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priviléges dont Ibn-Abi-l-Hocein avait joui sous El-Mostancer 1, car il s'était fait une règle de suivre tous les usages et d'adopter tous les projets que ce sultan avait légués au gouvernement hafside. Nous pouvons même dire que l'autorité de ce chambellan-ci fut bien plus grande que celle de son homonyme, vu qu'on ne ren contrait pas à Bougie de ces puissants chefs almohades qui, à Tunis, avaient si bien su courber l'ambition et entraver les démarches du ministre d'El-Mostancer. Devenu seul dépositaire du pouvoir, le chambellan d'Abou-Zékérïa déploya un grand zèle pour les intérêts de son maître. Nommant à tous les emplois, destituant, décidant, faisant tout à sa volonté, il devint l'homme le plus considéré du royaume. Les rênes du pouvoir restèrent entre ses mains jusqu'à l'heure de sa mort, événement qui eut lieu en 690 (1291). Jusqu'à la fin de ses jours, il avait conservé le pouvoir et mérité la confiance de son souverain.

L'émir Abou-Zékérïa prit alors pour chambellan Abou-'lCacem-Ibn-Abi-Djebbi, personnage dont j'ignore les antécédents, à l'exception du seul fait qu'ayant quitté l'Andalousie, lors de la grande émigration, il s'était présenté à la cour et avait obtenu un emploi dans l'administration des provinces. Plus tard, il entra au service d'Abou-'l-Hocein-Ibn-Séïd -en-Nas, en qualité d'écrivain et, favorisé par la confiance de son patron, il s'éleva aux plus hauts emplois et obtint l'autorisation de donner pleine carrière à sa volonté dans la conduite des affaires publiques. Ayant ensuite reçu les rênes du pouvoir de la main d'Ibn-Séïden-Nas, il conduisit l'état en homme qui voulait montrer son zèle et son habileté. Aussi, tous les regards se portèrent vers lui, les courtisans recherchèrent sa faveur et le sultan lui-même se plut à reconnaître les grands talents de son serviteur. A la mort du chambellan, il le remplaça, avec l'autorisation du prince, et il conserva cet emploi jusqu'à la fin du règne de l'émir Abou-'lBacâ, fils d'Abou-Zékérïa. Nous aurons encore, plus tard, l'occasion de parler de lui.

1 Voy. p. 369 de ce volume.

2 En l'an 1248, lors de la conquête de Séville par les chrétiens.

ABOU-ZÉKÉRÏA FAIT RECONNAÎTRE SON AUTORITÉ DANS LA PROVINCE DU ZAB ET INCORPORE BISKERA DANS SES ÉTATS.

Le lecteur a vu que le sultan Abou-Ishac avait donné le gouvernement du Zab à Fadl-Ibn-Ali-Ibn-Mozni, un des notables de Biskera. Ce chef y maintint l'autorité de l'empire hasside, mais à la mort du souverain dont il tenait sa nomination, il fut assassiné par une troupe de ces bandits arabes qui habitent les villages du Zab. Ils commirent ce crime à l'instigation de quelques ennemis de leur victime. El-Fadl fut tué en l'an 683 (1284-5). Les mêmes brigands espéraient alors se rendre maîtres de la ville, mais les cheikhs de la famille Romman les en expulsèrent et prirent le pouvoir entre leurs mains. Cette junte maintint à Biskera le même régime qu'auparavant en y faisant proclamer l'autorité de l'émir Abou-Hafs, souverain de Tunis, et, comme les membres dont elle se composait craignaient la vengeance de Mansour, fils de Fadl-Ibn-Mozni, qui s'était rendu à la capitale lors de la mort de son père, ils le firent représenter au sultan comme un homme excessivement dangereux. Mansour fut jeté en prison par l'ordre de ce prince et il y resta pendant sept ans. Parvenu enfin à s'évader, il passa chez les Kerfa, tribu arabe hilalienne qui commandait à cette époque aux peuplades de l'Auras. S'étant arrêté chez les Chebba [Chebbeba], fraction de cette tribu, il obtint d'eux des habits et une monture afin de pouvoir continuer sa route. Arrivé à Bougie, l'an 692 (1293), il alla au palais et représenta au sultan [l'émir Abou-Zékérïa] combien la conquête du Zab lui serait facile. Il gagna, en même temps, l'appui du chambellan, Ibn-Abi-Djebbi, par le don d'une quantité d'objets précieux de diverses espèces et par la promesse qu'une fois maître du Zab, il y ferait reconnaître l'autorité d'Abou-Zékérïa et lui enverrait les impôts fournis par ce pays. Cette offre parut telle

1 Page 380 de ce volume.

ment séduisante que le chambellan en nomma l'auteur gouverneur du Zab et plaça un corps de troupes à sa disposition. Mansour partit alors pour mettre le siége devant Biskera. La ville lui résista et les cheikhs, membres de la famille Romman, se voyant vivement pressés par leur adversaire et sachant qu'à une telle distance de Tunis, ils ne pouvaient guère s'attendre à être secourus, proclamèrent eux-mêmes la souveraineté d'AbouZékérïa et lui envoyèrent une députation avec l'assurance écrite de leur obéissance. De cette manière, ils crurent se soustraire à la vengeance de Mansour-Ibn-Mozni. Le sultan agréa leurs hommages et congédia les membres de la députation en leur déclarant que le commandant de ses troupes gouvernerait leur ville et qu'Ibn-Mozni n'aurait qu'à s'occuper de la perception des impôts. Quand ces envoyés furent de retour, on alla au-devant du commandant et d'Ibn-Mozni pour leur faire acte de soumission et les introduire dans la ville. Le système d'administration imaginé par le sultan se maintint à Biskera jusqu'à l'époque où Mansour se mit encore en avant, ainsi que nous le dirons dans l'histoire de sa famille.

Jusqu'à nos jours le Zab est demeuré fidèle à la dynastie fondée par Abou-Zékérïa, dont un des fils s'empara de la capitale, ainsi que l'on verra plus loin.

MORT D'EL FAZAZI, CHEIKH DES ALMOHADES, ET DU GRAND CHAMBELLAN ABOU - 'L-CACEM - IBN-ES-CHEIKH, MINISTRE DU GOUVERNEMENT DE TUNIS.

Abou-Abd-Allah-el-Fazazi, cheikh almohade et favori du sultan Abou-Hafs, avait reçu de son maître le commandement en chef de l'armée et s'était conduit de la manière la plus satisfaisante dans les expéditions militaires qu'il entreprit, soit pour maintenir l'ordre dans les provinces, soit pour combattre les ennemis de l'état. Des pays étendus soumis, des rebelles vaincus ou repoussés au loin et de fortes contributions arrachées à des tribus récalcitrantes, ces services éclatants étaient le meil

leur témoignage du zèle et de l'habileté de cet officier. Dans le Djerid, surtout, il eut l'occasion de montrer la supériorité de ses talents par l'adresse avec laquelle il se conduisit envers les chefs de ce pays. Ce fut lui qui, sur la dénonciation des cheikhs de Touzer, mit à la question Ahmed-Ibn-Yemloul et l'arrêta court dans la carrière de l'ambition. Il mourut l'an 693 (1293-4), à deux journées de Tunis, pendant qu'il conduisait une nouvelle expédition dans le Djerîd.

L'année suivante vit la mort du chambellan Abou-'l-CacemIbn-es-Cheikh. Ce personnage ayant émigré de Dénia à Bougie, en l'an 626 (1228-9), se présenta à Mohammed-Ibn-Yacin, administrateur de cette dernière ville, et obtint auprès de lui la place de secrétaire. Quand son patron, dont il avait su gagner la confiance, fut rappelé à la capitale, il fit le voyage avec lui. Le sultan cherchait alors un secrétaire sur lequel il pourrait déverser le poids des affaires, et comme Ibn-Yacîn lui fit l'éloge le plus brillant de son protégé, il consentit à le prendre à l'essai. Cette épreuve ne fut pas favorable à Ibn-es-Cheikh dont elle amena le renvoi; mais le sultan ayant enfin pu reconnaître les talents de cet homme, l'admit définitivement à son service. IbnAbi-'l-Hocein fut chargé d'enseigner au nouveau secrétaire les devoirs de sa place et de l'initier par la pratique, dans la marche et dans les détails de l'administration; aussi, Ibn-es-Cheikh fut-il bientôt en état d'apporter un grand soulagement au souverain dans l'expédition des affaires. La mort d'Ibn-Abi-'l-Hocein laissa vacantes plusieurs places dont l'une était la surintendance de la maison royale, aucune dépense ne pouvant s'y faire sans sa signature. Cette charge fut confiée à Ibn-es-Cheikh avec l'avertissement que le cumul ne lui serait pas permis. El-Ouathec étant monté sur le trône, se laissa diriger par Ibn-el-Habbeber, il conserva toutefois Ibn-es-Cheikh comme surintendant et l'ad

1 Voy. l'histoire des Beni-Yemloul, dans le troisième volume.

2 En cette année, Mohammed-Ibn-Houd, soutenu par les chrétiens, avait enlevé Dénia et Murcie aux Almohades.

mit au nombre de ses intimes. Abou-Ishac, étant devenu sultan, le garda aussi à son service, mais en lui donnant pour collègue Abou-Bekr-Ibn-Khaldoun, directeur général des contributions. Sous le règne de ce monarque, la place de premier ministre fut successivement remplie par ses fils, les princes Abou-Fares, Abou-Zékérïa et Abou-Mohammed-Abd-el-Ouahed. Quand le prétendant eut réussi dans son imposture et obtenu possession du trône, il distingua particulièrement Ibn-es-Cheikh, et, au visa des comptes que ce fonctionnaire exerçait depuis si longtemps, il ajouta le droit d'inscrire le paraphe impérial en tête des pièces officielles. Quand Abou-Hafs fit mourir le prétendant et recouvra le royaume de ses pères, Ibn-es-Cheikh craignit que la faveur dont il avait joui sous l'usurpateur ne lui attirât la colère du sultan et, pour cette raison, il employa auprès de lui l'intercession des hommes dévots avec lesquels il s'était déjà lié par la pratique de la piété et des bonnes œuvres. Le prince accueillit leur prière, sans même dissimuler le besoin qu'il avait d'un serviteur aussi utile. Dès lors, au visa des comptes du palais, Ihn-es-Cheikh réunit les fonctions de grand chambellan: mais le droit d'écrire le paraphe fut donné à une autre personne de la cour. Ibn-es-Cheikh mourut, en place, l'an 694 (1 294–5). Dès lors, chacune de ces trois charges donna à celui qui la remplissait le titre de chambellan. Quant à l'administration de l'état et le commandement de l'armée, ces fonctions importantes furent réservées aux cheikhs almohades; mais, dans la suite, plusieurs grands changements eurent lieu, ainsi que le lecteur verra plus loin, et l'on remplaça sans difficulté un almohade par une personne qui ne l'était pas, et vice-versa.

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La place de chambellan, laissée vacante par la mort d'Ibn-esCheikh fut donnée à Abou-Abd-Allah-es-Chakhchi, officier de la milice. Ce fonctionnaire conserva son emploi jusqu'à la chute de l'empire [devant les armes des Mérinides].

1 Dans le texte arabe, il faut lire ghairihi.

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