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l'agha Si Zoubir, mais ce chef toujours malade était à ce moment loin d'Ouargla. Si Ali-Bey se mit immédiatement en mouvement et arrivait le 1er octobre à Negouça où il était très bien accueilli. Se dirigeant ensuite sur Ouargla, il campait le même jour à BaMendil où vinrent le rejoindre les notables des Chaâmba, des Mekhadma et des Beni-Tour. Aux sollicitations et aux conseils de Si Ali-Bey ces gens répondaient qu'au lieu de lui livrer le chérif, ils préféraient l'abandonner et garder la neutralité pour ne pas se parjurer trop ouvertement vis-à-vis de lui. La nuit se passa sans événement. Le lendemain matin le chérif s'étant replié avec tout son monde sous les palmiers de Rouissat, Si Ali-Bey eut la preuve que les Chaâmba, Mekhadma et Beni-Tour n'étaient nullement décidés à abandonner l'agitateur. Devant la position retranchée de ce dernier, un combat eût été dangereux pour nos gonms, aussi Ali-Bey n'y songeait point, lorsque quelques-uns de ses cavaliers qui avaient mené boire leurs chevaux aux puits entre son camp et Rouissat, furent attaqués tout à coup par les Chaámba et les Touareg. La fusillade commença; le goum du kaïd s'engagea sans en avoir reçu l'ordre et quand il fallut soutenir ce mouvement, les fantassins souafa, soit peur, soit trahison, restèrent sourds au commandement et ne donnèrent pas de l'avant. Désespérant de les faire marcher, Ali-Bey s'élança à la tête de ses cavaliers; mais que faire contre un ennemi embusqué dans des jardins ou retranché derrière des murs de clôture infranchissables? Après une courte lutte Ali-Bey, aussi prudent que brave, était forcé de rallier ses cavaliers et voyant qu'il ne pouvait compter sur le reste de son monde, reprenait la route de Tougourt. Sa retraite livrait au chérif la ville d'Ouargla qui lui faisait sa soumission quelques heures après, le 2 octobre 1861.

Aussitôt un grand déploiement de goums s'organisait à Géryville et à Laghouat. Ceux de Géryville se portaient immédiatement sur Ouargla sous le commandement du bach-agha Si BouBeker, fils et successeur de Si Hamza. Ce dernier, appelé à Alger pour répondre à de graves accusations portées contre lui par les gens d'Ouargla et de Negouça, était mort dans cette ville deux mois auparavant (21 août). Ses fonctions de khalifa avaient passé à son fils aîné avec le titre plus modeste de bach-agha.

Cependant le chérif continuait ses incursions. Le 10 octobre il enlevait les troupeaux des Oulad-Saïah, mais ce fut son dernier exploit. Le 13 il était repoussé de Ksar-el-Haïran et il était forcé de se replier sur Negouça où il campa le 18 et le 19. C'est là qu'il fut surpris par les goums de Géryville à la tête desquels se trouvail Si Bou-Beker et Si El-Alå, frère de Si Hamza. Le chérif prit aussitôt la fuite. Les Chaámba, Mekhadma et Beni-Tour agirent avec les Oulad-Sidi-Cheïk tout autrement qu'avec Ali-Bey. Ils n'hésitèrent pas à se tourner contre l'agitateur et à se lancer à sa poursuite avec nos goums. Mohammed-ben-Abd-Allah abandonné de tout son monde était atteint, entouré et fait prisonnier sans coup férir dans les dunes entre Bou-Seroual et Guern-elHadj. Quelques jours après il était interné en Corse et plus tard à Bône (1).

Les derniers événements ayant fait ressortir d'une manière manifeste l'incapacité de l'agha d'Ouargla Si Zoubir, toujours malade, du reste, ce chef indigène fut remplacé dans son commandement, le 4 janvier 1862, par Si El-Alà, son frère, homme aussi intelligent qu'énergique. Si Bou-Beker survécut moins d'un an à son père; il succomba à une courte maladie le 23 juillet 1862 et fut remplacé comme bach-agha par son frère Si Selimanben-Hamza, le promoteur de cette vaste insurrection qui éclata dix-huit mois plus tard et dura si longtemps. Diverses versions ont circulé relativement aux causes réelles de cette insurrection. Voici les renseignements fournis à ce sujet par plusieurs individus des Chaámba et des Mekhadma, amis intimes de Si Seliman et de Si El-Ala. Je laisse bien entendre à leurs auteurs la responsabilité de ces renseignements difficiles à contrôler. Deux partis divisaient alors et diviseront longtemps encore la population du Mzab, le sof chergui et le sof gherbi. Au commencement de 1863 une querelle très vive ayant éclaté à Guerara dont les habitants. sont partagés entre les deux fractions; Brahim-ben-Bouhoun, chef du sof gherbi, acheta l'appui de Si Seliman et soudoya les

(1) Pendant son séjour à Bône il touchait 200 francs par mois pour subvenir à son entretien. Il épousa dans cette ville la fille d'un citadin. En 1870 il s'enfuyait à Tripoli et retournait auprès de son vieil ami le marabout Senoussi, chez qui il est mort en 1876.

Chaâmba de Metlili et les Mekhadma d'Ouargla. A la tête de ces deux tribus il pénétra de nuit à Guerara et fit main basse sur les gens du sof opposé qui pour se venger des meurtres et des actes de pillage commis par leurs adversaires portèrent plainte à l'autorité française. Les principaux coupables furent signalés à Si Seliman avec ordre de les arrêter. Après maints allermoiements Si Seliman mandé à Géryville refusa de s'y rendre. Levant dès ce moment l'étendard de la révolte, il faisait appel aux OuledSidi-Cheikh, prétendait que les Français avaient empoisonné son père et son frère et que ses propres jours étaient en péril et qu'il n'y avait plus d'autre parti à prendre que de se révolter en masse. Cet appel fut entendu. Dès le lendemain les contingents des Zoua, ceux des autres tribus des Ouled-Sidi-Cheïkh, les Laghouat-Ksel et les Harar accouraient se ranger sous la bannière de Si Seliman qui partait aussitôt à leur tête pour aller camper à Hassi, près de Metlili. Là il rallia à lui les Chaâmba-Brezga et envoie des émissaires à l'agha d'Ouargla, Si El-Alá, son oncle, dans le bnt de soulever les tribus de cette région.

Prompt à obéir à cette excitation à la révolte, Si El-Alå et la plupart des nomades d'Ouargla prirent aussitôt les armes. Les Ouled-Smaïn, fraction des Chaåmba, et les Saïd-Ateba restèrent seuls fidèles et se retirèrent, les premiers à Negouça et les derniers chez les Larbaa leurs alliés qui n'avaient pas encore fait défection. Les Mekhadma commencèrent les hostilités en enlevant aux environs d'Ouargla les chameaux d'une caravane de Biskra. Quelques jours plus tard, vers le milieu de mars, ils partaient avec les Chaamba sous la conduite de Si El- Alå et rejoignaient Si Seliman à Oum-Damran, à trois journées de Metlili, après avoir razié sur leur route deux caravanes des Larbâa et des Harazlia qui se rendaient au marché d'Ouargla. D'autres défections s'étant produites, Si Seliman, se jugeant assez fort pour prendre l'offensive, se mettait en mouvement vers Géryville et attaquait le 8 avril, à Ghassoul, la petite colonne du colonel Beauprêtre, commandant supérieur de Tiaret. Le retentissement qu'eut le combat de Ghassoul nous dispense d'insister sur les détails de cette malheureuse affaire. Qu'il nous suffise de rappeler que surpris pendant la nuit, cerné par des forces supérieures,

trahi par ses spahis originaires des Harar, le colonel Beauprêtre succomba avec ses cent zouaves, c'est-à-dire avec tout son monde; mais nos soldats vendirent chèrement leur vie, Si Seliman fut tué et avec lui beaucoup de ses cavaliers. Comme on pouvait s'y attendre, ce succès des rebelles au début de l'insurrection eut malgré la mort de leur chef, remplacé immédiatement par son frère Si Mohammed, l'influence la plus fâcheuse sur les disposltions des tribus à notre égard. De nouvelles défection se produisirent aussitôt. Le 18 avril la tribu des Oulad-Chaïb se souleva à son tour avec son agha Naïmi-ben-Djedid et les frères de celui-ci. Ce soulèvement fut pour nous le signal d'un second désastre. Un peloton de spahis envoyé en reconnaissance vers Taguin fut presque entièrement détruit par les Oulad-Chaïb et le sous-lieutenant Ben-Rouïla, qui le commandait, mourait bravement à la tête de sa troupe (1).

Cependant les colonnes Deligny, Yousouf, Liebert, Seroka étaient déjà en mouvement le 26 avril. Le général Martineau livrait un combat aux dissidents à Aïn-El-Guetà, à une journée de Géryville, combat terrible où de part et d'autre les pertes furent très considérables. Nous-mêmes de notre côté : 72 tués et 31 blessés. Les Chaàmba d'Ouargla, les Mekhadma et les BeniTour, présents à cette affaire, perdirent quelques hommes. Soit découragement, soit tactique, un grand nombre d'entre eux se séparaient du gros de la colonne ennemie pour rentrer à Ouargla et nous porter des coups inattendus. Arrivés dans leur oasis le 10 mai, ils tentaient après quelques jours de repos une razia sur les Mekhalif du Mzab, mais ils étaient repoussés avec pertes et ils laissaient entre les mains de ceux-ci 51 maharis et 60 fusils. Après cet échec, ils se présentaient devant Negouça où s'étaient retirés les Ouled-Smaïn-Chaâmba restés fidèles et ils demandaient à s'y ravitailler. Le cheïkh Bou-Hafès ayant refusé de les recevoir, ils ravageaient les jardins puis regagnaient le Mzab, aux environs de Ghardaïa. Là, par un coup de tête, ils proclament comme sultan d'Ouargla un aventurier nommé El-Hadj-Moham

(1) Voir la remarquable étude sur cette insurrection due à la plume du colonel Trumelet.

· Revue africaine, 30° année. N° 180 (NOVEMBRE 1886). 28

med Gherbi, ivrogne et fumeur de kif, venu quelque temps avant du Djerid. Après avoir habillé et équipé ce sultan improvisé ou plutôt ce mannequin, ils le dirigent sur Ouargla où il arrive le 29 juillet, les précédant de quelques jours. Le 15 juillet, c'est-àdire quelques jours auparavant, était arrivé à Chot, aux environs. d'Ouargla, un autre aventurier de la même espèce se disant chérif et prétendant avoir été chargé par le sultan de Constantinople de prêcher la guerre sainte et de jeter les infidèles à la mer. Cet imposteur qui avait pris le nom de Mouley-Mohammed-benMouley-Abd-er-Rahman (1), était simplement un savelier marocain qui avait exercé pendant quelque temps sa profession à Biskra et y avait subi un emprisonnement pour vol. Parti plus tard pour le Djerid, il était revenu sur notre territoire avec un nom et des titres empruntés et il venait d'être accueilli par les gens du Chot, lorsque l'homme des Chaâmba et des Mekhadma, El-Hadj-Mohammed-Gherbi, se présenta à Ouargla décoré du titre de sultan. Les deux aventuriers firent alliance et ils eurent l'un et l'autre pour soutiens les Mekhadma, Beni-Tour et Chaȧmba. Les sédentaires d'Ouargla s'unirent aux gens de Chot pour les reconnaître à leur tour et tout ce parti, après avoir ramené à lui les Ouled-Smaïn restés fidèles jusque-là, mais trop faibles pour résister, se porte sur Negouça pour y faire accepter également l'autorité des deux intrus. Le cheïkh de cette ville, Bou-Hafès, notre fidèle allié, venait d'être forcé de prendre la fuite, impuissant après la défection des Ouled-Smaïn et en l'absence des SaïdAtcba, à résister à son ennemi et cousin Saïah-ben-Babia qui cherchait à le supplanter. Son départ enleva tout obstacle à l'entrée dans Negouça des Chaamba, Mekhadma et Beni-Tour, ayant à leur tête les deux imposteurs. Saïah fut investi cheïkh en remplacement de Bou-Hafès, réfugié à El-Hadjira et plus tard à Tougourt avec trente personnes de sa famille. La kasba de ce dernier fut pillée, ainsi que les maisons de ses partisans dont plusieurs furent arrêtés, puis relâchés après avoir payé chacun une amende de cent francs. Quand vint le moment de partager le butin le nouveau sultan et le soi-disant chérif eurent une querelle dont

(1) Fils de feu Mouley-Abd-er-Rahman, sultan du Maroc.

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