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divulgue et ne parvienne aux oreilles des rebelles. » Abou-'lAbbas obéit et garda le cheikh aux arrêts jusqu'à ce que la victoire se fut déclarée pour son père. Ibrahîm commença à agir sans perdre de temps; l'armée qu'il envoya dans la péninsule de Cherîk y tua beaucoup de monde et fit prisonnier Ibn-AbiAhmed, chef de cette division des insurgés. On l'envoya à Ibrahîm qui le fit mourir et mettre en croix. Son eunuque Saleh marcha par ses ordres contre Camouda et dispersa les révoltés de cette contrée, pendant que l'eunuque Meimoun et le chambellan El-Hacen-1bn-Naked se dirigèrent contre Tunis avec une armée immense. Les insurgés qui se présentèrent de ce côté furent mis en déroute après une bataille acharnée. Les troupes d'Ibrahîm firent main basse snr les fuyards et emportèrent d'assaut la ville, dont elles pillèrent les maisons, violèrent les femmes et réduisirent les habitants en esclavage. On envoya douze cents des principaux personnages de la ville prisonniers à Ibrahîm. Ceci eut lieu au mois de Ramadan de la même année. La nouvelle de cette victoire fut transmise à Ibrahîm par le moyen de pigeons. Il expédia l'ordre à son général de ne pas décapiter les morts, et il lui dépêcha en même temps des charettes pour transporter les cadavres à Cairouan. On fit défiler ces trophés sanglants à travers la foule de spectateurs qui encombrait les rues de la ville.

§ XLVII. IBRAHIM SE REND A TUNIS.

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En l'an 281 (894), Ibrahîm donna l'ordre de bâtir des châteaux et des palais à Tunis, pour lui servir de lieux de résidence. Quand ces édifices furent achevés, il parti de Raccada le mercredi, 24 du mois de Djomada premier, et se rendit à Tunis avec tous ses généraux et moulas. Deux ans plus tard, il fit les préparatifs d'une expédition en Egypte où il se proposait d'aller attaquer Ibn-Touloun 1. Ses troupes rassemblées, il quitta Tunis,

1 L'Ibn-Touloun dout il est question ici doit être Abou-AçakerDjeich, (fils de Khomaravaih et petit-fils d'Ahmed-Ibn- Touloun), qui ful mis a mort en l'an 283, après un règne de six mois, ou bien son frère et successeur, Abou-Mouça-Haroun.

le 40 du mois de Moharrem, et se rendit à Raccada où il séjourna jusqu'au 22 du mois suivant. Quand il reprit sa marche, le peuple de la province de Nefouça se rassembla dans le dessein de s'opposer à ses progrès, et, vers le milieu du mois de Rebià second, un combat acharné eut lieu entre les deux partis. Meimoun, l'eunuque, succomba dans cette bataille ainsi que plusieurs autres; mais, à la fin, Ibrahîm mit l'ennemi en pleine déroute et le poursuivit, l'épée dans les reins, jusqu'au bord de la mer. Un grand nombre des fuyards se jetèrent à l'eau pour se sauver, mais on les y tua tous jusqu'au dernier, de sorte que les flots furent teints de leur sang. A ce spectacle, Ibrahîm s'écria : « Oh! si cette victoire avait été remportée sur les ennemis de Dieu, quel honneur cela me ferait! » A ces paroles, un de ses officiers lui dit de faire venir un des cheikhs nefoucites et de l'interroger sur sa croyance religieuse, puisque, de cette manière, on verrait qu'effectivement ce carnage était un service rendu à la cause de Dieu. Le prince se fit amener quelques-uns de leurs docteurs et leur demanda ce qu'ils pensaient d'Ali, fils d'AbouTaleb? A quoi ils répondirent : « Ali était infidèle; il se trouve maintenant dans le feu de l'enfer, et quiconque refuse de le déclarer un infidèle, encourra la même punition! » — « Est-ce là l'opinion de tout votre peuple?» leur demanda Ibrahîm, et, sur leur réponse affirmative, il déclara que ce serait maintenant un bonheur pour lui que de les faire mourir. S'étant alors assis sur son trône, il se fit amener un des prisonniers et lui ayant fait couper le justaucorps à la hauteur des épaules, il le frappa au cœur avec un javelot qu'il tenait à la main, et avant de s'arrêter, il en tua cinq cents de la même manière. Ayant fini avec les Nefousa, il poursuivit sa marche jusqu'à Tripoli où il fit mourir et mettre en croix le gouverneur de cette ville, Mohammed, fils de Ziadet-Allah, dont le savoir et l'esprit cultivé avaient excité sa jalousie dès le temps de sa jeunesse. De Tripoli, il s'avança jusqu'à Aïn-Taurgha où plus de la moitié de ses troupes l'aban

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4 On voit par cette réponse que le cheikh appartenait à la secte des Kharedjites.

donna pour rentrer en Ifrîkïa'. Cette circonstance l'obligea de rebrousser chemin et de rentrer à Raccada d'où il partit ensuite pour Tunis.

en

En l'an 284, Ibrahîm envoya son fils, Abou-'l-Abbas, Sicile pour y faire la guerre. Débarqué en cette île au mois de Djomada premier (juin 897), ce prince attaqua les troupes de l'ennemi, les mit en déroute, emporta leur ville d'assaut et y tua beaucoup de monde. Ayant alors rassuré les esprits en accordant une amnistie générale, il traversa le détroit dans le dessein d'attaquer les Rovm, puis il rentra en Sicile après avoir tué beaucoup de monde et enlevé les enfants des vaincus.

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En l'an 289 (902), un ambassadeur, chargé par le khalife albacide, El-Motaded-Billah, de faire à Ibrahîm une communication verbale, se rendit de Baghdad à Tunis, et Ibrahim alla audevant de lui jusqu'à la Sibkha. Nous devons dire que le khalife avait reçu, des habitants de Tunis, une adresse dans laquelle ils se plaignaient de la conduite d'Ibrahîm à leur égard et lui représentaient que les femmes et les enfants dont Ibrahîm lui avait fait présent [comme esclaves] était les leurs 3. Pénétré d'indignation à cette nouvelle, El-Motaded envoya à Ibrahîm l'ordre d'abandonner à son fils Abou-'l-Abbas le gouvernement de l'Ifrikïa et de

1 Voici comment l'auteur du Baian explique cet événement: « Ensuite Ibrahîm se porta de Tripoli à Taourgha où il tua quinze hommes et donna l'ordre de cuire leurs têtes; faisant accroire en même temps, que lui et ses officiers voulaient en manger. L'armée en fut épouvantée ; les soldats se dirent: l'émir est devenu fou! et il se mirent a déserter ».

2 Ibn-el-Athîr et son copiste Ibn-Khaldoun placent en l'an 287 la Domination d'Abou-'l-Abbas au gouvernement de la Sicile. La ville dont En-Noweiri oublie de mentionner le nom fut Palerme, qui appartenait alors aux musulmans. Les habitants s'étaient mis en révolte, et capitulèrent après avoir essuyé une défaite sanglante.

3 On a déjà vu, page 429, qu'après la prise de Tunis, en 279, les habitants furent réduits en esclavage.

venir comparaître devant lui. Voulant éviter la nécessité de se rendre auprès du khalife, Ibrahîm annonca sa détermination d'abdiquer afin de se consacrer à une vie de pénitence. Il se revêtit alors d'habillements grossiers, fit mettre en liberté toutes les personnes qu'il retenait dans ses prisons et supprima les gabelles (mocabilat). Dans le mois de Rebiâ premier il remit l'autorité suprême entre les mains de son fils, Abou'-l-Abbas, qui venait d'arriver de Sicile, et voulant faire le pèlerinage de la Mecque, il se rendit à Souça et envoya des messagers à Baghdad pour annoncer cette nouvelle au khalife. Quelque temps après, il fit prévenir la cour de Baghdad qu'il n'aurait pu donner suite à son projet [de pèlerinage] sans qu'il y eut un conflit entre lui et les Toulounides [qui gouvernaient l'Egypte], et que pour cette raison il s'était décidé à partir pour la guerre sainte. Un appel public de venir combattre pour la cause de Dieu attira plusieurs volontaires auxquels il distribua des fortes sommes, et le 22 du mois de Rebiâ second, il partit de Souça. Arrivé à Nouba, il distribua des armes et des chevaux à ceux qui l'accompagnèrent et accorda une gratification de vingt dinars à chaque cavalier et de dix à chaque fantassin. De Nouba il se rendit par mer à Tripoli, où il passa dix-sept jours à faire des largesses au peuple, et de là il partit pour Palerme où il débarqua le 18 du mois de Redjeb. Son premier soin en arrivant fut mettre fin aux injustices dont les habitants de la Sicile avaient à se plaindre, et après avoir employé quatorze jours à enrôler des soldats et des matelots il se porta sur Taormine. Le siége de cette ville coûta beaucoup de monde aux deux partis, et la garnison se défendit avec tant de résolution que les musulmans furent sur le point d'abandonner leur entreprise. Dans ce moment on entendit la voix d'une personne qui récitait ces paroles du Coran : Voici deux adversaires qui se disputèrent au sujet de leur Seigneur; mais on a taillé pour les infidèles des vêtements de feu et on leur versera sur la tête de l'eau bouillante. Alors, les guerriers les plus braves s'élancèrent à l'assaut, décidés à vaincre ou à mourir; ils mirent

Coran; sourate 22, verset 20.

les infidèles en pleine déroute, les passèrent au fil de l'épée, les poursuivirent jusqu'aux vallées et aux cîmes des montagnes pendant qu'Ibrahîm et ses compagnons pénétrèrent dans la ville, exterminèrent une partie des habitants et firent le reste prisonnier. Il envoya alors son petit-fils Ziadet-Allah contre le château de Tifech, et son fils Abou-'l-Aghleb contre Demonich (Val Demona). L'armée musulmane trouva ces forteresses évacuées et s'empara de tout ce que les habitants n'avaient pu emporter dans leur fuite précipitée. Ibrahîm fit marcher Abou-'l-Hodjr, son autre fils, contre Rametta. Les habitants de cette ville obtinrent leur grâce en se soumettant à payer la capitation. Son général Sâdoun-el-Djeloui somma le peuple de Lebedj (Aci Reale) de se rendre, et bien qu'ils lui offrirent de payer la capitation, il ne voulut point accorder la paix jusqu'à ce qu'ils eussent livré leurs châteaux. Quand il se trouva maître de ces forteresses, il les abattit et en fit jeter les matériaux à la mer. L'armée musulmane se dirigea ensuite vers Messine et, après y avoir passé trois jours, elle partit avec Ibrahîm pour envahir la Calabre. Arrivé dans ce pays, le 26 de Ramadan, il s'approcha de la ville de Kasta 2 dont les députés vinrent audevant de lui solliciter la paix. Il se refusa à leur prière, et fit avancer son armée; mais il resta luimême avec l'arrière-garde, à cause d'une indisposition dont il venait d'être attaqué. Les troupes allèrent camper sur le bord de la rivière, et le 24 du mois de Choual, Ibrahîm leur donna l'ordre de marcher en avant et assigna à chacun de ses fils et à ses officiers principaux leurs différents postes pour l'attaque. On se disposait à donner l'assaut de tous les côtés à la fois, et les catapultes venaient d'être dressées, quand la maladie interne dont Ibrahim souffrait prit subitement une grande intensité; le râle de la mort se déclara, et ses compagnons perdirent tout espoir de le sauver. Sous l'empire de ces circonstances, ils se décidèrent sécrètement à confier le commandement à Zîadet-Allah, fils

1 Variante: Bikech.

Il faut sans doute lire Kasna, qui n'est autre qu'une altération du nom Cosenza.

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