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successeurs tant qu'ils purent s'appuyer sur le sentiment national du peuple arabe. L'empire, pendant les deux premières phases de son existence, se confondait avec le khalifat; mais lorsqu'il eut épuisé (dans ses guerres) les populations qui formaient la nation arabe, le P. 376. khalifat cessa d'exister. A cette époque l'autorité suprême prit la forme d'une monarchie pure. En Orient, les souverains étrangers qui étaient au service de l'empire, reconnaissaient, par un sentiment de piété, la suprématie des khalifes; mais ils les avaient privés des titres et attributions de la royauté pour se les approprier. En Occident, les rois des peuples zénatiens en firent de même : les Sanhadja usurpèrent (en Mauritanie) la puissance temporelle des Obeïdites (Fatémides); les Maghraoua et les Beni Ifren traitèrent de la même manière les khalifes Oméiades d'Espagne et les khalifes Obeïdites de Cairouan.

Ainsi nous avons démontré que le khalifat s'établit d'abord sans mélange de royauté; puis il se confond avec la monarchie, qui, plus tard, s'en dégage et s'en isole, pourvu qu'elle ait pour se soutenir un parti distinct de celui du khalifat. Dieu règle la nuit et le jour.

Sur le serment de foi et hommage (béid1).

Le mot béid signifie prendre l'engagement d'obéir. Celui qui engageait sa foi en faisant le béiâ reconnaissait, pour ainsi dire, à son émir, le droit de le gouverner, ainsi que tout le peuple musulman; il promettait que, sur ce point, il ne lui résisterait en aucune manière, et qu'il obéirait à tous ses ordres, lui fussent-ils agréables ou non. Au moment d'engager sa foi envers l'émir, on mettait la main dans la sienne pour ratifier le contrat, ainsi que cela se pratique entre vendeurs et acheteurs. C'est pourquoi on a désigné cet acte par le terme béiâ, qui est le nom d'action du verbe baa (vendre ou acheter). Donc la signification primitive de béiá, est de se prendre par les mains. Telle est l'acception du mot dans le langage usuel et dans celui de la loi; c'est encore ce que l'on entend par béiá dans les traditions

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1 M. de Sacy a donné le texte de ce chapitre, avec une traduction, dans sa Chrestomathie arabe, t. II, p. 256 et suiv.

Pour ac, lisez acl.

ينازعه ينزعه

où il est question du serment prêté au Prophète dans la nuit nommée nuit de l'Acaba, et (dans l'assemblée qui eut lieu) auprès de l'arbre1; telle en est aussi la véritable signification partout où il se présente. De là vient l'emploi du mot béid pour désigner l'inauguration des khalifes. On dit de même : serment de béid (ou d'inauguration), parce que les khalifes exigeaient que la promesse d'obéissance envers eux fût accompagnée d'un serment réunissant les formules qui peuvent P. 377. s'employer dans une déclaration solennelle. On ne prêtait pas ordinairement ce serment à moins d'y être contraint; aussi l'imam Malek déclara, par une décision juridique, que tout serment fait à contrecœur était nul. Les officiers du gouvernement rejetèrent cette déclaration comme portant atteinte au serment de béiá, et de là vinrent les mauvais traitements que ce docteur eut à subir 2.

De nos jours, le béiâ est une cérémonie qui consiste à saluer le souverain de la manière qui se pratiquait à la cour des Chosroès: on baise la terre devant lui, ou bien on lui baise la main ou le pied, ou le bas de la robe. Le mot béiâ, qui a la signification de promettre obéissance, est pris ici dans un sens métaphorique; en effet, l'esprit de soumission qui porte à employer une pareille forme de salut et à subir les exigences de l'étiquette royale est une conséquence immanquable et naturelle de l'habitude d'obéissance. Cette forme de béid est maintenant d'un emploi si général, que l'on est convenu de l'admettre comme valide, et l'on a supprimé l'usage de se donner la main, usage qui était autrefois la partie essentielle de l'acte d'hommage. Il y avait, en effet, dans la pratique de donner la main à tout le monde quelque chose d'avilissant pour le prince, une familiarité qui choquait la dignité du chef et la majesté du souverain. Un petit nombre de princes se conforment encore à l'ancien usage, par un sentiment d'humilité; ils agissent ainsi envers leurs principaux officiers et ceux d'entre leurs sujets qui se distinguent par leur piété. On comprend

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maintenant la signification réelle du mot béiá. C'est une chose bien essentielle à savoir, puisqu'elle nous permet d'apprécier l'étendue de nos devoirs envers le sultan ou l'imam, et nous empêche d'agir à la légère et de faire des imprudences. Nous recommandons ces observations à l'attention des personnes qui se trouveront en relation avec des souverains1. Dieu est le fort, le puissant. (Coran, sour. XLII, vers. 18.)

Sur le droit de succession dans l'imamat.

L'utilité de l'imamat est si grande que nous avons fait précéder P. 378. ce chapitre par celui qui traite de cette institution et de sa légalité. L'essentiel de l'imamat, avons-nous dit, est de veiller au bien temporel et spirituel de la communauté. L'imam est le patron et le syndic de tous les musulmans, le gardien de leurs intérêts pendant sa vie, et même après sa mort; car il leur désigne une personne qui doit diriger leurs affaires avec autant de soin qu'il en avait mis lui-même; et ils acceptent ce choix avec la même confiance qu'ils avaient toujours montrée auparavant. La loi reçonnaît à l'imam le droit de se donner un successeur; elle repose sur l'accord unanime du peuple à permettre de telles nominations. Abou Bekr ayant transmis l'imamat à Omar en présence des Compagnons, ils donnèrent leur approbation à ce choix et prirent l'engagement d'obéir au nouvel imam. Plus tard, Omar confia aux six survivants des dix (prédestinés 2) le soin de choisir un imam pour gouverner les musulmans. Chacun d'eux remit cette tâche à son collègue, et, à la fin, Abd er-Rahman Ibn Aouf s'en chargea. Voulant agir consciencieusement, il interrogea les musulmans, et, trouvant qu'ils reconnaissaient tous le mérite d'Othman et d'Ali, il prêta au premier le serment de fidélité. En donnant la préférence à Othman, il savait que ce chef était d'accord avec lui

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افعالك liser, افعاله Pour

'Parmi les Compagnons, il y en eut dix à qui Mohammed déclara d'une manière solennelle qu'ils entreraient dans le paradis;

voici leurs noms: Abou Bekr, Omar, Othman, Ali, Talha, Ez-Zobeir, Saad Ibn Abi Oueccas, Said Ibn Zeid, Abou Obeida Ibn el-Djerrah et Abd er-Rahman Ibn Aouf.

sur le principe que l'imam devait suivre en toute chose l'exemple des deux cheikhs (Abou Bekr et Omar), sans avoir recours à son propre jugement. Les principaux Compagnons assistèrent d'abord à la nomination d'Othman, puis à son inauguration, sans rien improuver de ce qui se passait. Cela démontre qu'ils s'accordaient à regarder cette nomination comme valide et conforme à la loi. Or on sait que l'accord (des Compagnons) est un argument irréfragable.

Aucun soupçon ne doit atteindre l'imam qui lègue l'autorité à son père ou à son fils. Comme il avait mérité toute confiance de son vivant, pendant qu'il veillait aux intérêts de la communauté, il ne doit pas supporter le poids de la médisance après sa mort. Cette maxime suffit pour réfuter l'opinion de ceux qui disent : Si un imam désigne pour lui succéder son fils ou son père, il est justement suspect. On peut opposer la même maxime à ceux qui déclarent que l'imam est justement suspect s'il lègue l'autorité à son fils; mais il ne l'est pas s'il la lègue à son père. Dans tous ces cas, l'imam est au-dessus du soupçon, P. 379. s'il a eu pour motif le désir de rendre service au peuple ou de prévenir la corruption des mœurs. Cela étant ainsi, tous les soupçons défavorables à l'imam doivent être repoussés d'une manière absolue. Moaouïa désigna son fils Yezîd pour lui succéder; sa conduite dans cette circonstance est justifiée, car il agissait avec le consentement du peuple, et il donnait la préférence à Yezîd dans l'intérêt de l'État. Pour y maintenir l'ordre, il fallait conserver le bon accord qui régnait dans les esprits et l'union qui subsistait entre les grands dignitaires de l'empire. Or ceux-ci étaient tous des Oméiades et ne voulaient pas d'autre imam que Yezîd. Il était d'une famille à laquelle appartenaient les chefs les plus éminents, famille qui, par son esprit de corps, menait le reste de la tribu de Coreïch et tout le peuple musulman. Pour ces motifs, il choisit Yezîd, bien qu'il en eût sous les yeux d'autres qui paraissaient plus dignes du pouvoir; il se détourna du préférable pour prendre le préféré1, afin de ne pas jeter le trouble

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P. 380.

dans les esprits et de ne pas briser le bon accord dont le maintien avait été une des grandes préoccupations du législateur.

Voilà ce qu'on doit penser de la conduite de Moaouïa; sa probité bien reconnue et sa qualité de Compagnon du Prophète ne permettent pas d'avoir un autre avis à son égard. D'ailleurs les principaux Compagnons assistèrent à la nomination de Yezîd sans proférer une parole d'improbation, ce qui montre leur bonne opinion des intentions de Moaouïa. Ils n'étaient pas cependant de ces gens qui montrent de la nonchalance1 lorsqu'il s'agit de soutenir la cause de la vérité, et Moaouïa n'était pas homme à se laisser influencer par l'orgueil dans l'exercice de ses droits. La noblesse de leurs sentiments et leur honorable caractère les mettaient tous au-dessus d'une pareille conduite. Si Abd-Allah, fils d'Omar, évita d'assister à cette réunion, on doit attribuer son absence à la disposition religieuse qu'on lui connaissait et qui le portait à fuir toutes espèces d'affaires, soit licites, soit défendues. La nomination de Yezid reçut l'approbation de tous les musulmans, à l'exception d' (Abd-Allah) Ibn ez-Zobeïr et d'un petit nombre d'autres.

Après Moaouïa, d'autres khalifes pleins de droiture agirent de la même manière. Tels furent Abd el-Melek et Soleïman, les Oméiades; Es-Seffah, El-Mansour, El-Mehdi et Er-Rechîd, de la famille des Abbacides, et d'autres encore dont on connaît la probité et le zèle pour le bien des musulmans. On ne doit pas leur faire un reproche d'avoir quitté la voie tracée par les quatre premiers khalifes et d'avoir légué l'autorité à leurs fils ou à leurs frères. Ils ne se trouvaient pas dans les mêmes conditions que les anciens khalifes au temps de ceux-ci, l'esprit de la souveraineté ne s'était pas encore montré ; l'influence de la religion retenait tout le monde dans le devoir, et chacun portait un moniteur dans son cœur; aussi laissèrent-ils l'autorité à celui qui convenait le mieux pour les intérêts de la religion, et ils renvoyèrent les ambitieux au contrôle de leur propre conscience. Mais, à partir de Moaouïa, l'esprit de corps tendait vers la monar

. ياخذهم lisez, تاخذه Pour

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