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de faire, ils refusèrent de se soumettre, mais cette obstination attira sur eux un chatiment sévère; il les attaqua, les mit en déroute, pilla et incendia leurs habitations. Il se retira alors et, bientôt après, les Hoouara rentrèrent dans l'obéissance. Ce fut ensuite les Louata qui se révoltèrent. Cette tribu rassembla ses forces, et après avoir pillé la ville de Carna qu'elle venait d'assiéger et d'emporter dans l'espace de quelques jours, elle se tourna contre Bédja et Casr-el-Ifrîki. Mohammed-Ibn-Corhob, chargé par Ibrahîm de les faire rentrer dans le devoir, essuya une défaite. Dans sa fuite, son cheval tomba sous lui et le mit au pouvoir des révoltés qui le tuèrent sur-le-champ. Cet événement eut lieu dans le mois de Dou'l-Hiddja de l'an 268 (juinjuillet 882). Outré de colère à cette nouvelle, Ibrahîm plaça les milices, les [contingents des tribus] alliées et ses esclaves sous les ordres de son fils, Abou- 'l-Abbas, et les fit partir en toute hâte. Ceci eut lieu en l'an 268. Prévenus de l'approche de cette armée, les Louata s'enfuirent, mais Abou-'l-Abbas les atteignit à Bedja et leur tua beaucoup de monde. Le reste se dispersa de tous les côtés.

En l'an 278 (891-2), Ibrahîm apprit que plusieurs de ses eunuques et esclaves slavoniens avait comploté sa mort et celle de sa mère ; aussi les fit-il tous périr. Ce fut quelque temps après qu'il tua ses propres filles. Cette même année, il massacra, dans Raccada, les hommes les plus marquants de la ville de Belezma. Il avait déjà marché en personne contre eux, mais ne pouvant réussir à leur faire accepter le combat, il s'était retiré en déclarant qu'il leur pardonnait leur conduite passée. Bientôt après, une députation de la province du Zab étant arrivée à la cour, il lui assigna pour logement un espèce de grand fondouc [ou caravanseraï] qui était situé dans la ville de Raccada; leur fixant un ample traitement qu'il accompagna d'un cadeau de pelisses et d'autres marques d'honneur. Ces témoignages de bonté attirérent à la ville d'autres personnes de la même province, de sorte qu'à peu près mille individus s'y trouvaient rassemblés. Ibrahîm se hâta de mettre cette occasion à profit et les fit attaquer par ses troupes. Comme ils essayèrent de résister, un combat eut

lieu dans lequel ils succombèrent. Cet événement eut pour résultat final la chute de la dynastie aghlebide; en effet, le peuple de Belezma avait soumis les Ketama et les traitait comme des esclaves, les obligeant à payer la dîme et les aumônes légales ; mais la conduite d'Ibrahîm envers les oppresseurs des Ketama délivra ceux-ci de la tyrannie qui les accablait et les mit en état de pouvoir prêter, plus tard, un appui efficace au Chîite [précurseur des Fatemides]. La même année, Ibrahîm acheta et habilla des esclaves nègres, au nombre de cent mille, et les plaça sous les ordres des [eunuques] Meimoun et Rached auxquels il confia la garde du palais. Vers la même époque, le chambellan Ibn-es-Samsema avec ses frères et ses parents furent mis à mort par l'ordre d'Ibrahim. L'officier qui le remplaça et qui se nommait El-Hacen-Ikn Naked, avait exercé d'autres charges, dont l'une était le gouvernement de l'île de Sicile. La même année, au mois de Redjeb, des troubles éclatèrent dans la province d'Ifrikïa Tunis, la péninsule de Cherîk, le pays de Satfoura et les villes de Bédja, Camouda et Laribus se révoltèrent contre Ibrahim; mais les chefs de l'insurrection se tinrent chacun dans son territoire au lieu de réunir leurs forces contre l'ennemi commun. De toute la province, il ne restait à Ibrahîm que les districts situés sur la côte orientale. Frappé du danger qui le menaçait, il entoura Raccada d'un retranchement, et après avoir appelé auprès de lui les personnes sur lesquelles il pouvait compter et les nègres qu'il avait au château, il fit venir un cheikh de la tribu des Beni-Amer-Ibn-Nafé et lui demanda son avis. Cet homme lui répondit : « S'ils s'empressent d'agir contre toi sans attendre jusqu'à ce que la dissension se mette dans leurs conseils, je crains qu'ils ne te fassent beaucoup de mal; mais, s'ils tardent à agir, tu pourras en faire tout ce que tu voudras.»> Quand le cheikh se retira, Ibrahim dit à son fils Abou-'l-Abbas: << Vas l'enfermer chez toi; il faut empêcher que ce conseil ne se

1 L'auteur du Baïan, qui place ce massacre en l'an 280, nous apprend que ces gens de Belezma étaient d'origine arabe, les uns descendants des premiers conquérants, et les autres des anciens miliciens.

divulgue et ne parvienne aux oreilles des rebelles. » Abou-'lAbbas obéit et garda le cheikh aux arrêts jusqu'à ce que la victoire se fut déclarée pour son père. Ibrahîm commença à agir sans perdre de temps; l'armée qu'il envoya dans la péninsule de Cherîk y tua beaucoup de monde et fit prisonnier Ibn-AbiAhmed, chef de cette division des insurgés. On l'envoya à Ibrahîm qui le fit mourir et mettre en croix. Son eunuque Saleh marcha par ses ordres contre Camouda et dispersa les révoltés de cette contrée, pendant que l'eunuque Meimoun et le chambellan El-Hacen-Ibn-Naked se dirigèrent contre Tunis avec une armée immense. Les insurgés qui se présentèrent de ce côté furent mis en déroute après une bataille acharnée. Les troupes d'Ibrahîm firent main basse snr les fuyards et emportèrent d'assaut la ville, dont elles pillèrent les maisons, violèrent les femmes et réduisirent les habitants en esclavage. On envoya douze cents des principaux personnages de la ville prisonniers à Ibrahîm. Ceci eut lieu au mois de Ramadan de la même année. La nouvelle de cette victoire fut transmise à Ibrahim par le moyen de pigeons. Il expédia l'ordre à son général de ne pas décapiter les morts, et il lui dépêcha en même temps des charettes pour transporter les cadavres à Cairouan. On fit défiler ces trophés sanglants à travers la foule de spectateurs qui encombrait les rues de la ville.

§ XLVII. IBRAHIM SE REND A TUNIS.

En l'an 281 (894), Ibrahîm donna l'ordre de bâtir des châteaux et des palais à Tunis, pour lui servir de lieux de résidence. Quand ces édifices furent achevés, il parti de Raccada le mercredi, 24 du mois de Djomada premier, et se rendit à Tunis avec tous ses généraux et moulas. Deux ans plus tard, il fit les préparatifs d'une expédition en Egypte où il se proposait d'aller attaquer Ibn-Touloun1. Ses troupes rassemblées, il quitta Tunis,

1 L'Ibn-Touloun dont il est question ici doit être Abou-AçakerDjeich, (fils de Khomaravaih et petit-fils d'Ahmed-Ibn-Touloun), qui ful mis a mort en l'an 283, après un règne de six mois, ou bien son frère et successeur, Abou-Mouça-Haroun.

le 40 du mois de Moharrem, et se rendit à Raccada où il séjourna jusqu'au 22 du mois suivant. Quand il reprit sa marche, le peuple de la province de Nefouça se rassembla dans le dessein de s'opposer à ses progrès, et, vers le milieu du mois de Rebia second, un combat acharné eut lieu entre les deux partis. Meimoun, l'eunuque, succomba dans cette bataille ainsi que plu sieurs autres; mais, à la fin, Ibrahîm mit l'ennemi en pleine déroute et le poursuivit, l'épée dans les reins, jusqu'au bord de la mer. Un grand nombre des fuyards se jetèrent à l'eau pour se sauver, mais on les y tua tous jusqu'au dernier, de sorte que les flots furent teints de leur sang. A ce spectacle, Ibrahîm s'écria : « Oh! si cette victoire avait été remportée sur les ennemis de Dieu, quel honneur cela me ferait! » A ces paroles, un de ses officiers lui dit de faire venir un des cheikhs nefoucites et de l'interroger sur sa croyance religieuse, puisque, de cette manière, on verrait qu'effectivement ce carnage était un service rendu à la cause de Dieu. Le prince se fit amener quelques-uns de leurs docteurs et leur demanda ce qu'ils pensaient d'Ali, fils d'AbouTaleb? A quoi ils répondirent : « Ali était infidèle; il se trouve maintenant dans le feu de l'enfer, et quiconque refuse de le déclarer un infidèle, encourra la même punition ! » 4- « Est-ce là l'opinion de tout votre peuple?» leur demanda Ibrahîm, et, sur leur réponse affirmative, il déclara que ce serait maintenant un bonheur pour lui que de les faire mourir. S'étant alors assis sur son trône, il se fit amener un des prisonniers et lui ayant fait couper le justaucorps à la hauteur des épaules, il le frappa au cœur avec un javelot qu'il tenait à la main, et avant de s'arrêter, il en tua cinq cents de la même manière. Ayant fini avec les Nefousa, il poursuivit sa marche jusqu'à Tripoli où il fit mourir et mettre en croix le gouverneur de cette ville, Mohammed, fils de Zîadet-Allah, dont le savoir et l'esprit cultivé avaient excité sa jalousie dès le temps de sa jeunesse. De Tripoli, il s'avança jusqu'à Aïn-Taurgha où plus de la moitié de ses troupes l'aban

On voit par cette réponse que le cheikh appartenait à la secte des Kharedjites.

donna pour rentrer en frikïa 1. Cette circonstance l'obligea de rebrousser chemin et de rentrer à Raccada d'où il partit ensuite pour Tunis.

En l'an 284, Ibrahim envoya son fils, Abou-'l-Abbas, en Sicile pour y faire la guerre. Débarqué en cette île au mois de Djomada premier (juin 897), ce prince attaqua les troupes de l'ennemi, les mit en déroute, emporta leur ville d'assaut et y

tua beaucoup de monde. Ayant alors rassuré les esprits en accordant une amnistie générale, il traversa le détroit dans le dessein d'attaquer les Rovm, puis il rentra en Sicile après avoir tué beaucoup de monde et enlevé les enfants des vaincus.

§ XLVIII.

ABDICATION D'IBRAHIM; DERNIÈRE CAMPAGNE ET

MORT DE CE PRINCE.

En l'an 289 (902), un ambassadeur, chargé par le khalife albacide, El-Motaded-Billah, de faire à Ibrahim une communication verbale, se rendit de Baghdad à Tunis, et Ibrahim alla audevant de lui jusqu'à la Sibkha. Nous devons dire que le khalife avait reçu, des habitants de Tunis, une adresse dans laquelle ils se plaignaient de la conduite d'Ibrahîm à leur égard et lui représentaient que les femmes et les enfants dont Ibrahim lui avait fait présent [comme esclaves] était les leurs 3. Pénétré d'indignation à cette nouvelle, El-Motaded envoya à Ibrahîm l'ordre d'abandonner à son fils Abou-'l-Abbas le gouvernement de l'Ifrikïa et de

1 Voici comment l'auteur du Baïan explique cet événement : « Ensuite Ibrahim se porta de Tripoli à Taourgha où il tua quinze hommes et donna l'ordre de cuire leurs têtes; faisant accroire en même temps, que lui et ses officiers voulaient en manger. L'armée en fut épouvantée; les soldats se dirent : l'émir est devenu fou! et il se mirent à déserter ».

2 Ibn el-Athîr et son copiste Ibn-Khaldoun placent en l'an 287 la Domination d'Abou-l-Abbas au gouvernement de la Sicile. La ville dont En-Noweiri oublie de mentionner le nom fut Palerme, qui appartenait alors aux musulmans. Les habitants s'étaient mis en révolte, et capitulèrent après avoir essuyé une défaite sanglante.

3 On a déjà vu, page 429, qu'après la prise de Tunis, en 279, les habitants furent réduits en esclavage.

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