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tenir le prince de Bougie en échec, et les disposa à souhaiter une suspension d'armes. Leurs envoyés se rendirent à Bougie et négocièrent un traité de paix dont un des articles, dicté par le sultan Abou-'l-Baca lui-même, portait que celui des deux monarques qui survivrait à l'autre hériterait du trône vacant et serait reconnu comme sultan. La ratification de ce traité se fit d'abord à Bougie en présence des grands officiers et des cheikhs almohades et, ensuite, à Tunis avec la même formalité. Bien que les deux parties eussent déclaré solennellement qu'elles acceptaient cet acte comme valide et qu'elles en rempliraient toutes les conditions, les Tunisiens refusèrent de s'y conformer lors de la mort du sultan Abou-Acida.

ABOU YAHYA - - ÉL-LIHYANI, GRAND CHEIKH DE L'EMPIRE, MÈNE UNE EXPÉDITION CONTRE DJERBA ET PART ENSUITE POUR LA MECQUE.

Quand la paix fut établie entre les deux empires, le premier soin du ministre tunisien, Abou-Yahya-Zékérïa-Ibn-el-Lihyani, fut de tourner son attention vers le salut de son âme et de chercher dans son esprit le moyen d'échapper aux liens qui le retenaient dans la vie publique. Il attendait avec impatience le retour de l'ambassade que les émirs de l'Egypte avaient envoyée au sultan Youçof-Ibn-Yacoub et qui, après être débarquée à El-Mehdïa, s'était dirigée vers le Maghreb. Il comptait se joindre à cette caravane lorsqu'elle serait en route pour l'Egypte, pays d'où il pourrait facilement atteindre la Mecque. Comme ces envoyés tardaient de venir, il résolut de partir sans les attendre davantage, et, pour mieux cacher son dessein, il imagina de faire une expédition contre l'île de Djerba afin d'en expulser les chrétiens, et, ensuite, contre le Djerid, pour faire rentrer ce pays dans l'ordre. Après avoir pris l'avis du sultan sur le but ostensible de cette expédition, il partit de Tunis dans le mois de Djomada 706 (fin de 1306), avec l'autorisation de ce monarque, et se porta rapidement du côté de Djerba. Ayant alors traversé le gué par lequel on pénètre dans cette île, il attaqua les

chrétiens qui se tenaient dans El-Cachetîl. Cette forteresse avait été bâtie par eux en 688 (1289), lors de la conquête, pour servir de retraite à leur garnison. Pendant que ses agents parcouraient l'île pour y prélever l'impôt, il tint le château étroitement bloqué; mais, ayant épuisé ses vivres et reconnu l'impossibilité de réduire la place autrement que par un blocus très-prolongé, il décampa au bout de deux mois et rentra à Cabes. S'étant alors dirigé vers le Djerîd, il fit halte à Touzer et, secondé par AhmedIbn-Mohammed-Ibn-Yemloul, cheikh de cette ville, il parvint à faire rentrer les impôts de toute la province. Cette besogne terminée, il reprit le chemin de Cabes où il descendit chez Abd-elMélek-Ibn-Othman-Ibn-Mekki. Alors, il fit connaître son intention de partir pour la Mecque et renvoya l'armée à Tunis 1.

Il eut pour successeur dans la place de chef des Almohades Abou-Yacoub-Ibn-Izdouten. Pour éviter l'air malsain de Cabes, il alla habiter une des montagnes voisines, en attendant le passage de la première caravane qui se dirigerait vers la Mecque. Il était alors malade et, lorsqu'il eut recouvré la santé, il se rendit à Tripoli où il séjourna un an et demi. Ce fut alors seulement, c'est-à-dire vers la fin de l'an 708 (mai 1309), que l'ambassade du gouvernement turc[-mamelouk] arriva du Maghreb-el-Acsa. Il partit avec elle et, après avoir accompli le pèlerinage, il rentra à Tunis et monta sur le trône des Hafsides. Plus loin, on trouvera l'histoire de cet événement.

En l'an 708, après l'évacuation de Djerba par les troupes musulmanes, la garnison d'El-Cachetîl reçut un renfort que lui amena Frédéric, fils du roi et seigneur de la Sicile 2. Les sectaires nekkariens de l'île s'opposèrent au progrès de l'ennemi et combattirent sous les ordres d'Abou-Abd-Allah-Ibn-el-Hacen,

1 On trouvera beaucoup de détails sur l'expédition d'Ibn-el-Lihyani el sur l'état de la province de Tunis, dans le voyage d'Et-Tidjani dont M. A. Rousseau a fait paraître la traduction dans le Journal asiatique de 1852, 1853. Voy., sur Et-Tidjani, notre premier volume, p. 436,

pole.

* Il s'agit ici de Frédéric, fils de Pierre d'Aragon.

cheikh almohade, secondé par Ibn-Aumghar et ses gens, natifs de Djerba. Dieu accorda la victoire aux musulmans. Depuis la chute de l'empire sanhadjite, cette ile fut continuellement exposée aux attaques de l'ennemi; quelquefois aussi, la guerre civile éclatait entre les deux sectes hérétiques qui y demeuraient, et, alors l'une ou l'autre de ces factions se réunissait aux chrétiens. Cet état de choses dura assez longtemps; mais, entre les années 740 et 750, sous le règne de notre seigneur Abou-Yahya-Abou-Bekr, Djerba fut enlevée aux chrétiens, ainsi qu'on le verra dans l'histoire de ce prince.

MORT DU SULTAN ABOU-ACÎDA ET INAUGURATION D'ABOU-BEKR-ESCHEHÎD.

Dans le mois de Rebiâ second 709 (septembre 1309), le sultan cessa de vivre, après avoir joui d'un règne long et prospère. Il mourut dans son lit, emporté par une maladie hydropique dont il souffrait depuis longtemps. Comme il ne laissa point d'enfants, les almohades placèrent sur le trône un descendant de l'émir Abou-Zékérïa, aïeul de la famille royale. Ce prince, qui se nommait Abou-Bekr 2-Abd-er-Rahman, vivait alors dans le palais. Son père, Abou-Bekr, fils d'Abou-Zékérïa, est celui dont nous avons mentionné la mort dans le chapitre qui traite de la prise de Miliana par son frère germain Abou-Hafs3. Cet événement eut lieu sous le règne du sultan El-Mostancer. Les enfants d'Abou-Bekr, fils d'Abou-Zékérïa, furent élevés dans le palais, à l'ombre tutelaire de la souveraineté, et son petit-fils, Abou - Bekr - Abd-er - Rahman, grandit au milieu des soins et des faveurs dont le sultan Abou-Acîda s'était plu à l'entourer. Lors de la mort d'Abou-Acîda, [le chef arabe] Hamza-Ibn-Omar

Notre auteur indique ailleurs que la conquête de Djerba eut lieu en 738.

2 Ici et ailleurs, les manuscrits portent : Abou-Bekr-Ibn-Abd-erRahman.

Voy., ci-devant, p. 353.

qui avait perdu tout espoir de faire remettre en liberté son frère [Moulahem], s'était rallié au parti d'Abou-'l-Baca, sultan de Bougie, et n'avait cessé de pousser ce prince à s'emparer du royaume de Tunis; aussi, quand Abou-Ali-Ibn-Kethîr vint leur annoncer la vacance du trône, le sultan fit tous ses préparatifs et marcha sur la capitale. Cette démonstration inspira beaucoup d'inquiétude aux Almohades et les décida à proclamer la souveraineté de l'émir Abou-Bekr 2 [-Abd-er-Rahman], prince que l'on désigne ordinairement par le surnom d'Es-Chehîd (le martyr), parce qu'il fut mis à mort dix-sept jours après son avènement au trône. Le nouveau souverain conserva AbouAbd-Allah-Ibn-Irzîguen comme vizir, mais il destitua le chambellan, Mohammed-Ibn-ed-Debbagh, en le menacant de sa vengeance à cause du peu d'égards que ce fonctionnaire lui avait témoignés sous le règne du feu sultan. Dès lors, Ibn-ed-Debbagh ne cessa de travailler contre lui.

LE SULTAN ABOU-'L-BACA-KHALED OCCUPE LA CAPITALE ET DEVIENT LE SEUL REPRÉSENTANT DE LA SOUVERAINETÉ HAFSIDE.

Abou-l-Baca se trouvait à Bougie, capitale de ses états, quand il apprit la maladie du sultan Abou-Acîda, et, craignant que les gens de Tunis ne fussent tentés à rompre le traité qui assurait au dernier survivant des deux souverains le droit de succéderà l'autre, il résolut de se rapprocher de Tunis afin de veiller à ses intérêts et faire de valoir ses prétentions au trône. Cette démarche lui fut vivement conseillée par Hamza-Ibn-Omar, chef arabe qui avait abandonné le parti des Tunisiens. Ayant quitté Bougie sous le prétexte de faire une expédition contre Alger, où Ibn-Allan commandait encore en maître, il prit la route de Casr-Djaber, et, en y arrivant, il reçut la nouvelle

1 Tome 1, p. 146.

2 Dans le texte des manuscrits, on trouve ici Zékérïa à la place de Bekr, et, quelques lignes plus haut, ou y lit Kebir à la place de Kethir.

qu'Abou-Acîda venait de mourir et que les Almohades avaient proclamé souverain le prince Abou-Bekr-Abd-er-Rahman, fils d'Abou-Bekr, fils d'Abou-Zékérïa. Indigné de la mauvaise foi du gouvernement tunisien, il pressa sa marche et rallia sous ses drapeaux toutes les tribus commandées par les Aulad-Abi-'lLeil. Quant aux Aulad-Mohelhel, rivaux de ceux-ci, il allèrent' joindre le sultan de Tunis.,

Le ministre Abou-Yacoub-Ibn-Izdouten et le vizir Abou-AbdAllah-Ibn-Irzîguen prirent alors le commandement des troupes tunisiennes, avec la résolution de mourir pour la défense de leur maître. Devant la charge de l'armée d'Abou-'l-Baca, celle de Tunis recula en désordre et abandonna son camp; Ibn-Irziguen fut frappé à mort, et les Arabes Mohelhel prirent la fuite pour se jeter dans le Désert. Pendant l'agitation que la rentrée des fuyards avait excitée dans la ville, le sultan Abou-Bekr-Abder-Rahman alla se poster en dehors des remparts; mais, voyant ses troupes passer du côté d'Abou-'l-Baca, il prit la fuite et se réfugia dans une maison de campagne. Tiré bientôt de sa retraite, il fut conduit devant Abou-'l-Baca et emprisonné dans une tente par l'ordre de ce prince. Les cheikhs almohades, les hommes de loi et tous les autres notables de la ville sortirent alors au devant du vainqueur et lui prêtèrent le serment de fidélité. L'émir Abou-Bekr fut mis à mort, et, depuis lors, on l'a toujours désigné par le surnom d'Es-Chehîd (le martyr). Il fut tué par son cousin Abou-Zékérîa-Yahya-Ibn-Zékérïa, cheikh almohade.

Le lendemain, Abou-'l-Baca fit son entrée dans la capitale et, devenu maître du khalifat, il prit le titre d'En-Nacer li-dîn Illah el Mansour (le champion de la religion de Dieu, le victorieux), auquel il ajouta plus tard le surnom d'El-Motewekkel (qui se confie à Dieu). Abou-Yacoub-Ibn-Izdouten garda sa position et fut déclaré chef des Almohades, mais il dut partager les fonctions de cet office avec Abou-Zékérïa-Yahya-Ibn-Abi-'l-Alam, chef des Almohades de Bougie. Abou - Abd-er-RahmanYacoub-Ibn-Ghamr continua à servir le sultan en qualité de chambellan. La perception des impôts fut confiée à MansourIbn-Fadl-Ibn-Mozni.

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