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L'ayant fait extraire de son cachot, il le conjura au nom de Dieu de le prendre sous sa protection et de sauver son harem de la violence des soldats. A cette prière Khafadja répondit: << Pendant sept mois tu m'as injustement retenu prisonnier! » - « Ceci n'est pas le moment de me faire des reproches, s'écria Ahmed, sauvez-moi d'abord. » Khafadja lui demanda un cheval et des armes; puis il s'élanca au-devant du peuple au milieu des cris de: « Vive Khafadja! vive le fils de notre cheikh! vive celui que nous honorons et repectons! c'est n'est pas de son propre mouvement que ce scélérat vous à remis en liberté après une captivité de sept mois. » Khafadja se tourna alors vers Ahmed et lui dit : « Je ne puis rien sur ces gens-là; adresse-toi à ton frère ou il t'en coûtera la vie.» « Et comment, dit Ahmed, puis-je le faire ? allez intercéder pour moi. » Khafadja partit et lui rapporta bientôt la nouvelle que Mohammed lui pardonnait.

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Le vainqueur fit alors apporter tout ce que le trésor renfermait de pelisses d'honneur, et même les robes de ses femmes, et les ayant distribuées à ses partisans et aux habitants de Cairouan, il permit à ces derniers de s'en retourner chez eux. Se faisant ensuite amener son frère, il lui reprocha tous ses méfaits et le bannit en Egypte d'où il passa en Irac 1.

L'historien ajoute que Mohammed-Ibn-el-Aghleb bâtit le château de Souca en l'an 230 (844-845). Ce fut sous son règne que mourut Sohnoun fils de Saîd; cet événement arriva en l'an

1 En l'an 234 (818-819) Amer-Ibn-Selîm, surnommé El-Coraiâ (ou ElCouià), se révolta à Tunis contre Mohammed-Ibn-Aghleb. Cette année et l'année suivante, Ibn-el-Aghleb marcha contre les insurgés, mais tous ses efforts échouérent devant la résistance qu'il rencontra sous les murs de Tunis. Enfin, en 236, il emporta cette ville d'assaut et Ibn-el-Coraïa y perdit la vie. (Baïan; Ibn-el-Athir). — En l'an 239, MohammedIbn-el-Aghleb bâtit, près de Tèhert, une ville qu'il nomma El-Abbacia. Elle fut brûlée, quelque temps après, par Afleh, fils d'Abd-el-Ouehhab, l'eibadite, qui reçut du gouvernement oméïade d'Espagne une somme de cent mille dinars en récompense de ce service. (Ibn-el-Athir; IbnKhaldoun.)

2 La vie de ce célébre docteur du rit malekite se trouvé dans IbnKhallikan; tom. II, page 131 de la traduction.

240 (854-5). Sohnoun avait remplit à Cairouan les fonctions de Nader-fi-'l-Madalem (magistrat chargé de protéger le peuple contre la tyrannie des grands). Il fut enterré dans le cimetière situé en dehors de la porte de Nafè. L'historien raconte ensuite que Mohammed-Ibn-el-Aghleb mourut le lundi, 2 du mois de Moharrem de l'an 242 (mai 856), après un règne de quinze ans, huit mois et quelques jours.

§ XLIII.

REGNE D'ABOU-IBRAHIM-AHMED, FILS DE MOHAMMED, FILS D'EL-AGHLEB, FILS D'IBRAHIM, FILS D'EL-AGhleb.

Mohammed-Ibn-el-Aghleb eut pour successeur son fils Ahmed. Aucun événement fâcheux ne vint interrompre la tranquillité dont le pays jouit sous le règne de ce prince, à l'exception, toutefois, d'un soulèvement des tribus berbères, aux environs de Tripoli. Abd-Allah-Ibn-Mohammed-Ibn-el-Aghleb, le gouverneur de cette ville, leur avait déjà livré plusieurs combats avant d'en écrire à Abou-Ibrahim, et les troupes que celui-ci lui envoya le mirent en état de continuer les hostilités. A la suite de plusieurs rencontres dans lesquelles chaque côté déploya beaucoup d'acharnement, les Berbères furent mis en pleine déroute et une grande partie des fuyards fut taillée en pièces 1.

De vastes constructions dans différents endroits de l'Ifrikïa conservent encore le souvenir d'Abou-Ibrahîm : tel est le grand madjel à [la porte de Cairouan appelée] Bab-Tunis; le mot majel signifie citerne ; la fenêtre de la mosquée de Cairouan; les

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1 Ibn-el-Athir place cette révolte en l'an 245 (859-860). Les Berbères s'étaient d'abord refusés d'acquitter la dime et l'aumône légale. Le gouverneur de Tripoli voulut les y contraindre, mais il se trouva bientôt obligé de s'enfermer dans la ville. Abou-Ibrahim--Ahmed envoya son frère Ziadet-Allah à la tête d'une armée pour châtier les rebelles. Dans la bataille qui eut lieu, ceux-ci perdirent beaucoup de monde, tant en tués qu'en prisonniers. Ziadel-Allah fit trancher la tête aux derniers, et reçut la soumission des insurgés qui donnèrent des ôtages pour l'assurer de leur obéissance.

2 Shaw a remarqué cette citerne; elle est à deux cents mètres de la ville. Selon l'auteur du Baïan la construction de ce réservoir fut achevée en l'an 248 (862).

ailes qu'ils ajouta à cet édifice; le dôme dont il le couronna; la citerne auprès de la porte d'Abou-'r-Rebiâ, une autre citerne au Vieux-Château (el-Casr-el-Cadim); la grande mosquée de Tunis et les murailles de la ville de Souça. La citerne du VieuxChâteau fut le dernier de ses ouvrages; au moment de l'achever il tomba malade, et tous les jours, il demandait si l'eau (de la pluie) avait commencé à y entrer. On vint enfin lui annoncer qu'il y avait de l'eau ; et comblé de joie à cette nouvelle, il s'en fit apporter une coupe toute remplie, qu'il but avec empressement. <«< Louanges soient à Dieu! s'écria-t-il alors, j'ai pu vivre pour achever cet ouvrage. » Il mourut bientôt après. Le peuple de Cairouan et toutes les personnes qui entrent dans cette ville ne cessent d'implorer la miséricorde divine sur le fondateur de ce monument utile. Ce fut sous le règne d'Abou-Ibrahîm que les musulmans s'emparèrent du Château de Yenna (Casr-Yenna), une des plus grandes villes que les chrétiens possédaient en Sicile 1.

Abou-Ibrahim mourut le mardi 10 du mois de Dou'l-Câda, 249, (décemb. 863), à l'âge de vingt-neuf ans. Il avait regné sept ans, dix mois et quinze jours. Ce prince s'était distingué par la justice de son administration, ses nobles qualités et ses actes honorables. Ce fut le plus généreux des rois, le plus clément, le plus compâtissant pour les maux de ses sujets; ajoutez à cela sa profonde piété, son amour de la justice, et pensez aussi qu'il était encore jeune. Il avait l'habitude de monter à cheval, chaque nuit du mois de Châban et de celui de Ramadan, pour se rendre du Casr-el-Cadîm à Cairouan. Il avançait, précédé de flambeaux allumés, et ayant avec lui plusieurs bêtes de somme chargées de pièces d'argent qu'il distribuait aux spectateurs. Il faisait son entrée dans la ville par la porte d'Abou-'r-Rebiâ et se dirigeait vers la grande mosquée : en passant devant les portes des personnes connues pour leur savoir et leur piété, il y faisait frapper afin de pouvoir leur offrir une portion de cet argent.

1 Le Casr Yenna des arabes est le Castro Giovanni des modernes et Enna des anciens.

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REGNE D'ABOU-MOHAMMED-ZIADET-ALLAH, FILS DE

MOHAMMED, FILS D'EL-AGHleb.

Abou-Ibrahîm eut pour successeur son frère Ziadet-Allah. Ce prince mourut le vendredi soir, 20 de Dou-'l-Câda 250 (décembre 864); n'ayant régné qu'un an et sept jours. Il était beau de figure et se distinguait par son savoir, son intelligence, sa prudence et sa bravoure.

§ XLV.

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REGNE D'ABOU-ABD-ALLAH-MOHAMMED, FILS D'AHMED, FILS DE MOHAMMED FILS D'EL - AGHLEB, SURNOMMÉ ABOU – 'LGHARANÎC.

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L'autorité suprême passa ensuite entre les mains d'Abou-AbdAllah-Mohammed-Ibn-Ahmed, neveu de Ziadet-Allah. On donna à ce prince le sobriquet d'Abou-'l-Gharanic (l'homme aux grues) parce qu'il aimait avec passion la chasse à ces oiseaux et qu'il avait dépensé trente mille dinars à bâtir un château dans Es-Schlein afin de pouvoir se livrer plus commodément à son amusement favori. Vers la fin de ces jours, on l'appelait El-Méït (le mort) parce qu'il avait été longtemps malade et qu'à plusieurs reprises on avait répandu le bruit de sa mort. La province du Zab, une des frontières de l'empire, se révolta pendant son règne, et il fut obligé d'y envoyer une armée, sous le commandement d'Abou-Khafadja-Mohammed-Ibn-Ismail, pour rétablir l'ordre. Ce général remporta tant de victoires pendant son expédition que les Berbères en furent remplis d'épouvante et qu'aucun d'entre eux n'osa plus lui résister. En passant par les villes de Tehouda et de Biskera, il reçut des habitants une prompte soumission. De là il se dirigea sur Tobna, et ayant

1 Ibn-Khaldoun dit que Ziadet-Allab était fils d'Abou-Ibrahim-Ahmed, mais En-Noweiri se trouve ici d'accord avec Ibn-el-Athîr et l'auteur Baian.

2 Selon Ibn-Khaldoun, Abou-Abd-Allah-Mohammed était frère de son prédécesseur, mais la déclaration d'En-Noweiri est confirmée par le texte du Baian.

effectué sa jonction aveo Haï-Ibn-Malek-el-Béloui qui lui amenait la cavalerie de Belezma, il alla faire le siége d'Obba. Cette ville se rendit sur-le-champ, tant était grande la crainte qu'il avait inspirée aux Berbères. On offrit même de lui remettre des ôtages, en s'engageant à payer l'impôt territorial (kharadj), la dîme (achour) et les aumônes légales (sadacat), mais il refusa d'accepter cette proposition et partit pour attaquer les BeniKemlan, branche de la tribu de Hoouara. Cette peuplade avait alors pour chef Mohelleb-Ibn-Soulat, mais l'approche d'AbouKhafadja les avait tellement découragés qu'ils envoyèrent une députation auprès de lui pour demander grâce à telles conditions qu'il lui plairait. Abou-Khafadja repoussa leur prière et s'avança pour les attaquer. Au plus fort de l'action, Haï-IbnMalek abandonna le champ de bataille, emmenant avec lui les troupes de Belezma, de sorte que le général aghlebite succomba avec plusieurs de ses principaux officiers et un grand nombre de ses soldats. Les débris de l'armée se réfugièrent dans Tobna.

La prise de l'île de Malte eut lieu sous le règne de ce prince. Cette conquête fut effectuée par Ahmed-Ibn-Abd-Allah-Ibn-elAghleb.

Abou-Abd-Allah-Mohammed mourut le mercredi,7 du mois de Djomada premier, 261 (février 875), âgé seulement de vingt quatre ans. Il avait régné dix ans, cinq mois et seize jours. C'était un prince généreux jusqu'à là prodigalité, rempli de bonté et d'humanité envers ses sujets, mais aimant les amusements frivoles, la chasse, le vin et les plaisirs. Il buvait avec si peu de retenue qu'un jour, pendant qu'il était à Souça, il s'enivra à une promenade sur mer, et le bâtiment qu'il montait était déjà arrivé à l'île de Cossura avant qu'il eut repris sa raison. Saisi de frayeur, il se hâta de revenir à Souça, mais malgré le danger qu'il avait couru, il continua à vivre dans la débauche jusqu'à la fin de ses jours. Il avait si peu envie de thésauriser qu'à sa mort, ses frères trouvèrent le trésor public entièrement vide.

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