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Ghalboun était accouru pour l'instruire de ce qui venait de se passer, expédia des lettres de grâce aux miliciens et à leurs chefs; tentative inutile; aucun d'eux ne voulut les recevoir, et tous se réunirent de nouveau, plus insoumis que jamais. Mansour les plaça sous les ordres d'Amer-Ibn-Nafé et les envoya contre Ziadet-Allah, qui, de son côté, mit en campagne un corps considérable de troupes, composé, en grande partie, de ses clients et de ses affranchis et commandé par Mohammed-Ibn-Abd-AllahIbn-el-Aghleb. Il en résulta un conflit dans lequel l'armée de Mohamed-Ibn-Abd-Allah fut mise en pleine déroute et perdit ses principaux chefs. Parmi les morts on compta Mohammed, fils de Ghalboun, Mohammed, fils de Hamza-er-Razi et AbdAllah-Ibn-el-Aghleb. Toute l'infanterie de Ziadet-Allah fut exterminée, et le reste de ses troupes fut poursuivi et sabré par la milice. Cet événement obligea Zîadet-Allah de marcher en personne contre les rebelles. Il choisit une position entre El-Fostat et El-Casr, qu'il fortifia par un retranchement [pour lui servir de lieu de retraite], et ensuite il eut plusieurs rencontres avec l'ennemi. Pendant quelque temps, les succès se balancèrent des deux côtés, mais, à la fin, Mansour et les siens furent mis en déroute et obligés de se réfugier à Tunis.

Lors de ces événements, le peuple de Cairouan avaient prêté des secours à Mansour; aussi, les compagnons de Zîadet-Allah lui conseillèrent de détruire la ville de fond en comble, et d'en exterminer les habitants. A cette proposition il répondit qu'il avait fait vœu de leur pardonner, s'il remportait la victoire. Toutefois, il fit abattre les murailles et les portes de la ville.

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L'historien dit : Mansour, étant parvenu à rallier ses partisans, se trouva de nouveau dans une position prospère ; et de toute l'Ifrikïa il ne resta à Zîadet-Allah que les pays maritimes et la

El-Fostat signifie la tente, et El-Casr, le château. Ce dernier est sans doute le même que la forteresse bâtie par Ibrahîm-Ibn-el-Aghleb. El-Fostat était probablement un camp retrauché, sous les murs de Cai

rouan.

• Mansour, devenu ainsi maître de presque tout le royaume de ZîadetAllah, fit frapper des monnaies en son propre nom.- (Baïan.)

ville de Cabes. Les miliciens lui écrivirent alors pour l'engager à sortir de la province et à se retirer où il voulait ; promettant, en ce cas, de respecter sa personne, ses biens, et tout ce qui se trouvait dans son château. Ziadet-Allah prit conseil de ses compagnons au sujet de cette proposition, et Sofyan-Ibn-Souada lui dit: >> Faites-moi voir le registre où sont inscrits les noms des soldats qui composent les troupes de votre maison, pour que je choisisse parmi eux deux cents cavaliers d'un courage éprouvé.» Ayant fait son choix, il leur donna une gratification et sortit avec eux jusqu'à Nefzaoua, pays qui se trouvait occupé par un chef de la milice, nommé Abd-es-Samcd-Ibn-Djenah-el-Baheli. Ayant ensuite fait un appel aux Berbères de ces contrées, et rassemblé une foule de Zenata et d'autres tribus, il occupa successivement toutes les villes de cette région, et parvint jusqu'à Castîlïa d'où il alla rejoindre Zîadet-Allah. Ceci se passa en l'an 218 (833). Said [un témoin oculaire de cette expédition] déclara qu'il n'avait jamais vu une troupe plus fortunée que ces deux cents cavaliers. La désunion et la jalousie ne tardèrent pas à se mettre parmi les miliciens, et la discorde naquit aussi entre Mansour et Amer-IbnNafê, lequel finit par assiéger son collègue dans le château de Tonboda. Il fut alors convenu, par des médiateurs, que Mansour et les gens de sa maison auraient la vie sauve, qu'il conserverait ses richesses et s'embarquerait pour l'Orient. Dans cette extrêmité, un de ses amis lui conseilla de ne pas subir une telle humiliation et de se transporter plutôt à Laribus, ville dont les habitants lui étaient tout dévoués; aussi il quitta son château pendant la nuit pour s'y rendre. Le lendemain, Amer s'aperçut de sa fuite, et partit pour l'assiéger dans Laribus. Contraint, enfin, à capituler, Mansour obtint la permission d'aller à Tunis, d'où il devait s'embarquer pour l'Orient. Amer lui fournit une escorte de cavalerie pour l'accompagner, mais il avait donné l'ordre au commandant de ce détachement de prendre la route de Carna ', et d'enfermer Mansour dans la prison de cette ville. Arrivé à Carna, le commandant de l'escorte mit Mansour aux arrêts dans

Ailleurs, ce nom est écrit Cariça, Caria, Djerba.

la maison de Hamdîs, fils d'Amer, et celui-ci ayant bientôt après reçu de son père un ordre écrit, s'y conforma en faisant décapiter le prisonnier, Amer fit subir le même sort au frère de Mansour, et ayant alors réuni toutes les milices sous son autorité, il se crut près d'atteindre au but qu'il s'était proposé. Ziadet-Allah lui écrivit pour l'engager à rentrer dans l'obéissance, en lui promettant une grace entière. Amer répondit à cette lettre par l'énumération de tous les crimes dont le prince aghlebide s'était rendu coupable et il termina par ces mots : « Une assez grande amitié n'existe pas entre vous et moi pour que la guerre ne continue pas; Dieu nous jugera, et il est le meilleur des juges. » Bientôt après, les affaires d'Amer prirent une tournure défavorable; les milices montrèrent de l'insubordination, et les chefs de celles d'Egypte, indignés de sa conduite envers Mansour et son frère, tournèrent leurs armes contre lui. Abd-es-Selam-Ibn-el-Féredj, gouverneur de Bédja, méconnut aussi son autorité, et s'étant fait prêter serment de fidélité par un nombre considérable de la milice, il marcha contre lui, l'attaqua vivement et le força à se réfugier dans Carna. Dès lors, la conféderation de la milice se brisa et le pouvoir de Ziadet-Allah commença à se relever. Quelque temps après, Amer tomba malade, et se voyant près de sa fin, il appela ses fils et leur dit : « Mes chers enfants! je n'ai jamais trouvé aucun avantage dans la rebellion; ainsi, quand je serai mort, et que vous m'aurez enseveli, allez voir Ziadet-Allah avant de vous occuper d'autre chose; il est d'une famille renommée pour la clémence, et j'ai tout lieu d'espérer qu'il vous verra avec plaisir et qu'il vous fera un accueil des plus favorables. » Dès que leur père fut mort, ils se rendirent auprès du prince, et les miliciens eux-mêmes vinrent, les uns après les autres, pour solliciter leur grace. Zîadet-Allah les accueillit avec bonté et s'empressa de rassurer tout le monde. Abd-es-Selam, assiégé très-étroitement par les troupes de Zîadet-Allah, fut enfin trouvé mort, ayant péri de soif, à ce que l'on dit. Sa tête fut envoyé au prince aghlebide, et

4 En l'an 249, Fadl-Ibn-Abi-'l-Anber se révolta dans la peninsule de Chérik, et Abd-es-Selam-Ibn-el-Féredj vint se joindre à lui. ZiadetAllah fit marcher une armée contre eux, et dans un combat acharné

dès ce moment la tranquillité se rétablit en Ifrîkïa, après une guerre civile de treize ans.

L'historien dit: Ce fut alors, c'est-à-dire dans le mois de Djomada second de l'an 224 (mai-juin 836), que Ziadet-Allah bâtit la grande mosquée de Cairouan et fit démolir celle qui avait été construite par Yezid-Ibn-Hatem. Il dit un jour à ses amis : « J'espère bien obtenir, la miséricorde de Dieu, lorsque je comparaîtrai devant lui, au jour de la résurrection ; j'obtiendrai cette grâce, j'en suis convaincu, car j'ai fait quatre choses pour la mériter: j'ai dépénsé quatre-vingt mille pièces d'or pour la construction de la grande mosquée de Cairouan; j'ai bâti le pont à la porte d'Abou-'r-Rebià ; j'ai fait construire à Souça une forteresse pour les personnes qui veulent acquérir le mérite d'avoir fait la guerre contre les infidèles, et j'ai confié les fonctions de cadi à Ahmed-Ibn-Abi-Mahrez. »

Ce fut sous le règne de Zîadet-Allah que se fit la conquête de la Sicile. Il y envoya dix mille hommes sous les ordres du cadi Aced-Ibn-el-Forat. Le roi de l'île, qui avait marché contre ce chef avec cent cinquante mille hommes, fut mis en fuite, et Ibnel-Forat y établit pour gouverneur Ziadet-Allah-Mohammed-IbnAbd-Allah-Ibn-el-Aghleb *.

Ziadet-Allah [gouverneur de l'Ifrîkïa] mourut le mardi, 14 du mois de Redjeb de l'an 223 (juin 838), âgé de cinquante-un ans. Il avait régné sur l'Ifrikïa vingt-un ans, sept mois et huit jours. Il était, de tous les membres de sa famille, celui qui parlait [l'arabe] avec le plus de pureté et d'élégance. Dans son

qui se livra près d'El-Yahoud, ville située dans cette péninsule, Abdes-Selam perdit la vie. Fadl se réfugia dans Tunis, mais les troupes de Ziadet-Allah vinrent assiéger cette ville et l'emporter d'assaut. Un grand nombre d'habitants fut massacré par les soldats, entre autres, le saint et savant jurisconsulte, Abbas-Ibn-el-Ouelîd. (Ibn-el-Athir.)

1 L'arabe porte Casr al-Morabitin (château des Marabouts). Ce fut un espèce de ribat comme le nom l'indique. (Voyez ci-devant, page 83, note 2.)

2 En-Noweiri a donné dans son encyclopédie une histoire assez détaillée de la conquête de la Sicile. Ce récit a été traduit et publié, il y a une quarantaine d'années, par M. Caussin père.

discours, il faisait sentir les voyelles finales, sans faire de fautes et sans trahir ni effort ni affectation; il possédait aussi le talent de faire de très-beaux vers. On rapporte qu'un envoyé lui étant arrivé da la part [du khalife] Abou-Abd-Allah-el-Mamoun, portant un message fort désagréable, il y écrivit une réponse pendant qu'il se trouvait dans un état d'ivresse, et la termina par ces lignes :

Je suis la pierre qui recèle le feu; si tu oses la frapper contre l'acier, fais-le!

Je suis le lion dont le rugissement suffit pour protéger sa tanière; si tu es un chien, tu peux aboyer!

Je suis la mer, vaste et profonde; si tu es un de ceux qui savent nager, viens t'y hasarder!

Revenu de son ivresse, il fit courir après l'envoyé, mais on ne put l'atteindre ; il écrivit alors une seconde lettre conçue en des termes très-soumis. El-Mamoun reçut les deux lettres, et sans vouloir faire aucune attention à la première, il répondit à la seconde d'une manière très-satisfaisante. On rapporte de ZîadetAllah plusieurs beaux traits de modération, de bonté et de clémence. Sa mère Djeladjel ayant appris que la sœur d'Amer-IbnNafê avait juré de la forcer à lui apprêter un plat de fèves en purée, aussitôt que son frère se serait rendu maître de Cairouan, profita de la prise de Cairouan par son fils pour envoyer à cette femme un plat de fêves ainsi apprêtées. Le domestique le déposa devant elle, en lui adressant ces paroles: «Ma maîtresse vous envoie ses salutations et vous fait prévenir qu'elle a préparé ce plat afin que votre serment soit accompli. » Tout effrayée de ces paroles, elle répondit : « Dis à ta maîtresse qu'ayant maintenant le pouvoir, elle peut faire ce qu'elle veut. » Quand Zîadet-Allah apprit cet incident, il dit à sa mère : « Je suis affligé de ce que tu viens de faire; montrer de la hauteur lorsqu'on est puissant

7 Ceci est une des preuves, assez nombreuses d'ailleurs, que l'usage d'employer des voyelles pour marquer les cas et désigner certaines inflexions du verbe arabe avait discontinué de très-bonne heure. L'arabe nahou, ou littéral, cessa d'être une langue vivante bientôt après les premières conquêtes des musulmans.

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