Images de page
PDF
ePub

dès ce moment la tranquillité se rétablit en Ifrîkïa, après une guerre civile de treize ans.

L'historien dit; Ce fut alors, c'est-à-dire dans le mois de Djomada second de l'an 221 (mai-juin 836), que Zîadet-Allah bâtit la grande mosquée de Cairouan et fit démolir celle qui avait été construite par Yezid-Ibn-Hatem. Il dit un jour à ses amis : « J'espère bien obtenir la miséricorde de Dieu, lorsque je comparaîtrai devant lui, au jour de la résurrection ; j'obtiendrai cette grâce, j'en suis convaincu, car j'ai fait quatre choses pour la mériter: j'ai dépénsé quatre-vingt mille pièces d'or pour la construction de la grande mosquée de Cairouan ; j'ai bâti le pont à la porte d'Abou-'r-Rebiâ ; j'ai fait construire à Souça une forteresse pour les personnes qui veulent acquérir le mérite d'avoir fait la guerre contre les infidèles, et j'ai confié les fonctions de cadi à Ahmed-Ibn-Abi-Mahrez. >>

Ce fut sous le règne de Zîadet-Allah que se fit la conquête de la Sicile. Il y envoya dix mille hommes sous les ordres du cadi Aced-Ibn-el-Forat. Le roi de l'île, qui avait marché contre ce chef avec cent cinquante mille hommes, fut mis en fuite, et Ibnel-Forat y établit pour gouverneur Zîadet-Allah-Mohammed-IbnAbd-Allah-Ibn-el-Aghleb.

Ziadet-Allah [gouverneur de l'Ifrîkïa] mourut le mardi, 14 du mois de Redjeb de l'an 223 (juin 838), âgé de cinquante-un ans. Il avait régné sur l'Ifrîkïa vingt-un ans, sept mois et huit jours. Il était, de tous les membres de sa famille, celui qui parlait [l'arabe] avec le plus de pureté et d'élégance. Dans son

qui se livra près d'El-Yahoud, ville située dans cette péninsule, Abdes-Selam perdit la vie. Fadl se réfugia dans Tunis, mais les troupes de Ziadet-Allah vinrent assiéger cette ville et l'emporter d'assaut. Un grand nombre d'habitants fut massacré par les soldats, entre autres, le saint et savant jurisconsulte, Abbas-Ibn-el-Ouelid. - (Ibn-el-Athir.)

L'arabe porte Casr al-Morabitin (château des Marabouts). Ce fut un espèce de ribat comme le nom l'indique. (Voyez ci-devant, page 83, note 2.)

• En-Noweiri a donné dans son encyclopédie une histoire assez détaillée de la conquête de la Sicile. Ce récit a été traduit et publié, il y a une quarantaine d'années, par M. Caussin père.

[ocr errors]

discours, il faisait sentir les voyelles finales, sans faire de fautes et sans trahir ni effort ni affectation; il possédait aussi le talent de faire de très-beaux vers. On rapporte qu'un envoyé lui étant arrivé da la part [du khalife] Abou-Abd-Allah-el-Mamoun, portant un message fort désagréable, il y écrivit une réponse pendant qu'il se trouvait dans un état d'ivresse, et la termina ces lignes :

par

Je suis la pierre qui recèle le feu; si tu oses la frapper contre l'acier, fais-le!

Je suis le lion dont le rugissement suffit pour protéger sa tanière; si tu es un chien, tu peux aboyer!

Je suis la mer, vaste et profonde; si tu es un de ceux qui savent nager, viens t'y hasarder !

Revenu de son ivresse, il fit courir après l'envoyé, mais on ne put l'atteindre ; il écrivit alors une seconde lettre conçue en des termes très-soumis. El-Mamoun reçut les deux lettres, et sans vouloir faire aucune attention à la première, il répondit à la seconde d'une manière très-satisfaisante.. On rapporte de ZiadetAllah plusieurs beaux traits de modération, de bonté et de clémence. Sa mère Djeladjel ayant appris que la sœur d'Amer-IbnNafé avait juré de la forcer à lui apprêter un plat de fèves en purée, aussitôt que son frère se serait rendu maître de Cairouan, profita de la prise de Cairouan par son fils pour envoyer à cette femme un plat de fêves ainsi apprêtées. Le domestique le déposa devant elle, en lui adressant ces paroles: «Ma maîtresse vous envoie ses salutations et vous fait prévenir qu'elle a préparé ce plat afin que votre serment soit accompli. » Tout effrayée de ces paroles, elle répondit : « Dis à ta maîtresse qu'ayant maintenant le pouvoir, elle peut faire ce qu'elle veut. » Quand Zîadet-Allah apprit cet incident, il dit à sa mère : « Je suis affligé de ce que tu viens de faire; montrer de la hauteur lorsqu'on est puissant

7 Ceci est une des preuves, assez nombreuses d'ailleurs, que l'usage d'employer des voyelles pour marquer les cas et désigner certaines inflexions du verbe arabe avait discontinué de trés-bonne heure. L'arabe nahou, ou littéral, cessa d'être une langue vivante bientôt après les premières conquêtes des musulmans.

décéłe un sentiment peu noble; tu aurais mieux fait d'agir autrement.» A cette observation, elle répondit : « Oui, mon fils! je ferai une chose qui te plaira et dont on nous applaudira. » Alors elle envoya à la sœur d'Amer une riche pelisse, de l'argent et d'autres objets précieux, lui donnant, en même temps, tant de marques de bienveillance qu'elle dissipa toutes ses craintes.

[blocks in formation]

REGNE D'ABOU-EICAL-EL-AGHLEB FILS D'IBRAHÎM-IBN

EL-AGHLEB.

A la mort de Zîadet-Allah, dit notre historien, l'autorité passa à son frère Abou-Eical, surnommé Khazer. Lors de l'avènement de Ziadet-Allah, il avait ressenti de vives inquiétudes, attendu qu'il était le frère germain d'Abd-Allah-Ibn-el-Aghleb {dont Ziadet-Allah avait eu à se plaindre] et il craignait qu'à cause de son frère, le nouveau souverain ne s'en prît à lui-même. Ayant donc obtenu la permission de faire le pèlerinage, il emmena avec lui les deux fils de son frère Abd-Allah, Mohammed et Ibrahim. Après avoir accompli ce devoir religieux, il se fixa en Egypte et, au bout de quelque temps, il reçut de Ziadet-Allah une lettre dans laquelle ce prince demandait son amitié. Ceci le décida à rentrer en Ifrîkïa où son frère le reçut non-seulement avec honneur et bienveillance, mais encore lui confia l'administration de l'empire. La mort de Ziadet-Allah survint, et toute l'autorité passa entre les mains d'Abou-Eical. Aucune guerre n'eut lieu pendant son règne. Il traita les milices avec bonté et dissipa toutes leurs appréhensions; il abolit les taxes nouvelles imaginées par les administrateurs des provinces, auxquels il assigna un salaire convenable ainsi que de fortes gratifications; les empêchant ainsi de porter la main sur le bien d'autrui et d'agir comme ils avaient coutume de le faire précédemment. Il proscrivit aussi l'usage du vin (nebid) à Cairouan. Ce prince mourut

Le mot Ahdath signifie innovations; il s'emploie pour désigner les impôts qui ne sont pas autorisés par la loi. (Voyez ma traduction d'Ibn-Khallikan, tom. I, page 539, uote 2.)

le jeudi, 22 du mois de Rebiâ second de l'an 226 (février 844), après un règne de deux ans, neuf mois et neuf jours. Il ressemblait à son aïeul El-Aghleb moralement et physiquement.

§ XLII.

RÈGNE D'ABOU-'L-ABBAS-MOHAMMED, FILS D'EL-AGHLEB,
FILS D'IBRAHIM, FILS D'EL-AGHleb.

L'historien dit: A la mort d'Abou-Eical-el-Aghleb, son fils Mohammed lui succéda, et, bien qu'il fût le plus incapable des hommes, il remporta toujours la victoire sur quiconque osait lui résister. Il confia plusieurs charges importantes à son frère [Abou-Djafer-Ahmed] qui exerçait sur lui une grande influence, et il laissa la direction des affaires publiques et les fonctions de vizir à Abou-Abd-Allah et à Abou-Homeid, tous les deux fils d'Ali-Ibn-Homeid. Cette préférence blessa son frère AbouDjåfer et l'indisposa ainsi que les amis de ce prince; ils virent d'un œiljaloux la faveur dont jouissaient ces hommes, et Nasr-IbnHamza-el-Djeraoui, l'ami intime d'Abou-Djâfer [le poussa à des mesures violentes]. Aussi, pendant que l'émir Mohammed ne se doutait de rien, occupé, comme il l'était, d'amusements frivoles et plongé dans les plaisirs, son frère trama un complot contre lui et corrompit plusieurs de ses clients. Lorsque Ahmed eut gagné assez de partisans pour l'exécution de son projet, il monta à cheval à l'heure de la plus grande chaleur du jour, et s'élançant vers le palais dont la porte se trouvait alors dégarnie de monde, il y pénétra et tua Abou-Abd-Allah, fils d'Ali-Ibn-Homeid. L'alarme fut donnée, et Mohammed ayant appris ce qui se passait, alla se réfugier dans le kiosque construit par son oncle Zîadet-Allah. Pendant que les gardes du palais soutenaient un combat contre les partisans de son frère, ceux-ci leur adressèrent ces paroles: « Pourquoi vous battre contre nous qui sommes aussi les serviteurs fidèles de Mohammed? Nous n'en voulons qu'aux fils d'Ibn-Homeid; à des misérables qui vous écrasent sous un joug de fer et qui se sont appropriés les richesses

que votre maître vous destinait. Pour nous, nous lui sommes entièrement dévoués et nous n'avons jamais cessé de l'être. » Ces paroles mirent fin au combat, et Mohammed, se voyant pris au dépourvu et sans moyens de défense, passa dans la salle d'audience, se plaça sur le trône et ordonna que le public fût admis ainsi qu'Ahmed et ses partisans. Quand les conspirateurs furent introduits, il adressa de vifs reproches à son frère, qui lui répondit en ces termes : « Les fils d'Ali-Ibn-Homeid ont comploté contre la sûreté de l'état et ont voulu renverser votre trône; nous nous sommes donc levés pour vous venger et protéger vos jours. » La position dans laquelle Mohammed se trouvait l'obligea à user de ménagements et à fermer les yeux sur ce qui venait de se passer; aussi consentit-il à sacrifier Abou-Homeid. Les deux frères se jurèrent alors de ne jamais rien tenter l'un contre l'autre, et Mohammed fit amener Abou-Homeid qui s'était réfugié dans le palais, pendant qu'on assassinait son frère AbdAllah, et le remit à Ahmed sous la condition qu'il n'attenterait pas à la vie du prisonnier et qu'il ne lui ferait subir aucun mauvais traitement. Cet arrangement fait, Ahmed rentra chez lui, et, profitant de l'influence qu'il s'était acquise, il prit tous les bureaux du gouvernement sous sa direction et devint l'arbitre de l'empire. Ayant remplacé tous les chambellans par d'autres qu'il choisit lui-même, et confié la garde du palais à cinq cents de ses propres esclaves et clients, il dépouilla son frère de toute autorité et ne lui laissa de la souveraineté que le nom. Par son ordre on mit Abou-Homeid à la torture pour lui arracher son argent, et on le livra ensuite à Abou-Nasr, affranchi d'Ibrahim-Ibn-el-Aghleb. Cet homme fut chargé ostentiblement de conduire le prisonnier à Tripoli et de le faire passer de là en Egypte, mais il avait reçu secrètement l'ordre de le mettre à mort avant d'arriver à Calchana. Abou-Nasr s'y conforma en faisant étrangler ce malheureux, et ayant ensuite placé le corps dans une litière, il le transporta ainsi jusqu'à Calchana. Arrivé dans cette ville, il fit venir des témoins pour certifier que le cadavre n'offrait aucune trace de violence ́ou de blessure. En même temps il déclara que son prisionnier était mort d'une chute de cheval.

« PrécédentContinuer »