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d'un si haut patronage la fortune de Yacoub ne cessa de grandir, et, comme sa famille avait cultivé l'amitié du hadej Fadl, intendant du palais et favori du sultan, il entra au service de cet officier et ne le quitta plus. El-Haddj-Fadl faisait de fréquents voyages en Espagne pour y acheter de belles étoffes de soie, et il se rendait quelquefois à Tunis afin d'y chercher de riches effets d'habillement. Lors de son dernier voyage en Andalousie, il emmena avec lui [son fils et] Ibn-Ghamr, et à peine débarqué, il cessa de vivre. Alors le sultan, au lieu d'adresser ses lettres au fils de Fadl, les envoya directement à Ibn-Ghamr en lui ordonnant de terminer promptement les achats et de revenir. A son retour, Ibn-Ghamr fut interrogé par le sultan, ainsi que le fils d'El-Haddj- Fadl, au sujet de leurs opérations, et comme le premier était doué d'une meilleure mémoire que son compagnon de voyage, il répondit mieux au prince et mérita, par son zèle et son activité l'honneur d'entrer au service de l'état. Favorisé par son maître, il monta d'un emploi à un autre et, après avoir rempli les fonctions de perceveur d'impôts, il obtint la place de ministre des finances. Cette position l'exposa à la jalousie d'Ibn-Abi-Djebbi et d'Abd-Allah-er-Rokkami qui virent en lui un rival dangereux, et, en conséquence de leurs calomnies, le sultan le fit déporter en Espagne. Quand Abou-'l-Baca monta sur le trône, Ibn-Ghamr fit valoir les anciens services rendus à ce prince et obtint son rappel à la cour. S'étant alors embarqué avec Ali et Horein, fils d'ErRendahi, il entra au port de Bougie pendant l'absence d'IbnAbi-Djebbi et reçut du sultan un très-bon accueil. Aussitôt arrivé, il travailla avec Merdjan pour renverser ce chambellan et parvint à ses fins ainsi que nous venons de le ranconter. La place qui vaqua ainsi lui fut donnée par le sultan, et l'administration des finances fut confiée à Er-Rokhami. Comme ce dernier s'était mis au courant des fonctions de chambellan pendant qu'il

Notre auteur a déjà parlé de Hadjboun-er-Rendahi; voy. p. 334 de ce volume. Dans l'histoire des Mérinides, il fait encore mention de ce cald.

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était au service d'Ibn-Abi-Djebbi, il devint le lieutenant d'IbnGhamr et chercha ensuite à le supplanter. Pour se venger de ce mauvais procédé, Ibn-Ghamr fit découvrir au sultan certains projets de trahison qu'Er-Rokhami nourrisait en secret. Cette révélation entraîna la chute du vice-chambellan qui fut déporté en Maïorque [chez les chrétiens] après avoir subi la torture et la confiscation de ses biens. Plus tard, le sultan merinide, YouçofIbn-Yacoub, disgracia Abd-Allah-Ibn-Abi-Medyen et racheta ErRokhami pour en faire son ministre des finances, ainsi que nous le raconterons ailleurs; mais la mort de ce souverain frustra les espérances du proscrit qui, depuis lors, ne quitta plus Tlemcen, et mourut dans cette ville. Yacoub-Ibn-Ghamr, ayant conservé la place de chambellan, la remplit avec tant d'habilité que le sultan lui confia l'administration de l'état. Les fonctionnaires de tous grades furent soumis à son contrôle, et rien ne se décida dans le conseil d'état sans son approbation. Le premier individu qui succomba sous les coups de sa puissance fut son ancien protecteur Merdjan : il réussit à indisposer le sultan contre lui; puis, il le fit arrêter et jeter à la mer pour servir de nourriture aux poissons. N'ayant plus alors de rival à craindre, il conserva l'entière direction des affaires jusqu'au jour où Abou-'lBaca s'empara de Tunis.

IBN-EL-AMÎR PROCLAME ABOU-ACÎDA A

LA VILLE PAR ABOU-'L-BACA ET

PRISE DE

CONSTANTINE.
MORT DU CHEF REVOLTÉ.

Nous aurons à raconter, dans l'histoire des Mérinides, comment Youçof-Ibn-el-Amîr 3 el-Hemdani fut tué à Tanger par les

1 La disgrâce d'El-Rokhani eut lieu quelque temps après la révolte d'Ibn-el-Amîr à Constantine. Voy., ci-après, p. 425.

2 Dans l'histoire de Youçof-Ibn-Yacoub, on cherche vainement le passage auquel l'auteur renvoie ici son lecteur.

Variante: Amin.

[petit-] fils d'Abou-Yahya-Ibn-Abd-el-Hack. Ses enfants passèrent à Tunis afin d'obtenir du sultan El-Mostancer la juste récompense du zèle que leur famille avait déployé en faveur de la dynastie hafside, depuis le temps où Abou-Ali-Ibn-Khalas gouvernait à Ceuta jusqu'au moment où El-Azéfi usurpa le commandement de cette ville. On trouvera dans notre chapitre sur El-Azéfi les détails de ces événements 1. Accueillis à Tunis de la manière la plus bienveillante, ils reçurent du gouvernement des pensions et des grâces qui suffirent pour leur procurer tous les agréments de la vie. L'aîné de ces frères s'y fit bientôt remarquer par sa hauteur et son insolence; et, plus d'une fois, il aurait attiré sur sa famille la sévérité du gouvernement, si l'indulgence du sultan n'eût pas emporté sur le mécontentement général. Leurs enfants furent élevés dans l'opulence, et l'un d'entre eux, Abou-'l-Hacen-Ali, se retira à Bougie lors des troubles et changements qui suivirent la mort du sultan [ElMostancer]. Pendant son séjour dans cette ville, il gagna l'amitié d'Ibn-Abi-Djebbi et, pour s'attacher à lui par les liens les plus solides, il en épousa la fille. Cet homme d'état ayant obtenu de l'émir Abou-Zékérïa la place de chambellan, n'épargna aucune démarche pour faire admettre son gendre au partage de la puissance et des honneurs. Le succès répondit à ses efforts, et Abou'l-Hacen-Ibn-el-Amir monta rapidement aux plus hauts emplois jusqu'à se faire nommer gouverneur de Constantine et chambellan du prince Abou-Bekr[-Abou-Yahya], fils de l'émir AbouZékérïa. Dans cette position, il montra beaucoup de talent et de prudence; mais, voyant que la chute de son beau-père l'exposait aussi à la vengeance du sultan, il fit proclamer à Constantine l'autorité du souverain de Tunis. Avec l'acte d'hommage qu'il

Voy. aussi p 334 de ce volume.

2 Le onzième souverain hafside se nommait Abou-Bekr et portait le surnom d'Abou-Yahya. Dans cette traduction, les deux appellations sont constamment employées ensemble pour éviter la confusion à laquelle une étrange fantaisie de notre historien peut donner lieu dans le premier volume du texte arabe, il appelle presque toujours ce sultan Abou-Bekr et, dans le second, il le nomme Abou-Yahya.

expédia à cette capitale et auquel les habitants de la ville avaient donné leur adhésion, il envoya une lettre dans laquelle il demanda des renforts et la présence d'un réprésentant du sultan En l'an 704 (1304-5), Abou-Yahya-Zékérïa-Ibn-Ahmed-IbnMohammed-el-Lihy ani, chef des Almohades et premier ministre de l'empire, arriva à Constantine et ratifia, au nom de son maître, l'acte de soumission.

Le sultan Abou-'l- Baca, ayant appris cette nouvelle, quitta Bougie vers la fin de l'année et marcha sur Constantine. Pendant quelques jours il fit inutilement le siége de la place et il se disposait même à s'en éloigner, quand un nommé Ibn-Mouza, un des favoris d'Ibn-el-Amîr, ouvrit une correspondance secrète avec Abou- 'l-Hacen-Ibn-Othman, cheikh almohade [au service du prince de Bougie ]. Cet officier, qui était posté en face du Babel-Ouadi [porte qui domine la rivière,] fit marcher ses gens à l'assaut et escalada les murailles, grâce à la connivence d'IbnMouza. Au bruit des armes, le sultan monta à cheval, conduisit son armée jusqu'à la porte de la ville, qui lui fut ouverte par ses partisans. Les Gonfodi, les Badis et les [ autres] notables s'empressèrent de sortir au devant de lui; mais la ville fut emporté d'assaut, et Abou-Mohammed-er-Rokhami courut avec la garde du sultan vers le palais. Ibn-el-Amir, se voyant abandonné de tout le monde, alla se barricader dans une chambre sur le toit de cet édifice, avec l'intention de vendre chèrement sa vie, mais, séduit par les promesses d'Er-Rokhami, il consentit enfin à sortir de sa retraite. On le fit aussitôt monter à rebours sur une mauvaise rosse et on le conduisit ainsi devant le sultan. Il fut mis à mort sur-le-champ, et son cadavre, attaché à un pieu, resta exposé aux yeux du public, pour lui servir de leçon ét d'exemple.

1 Variantes: Ghonfol, Gongodi, Gonfodi. Cette dernière est la bonne leçon.

• Cet Abou-Mohammed-er-Rokhami est la même personne que l'AbdAllah-er-Rokhami des pp. 420, 122.

EXPEDITION DU SULTAN ABOU-'L-BACA CONTRE Alger.

Nous avons déjà parlé de la révolte d'Alger contre l'autorité de l'émir Abou-Zékérïa et raconté comment Ibn-Allan y usurpa le commandement. Quand le sultan Abou-l-Baca eut rétabli l'ordre dans ses états, après être monté sur le trône de Bougie, il pensa que la mort de Youçof-Ibn-Yacoub et l'abandon du siége de Tlemcen par les Mérinides lui avaient procuré une bonne occasion de marcher contre Alger. En l'an 706 (4306-7) ou 707, il se mit en campagne et, arrivé dans la Metîdja, il reçut la soumission de Mansour-Ibn-Mohammed, chef des Melikich. Toute la tribu suivit l'exemple de son cheikh. Il prit, en même temps, sous sa protection Rached-Ibn-Mohammed-Ibn-Thabet, émir des Maghraoua, qui s'était enfui devant les Beni-Abd-el-Ouad. Ayant alors rassemblé toutes les tribus des environs, il marcha sur Alger; mais la résistance qu'il y rencontra fut si vigoureuse qu'au bout de quelques jours, il reprit le chemin de sa capitale. Les Melikich lui demeurèrent fidèles et ne cessèrent de harceler la ville d'Alger jusqu'au jour où elle tomba au pouvoir des Beni-Abd-el-Ouad. Dans l'histoire des Beni-Zian, nous reparlerons de cet événement. Rached-Ibn-Mohammed accompagna Abou-l-Baca à Bougie où il resta au service et sous la protection de ce prince; mais il fut enfin tué par Abd-er-Rahman-Ibn Khalouf, ainsi que le lecteur le verra ailleurs.

LA PAIX S'ÉTABLIT ENTRE LES SOUVERAINS DE TUNIS ET
DE BOUGIE.

La prise de Constantine et la mort d'Ibn-el-Amîr ayant laissé au sultan Abou-l-Baca la liberté de tourner ses armes ailleurs, le gouvernement de Tunis éprouva un vif regret d'avoir tardé à faire la paix avec lui. La mort du [sultan merinide] Youçof-IbnYacoub, qui eut lieu vers la même époque, trompa aussi l'espoir des Tunisiens en les privant du seul allié qui fut capable de

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