'il fut conduit au supplice. Pour Abou-Abd-Allah-es-Chii, la mort d'El-Ahouel équivalait à une

victoire.

L'historien dit: Zîadet-Allah fit distribuer des gratifications aux employés du gouvernement. Il donna à Abd-Allah-Ibn-esSaïgh les places de vizir et de directeur des postes ; il nomma Abou-Moslem administrateur du revenu (kharadj), et il distitua le cadi Es-Sedîni parce que ce fonctionnaire professait la non-éternité du Coran. Dans la lettre qu'il écrivit à ce sujet aux habitants de Cairouan, il s'exprima ainsi : « Je déstitue cet homme grossier et stupide, cet innovateur et réprouvé qui vous sert de cadi, et je donne sa place à Hammad-Ibn-Merouan qui est un homme doux et miséricordieux, dont le cœur est pur et qui sait bien le livre de Dieu et les traditions du Prophète (sonna).

Sous le règne d'Ibrahim-Ibn-Ahmed, grand-père de Ziadet-Allah Abou-Abd-Allah-es-Chîi avait commencé son entreprise. et il se trouvait maintenant en possession d'une grande puissance; le nombre de ses partisans s'était considérablement accru et tout flé

chissait devant lui. Dans la crainte qu'il ne s'emparât de Cairouan, Ziadet-Allah quitta Tunis précipitamment afin de se rendre dans cette ville. En y arrivant, il en fit relever les murailles, mais tout fut inutile: le Chiite, fort de l'appui des Ketama et secondé par les guerriers des autres tribus berbères, défit successivement toutes les armées de Ziadet-Allah, subjugua les provinces et les vilies, les unes après les autres, s'empara de Laribus et força Ibrahîm-Ibn-Abi-'l-Aghleb à prendre la fuite. Ce général avait été envoyé par Ziadet-Allah contre le rebelle; il avait même sous ses ordres une forte armée, mais il ne put éviter une défaite. Ce corps de troupes fut le dernier que ZiadelAllah mit en campagne. La défaite d'lbrahîm eut lieu dans le mois de Djomada second de l'an 296 (mars 909).

§ LIII. FUITE DE ZIADET-ALLAH EN ORIENT ET CHUTE

DE LA DYNASTIE AGHlebide.

L'historien dit Bien que Zîadet-Allah eût perdu tout espoir en apprenant la défaite d'Ibrahîm-Ibn-Abi-'l-Aghleb, il fit proclamer dans la ville de Raccada, où il se trouvait alors, que ses troupes avaient remporté la victoire, et [pour faire croire au public qu'elles avaient tué beaucoup de monde] il donna l'ordre de mettre à mort toutes les personnes qu'il retenait dans ses prisons et de porter leurs têtes en triomphe dans les rues de Cairouan et d'El-Casr-el-Cadîm. Il commença ensuite à emballer ses effets et ses trésors, puis, ayant envoyé à ses favoris et aux membres de sa famille pour leur apprendre la véritable situation des choses, il les engagea à partir avec lui. Sur ces entrefaites, son vizir, Ibn-es-Saïgh, lui donna le conseil de rester. « Les troupes viendront se rallier autour de vous, lui dit-il ; répandez de l'argent, vous trouverez des hommes. Le Chîite n'osera jamais vous attaquer. Courage, donc courage! Rappelez-vous les guerres que votre grand-père, Ziadet-Allah, avait à soutenir ! »> Le prince garda le silence, mais Ibn-es-Saïgh l'ayant de nouveau pressé de rester, il lui répondit : « Cette insistance confirme les bruits qui se sont répandus sur ton compte; on t'accuse d'entre

tenir une correspondance avec le Châite et de vouloir me livrer à lui. » Le vizir protesta de son innocence et ne chercha plus à le retenir. Ziadet-Allah se mit alors à emballer ses trésors, ses pierreries, ses armes et tous les objets précieux qu'il pouvait emporter; ses courtisans imitèrent son exemple, et, à l'entrée de la nuit, ils se trouvèrent prêts à partir. Le prince choisit alors mille individus parmi ses serviteurs esclavons et les chargea chacun d'une ceinture contenant mille pièces d'or. Il fit placer sur des montures celles d'entre ses concubines qu'il affectionnait le plus, ainsi que les femmes dont il avait eu des enfants, et il se disposait à commander le départ quand une de ses esclaves mu¬ siciennes se présenta devant lui, un luth à la main, et lui chanta un air dont les paroles étaient :

Je n'ai jamais oublié comment, au jour de notre séparation, elle se tenait devant nous, les yeux inondés de larmes.

Je pense encore à ses paroles quand la caravane se mit en marche : « Comment, seigneur ! vous nous abandonnez et vous partez? »

En entendant ces paroles, Ziadet-Allah versa des larmes, et ayant fait décharger un des mulets qui portaient ses trésors, il y fit placer cette jeune fille. Il avait appris la nouvelle de la défaite de ses troupes lorsqu'on venait d'achever la prière du soir, et avant que le moedden eût annoncé celle de la nuit close, il avait quitté Baccada et pris la route de l'Egypte. Les habitants le suivirent par bandes, et marchèrent à la lueur de flambeaux. Abd-Allah-Ibn-es-Saïgh rassembla alors ses esclaves, ses bagages et ses trésors, avec l'intention de se rendre à Lamta où un navire se tenait tout prêt pour le transporter en Sicile; il avait craint d'accompagner Ziadet-Allah, parce que la plupart des favoris de ce prince le détestaient et auraient pu décider leur maître à le tuer; déjà ils lui avaient fait accroire calomnieusement que son vizir était en correspondance avec le Chîite.

L'historien dit : Quand le peuple [de Cairouan] apprit la fuite de Zîadet-Allah, il se porta à Raccada et pilla la ville ainsi que les palais de ce prince. On y pratiqua des fouilles, espérant trouver des trésors cachés; on arracha les serrures qui garnis

saient les portes, on enleva les divans de parade et on emporta tout le mobilier. Au bout de six jours, la cavalerie du Chîite parut aux environs de la ville, et l'aspect seul de ces troupes mit fin à l'œuvre de dévastation.

Un grand nombre d'officiers, d'esclaves et de chefs de bureaux qui n'avaient pas accompagné Zîadet-Allah se dispersa dans les autres villes de l'empire.

Quand Ibrahim-Ibn-Abi-'l-Aghleb arriva à Cairouan et apprit le départ du prince, les soldats qui l'avaient rejoint s'en allèrent chacun chez soi. Abandonné de ses hommes, Ibrahim entra au palais, du gouvernement et fit proclamer une amnistie générale. L'ordre étant ainsi rétablie, les jurisconsultes, les notables de la ville, et une foule immense se rassembla à la porte du palais et le nommèrent souverain. Il leur représenta alors que la mauvaise conduite de Zîadet-Allah avait perdu l'état, encouragé ennemi et l'avait même établi au cœur du royaume; il parla ensuite du Chiite et des Ketema, les dépeignant comme coupables des forfaits les plus horribles, et il finit par demander leur concours et et appui: « Mon seul désir, dit-il, est de protéger vos familles, vos personnes et vos biens; aidez-moi avec dévouement à accomplir cette tâche; mettez à ma disposition des hommes et de l'argent afin que je puisse défendre l'honneur de vos femmes et vous sauver vous-mêmes d'une mort certaine. » A cette adresse ils répondirent: « Notre dévouement est acquis à vous ou à tout autre qui nous gouverncra; mais, quant à l'argent, nous n'en avons pas de quoi vous satisfaire, et pour combattre, nous n'avons ni les moyens ni l'habitude. D'ailleurs, vous vous êtes déjà mesuré avec l'ennemi; vous aviez autour de vous des guerriers intrépides et des chefs puissants; le trésor public était à votre disposition, et cependant, vous n'avez pas réussi ; comment donc espérer triompher par notre secours ? Nous voulons garder notre argent pour racheter nos vies. » Leur ayant adressé encore la parole et ayant reçut la même réponse: « Eh bien ! dit-il, voyez quelles sommes se trouvent entre vos mains à titre de dépôts et consignations, et pretez-moi cet argent; je ferai alors annoncer que je vais distribuer des arrhes, et je pourrai ainsi rassembler

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