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ABOU-ZÉKÉRÏA FAIT RECONNAÎTRE SON AUTORITÉ DANS LA PROVINCE DU ZAB ET INCORPORE BISKERA DANS SES ÉTATS.

. Le lecteur avu1 que le sultan Abou-Ishac avait donné le gouvernement du Zabà Fadl-Ibn-Ali-Ibn-Mozni, un des notables de Biskera. Ce chef y maintint l'autorité de l'empire hafside, mais à la mort du souverain dont il tenait sa nomination, il fut assassiné par une troupe de ces bandits arabes qui habitent les villages du Zab. Ils commirent ce crime à l'instigation de quelques ennemis de leur victime. Fadl fut tué en l'an 683 (1284-5). Les mêmes brigands espéraient alors se rendre maîtres de la ville,mais les cheikhs de la famille Romman les en expulsèrent et prirent le pouvoir entre leurs mains. Cette junte maintint à Biskera le même régime qu'auparavant en y faisant proclamer l'autorité de l'émir Abou-Hafs, souverain de Tunis, et, comme les membres dont elle se composait craignaient la vengeance de Mansour, fils de Fadl-Ibn-Mozni, qui s'était rendu à la capitale lors de la mort de son père, ils le firent représenter au sultan comme un homme excessivement dangereux. Mansour fut jeté en prison par l'ordre de ce prince et il y resta pendant sept ans. Parvenu enfin à s'évader, il passa chez les Kerfa, tribu arabe hilalienne qui commandait à cette époque aux peuplades de l'Auras. S'étant arrêté chez les Chebba [Chebbeba], fraction de cette tribu, il obtint d'eux des habits et une monture afin de pouvoir continuer sa route. Arrivé à Bougie, l'an 692 (1293), il alla au palais et représenta au sultan [l'émir Abou-Zékérïa] combien la conquête du Zab lui serait facile. Il gagna en même temps l'appui du chambellan, Ibn-Abi-Djebbi, par le don d'une quantité d'objets précieux de diverses espèces et par la promesse qu'une fois maître du Zab, il y ferait reconnaître l'autorité d'Abou-Zékérïa et lui enverrait les impôts fournis par ce pays. Cette offre parut telle

1. Page 380 de ce volume.

ment séduisante que le chambellan en nomma l'auteur gouverneur du Zab et plaça un corps de troupes à sa disposition. Mansour partit alors pour mettre le siège devant Biskera. La ville lui résista et les cheikhs, membres de la famille Romman, se voyant vivement pressés par leur adversaire et sachant qu'à une telle distance de Tunis, ils ne pouvaient guère s'attendre à être secourus, proclamèrent eux-mêmes la souveraineté d'AbouZékérïa et lui envoyèrent une députation avec l'assurance écrite de leur obéissance. De cette manière, ils crurent se soustraire à la vengeance de Mansour-Ibn-Mozni. Le sultan agréa leurs hommages et congédia les membres de la députation en leur déclarant que le commandant de ses troupes gouvernerait leur ville et qu'Ibn-Mozni n'aurait qu'à s'occuper de la perception des impôts. Quand ces envoyés furent de retour, on alla au-devant du commandant et d'Ibn-Mozni pour leur faire acte de soumission et les introduire dans la ville. Le système d'administration imaginé par le sultan se maintint à Biskera jusqu'à l'époque où Mansour se mit encore en avant, ainsi que nous le dirons dans l'histoire de sa famille.

Jusqu'à nos jours, le Zab est demeuré fidèle à la dynastie fondée par Abou-Zékérïa, dont un des fils s'empara de la capitale, ainsi qu'on le verra plus loin.

MORT D'EL-FAZAZI, CHEIKH DES ALMOHADES, ET DU GRAND

BELLAN ABOU-'L-CACEM-IBN-ES-CHEIKH,

MENT DE TUNIS.

CHAM

MINISTRE DU GOUVERNE

Abou-Abd-Allah-el-Fazazi, cheikh almohade et favori du sultan Abou-Hafs, avait reçu de son maître le commandement en chef de l'armée et s'était conduit de la manière la plus satisfaisante dans les expéditions militaires qu'il entreprit, soit pour maintenir l'ordre dans les provinces, soit pour combattre les ennemis de l'état. Des pays étendus soumis, des rebelles vaincus ou repoussés au loin et de fortes contributions arrachées à des tribus récalcitrantes, ces services éclatants étaient le meil

leur témoignage du zèle et de l'habileté de cet officier. Dans le Djerîd surtout, il eut l'occasion de montrer la supériorité de ses talents par l'adresse avec laquelle il se conduisit envers les chefs de ce pays. Ce fut lui qui, sur la dénonciation des cheikhs de Touzer, mit à la question Ahmed-lbn-Yemloul et l'arrêta court dans la carrière de l'ambition 1. Il mourut l'an 693 (1293-4), à deux journées de Tunis, pendant qu'il conduisait une nouvelle expédition dans le Djerîd.

L'année suivante vit la mort du chambellan Abou-l-CacemIbn-es-Cheikh. Ce personnage, ayant émigré de Dénia à Bougie en l'an 626 (1228-9) 2, se présenta à Mohammed-Ibn-Yacîn, administrateur de cette dernière ville, et obtint auprès de lui la place de secrétaire. Quand son patron, dont il avait su gagner la confiance, fut rappelé à la capitale, il fit le voyage avec lui. Le sultan cherchait alors un secrétaire sur lequel il pourrait déverser le poids des affaires, et comme Ibn-Yacîn lui fit l'éloge le plus brillant de son protégé, il consentit à le prendre à l'essai. Cette épreuve ne fut pas favorable à Ibn-es-Cheikh dont elle amena le renvoi ; mais le sultan, ayant enfin pu reconnaître les talents de cet homme, l'admit définitivement à son service. IbnAbi-'l-Hocein fut chargé d'enseigner au nouveau secrétaire les devoirs de sa place et de l'initier par la pratique dans la marche et dans les détails de l'administration; aussi Ibn-es-Cheikh fut-il bientôt en état d'apporter un grand soulagement au souverain dans l'expédition des affaires. La mort d'Ibn-Abi-'l-Hocein laissa vacantes plusieurs places, dont l'une était la surintendance de la maison royale, aucune dépense ne pouvant s'y faire sans sa signature. Cette charge fut confiée à Ibn-es-Cheikh avec l'avertissement que le cumul ne lui serait pas permis. El-Ouathec, étant monté sur le trône, se laissa diriger par Ibn-el-Habbeber; il conserva toutefois Ibn-es-Cheikh comme surintendant et l'ad

1. Voir l'histoire des Beni-Yemloul dans le troisième volume.

2. En cette année, Mohammed-Ibn-Houd, soutenu par les chrétiens, vait enlevé Dénia et Murcie aux Almohades.

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mit au nombre de ses intimes. Abou-Ishac, étant devenu sultan, le garda aussi à son service, mais en lui donnant pour collègue Abou-Bekr-Ibn-Khaldoun, directeur général des contributions. Sous le règne de ce monarque, la place de premier ministre fut successivement remplie par ses fils, les princes Abou-Fares, Abou-Zékérïa et Abou-Mohammed-Abd-el-Ouahed. Quand le prétendant eut réussi dans son imposture et obtenu possession du trône, il distingua particulièrement Ibn-es-Cheikh, et, au visa des comptes que ce fonctionnaire exerçait depuis si longtemps, il ajouta le droit d'inscrire le paraphe impérial en tête des pièces officielles. Quand Abou-Hafs fit mourir le prétendant et recouvra le royaume de ses pères, Ibn-es-Cheikh craignit que la faveur dont il avait joui sous l'usurpateur ne lui attirât la colère du sultan et, pour cette raison, il employa auprès de lui l'intercession des hommes dévots avec lesquels il s'était déjà lié par la pratique de la piété et des bonnes œuvres. Le prince accueillit leur prière, sans même dissimuler le besoin qu'il avait d'un serviteur aussi utile. Dès lors, au visa des comptes du palais, Ibn-es-Cheikh réunit les fonctions de grand chambellan; mais le droit d'écrire le paraphe fut donné à une autre personne de la cour. Ibn-es-Cheikh mourut, en place, l'an 694 (1294-5). Dès lors, chacune de ces trois charges donna à celui qui la remplissait le titre de chambellan. Quant à l'administration de l'état et le commandement de l'armée, ces fonctions importantes furent réservées aux cheikhs almohades; mais, dans la suite, plusieurs grands changements eurent lieu, ainsi que le lecteur verra plus loin, et l'on remplaça sans difficulté un almohade par une personne qui ne l'était pas, et vice versa.

La place de chambellan laissée vacante par la mort d'Ibn-esCheikh fut donnée à Abou-Abd-Allah-es-Chakhchi, officier de la milice. Ce fonctionnaire conserva son emploi jusqu'à la chute de l'empire [devant les armes des Mérinides].

1. Dans le texte arabe, il faut lire ghairihi,

MORT DU SULTAN ABOU-HAFS.

Le sultan Abou-Hafs jouit d'un règne tranquille et prospère jusqu'au terme de ses jours. Vers le commencement du mois de Dou-'l-Hiddja 694 (octobre 1295), il ressentit les premières atteintes de la maladie qui devait l'emporter. Bientôt il se trouva gravement indisposé, et pensa avec inquiétude au sort futur de ses sujets et à la lourde responsabilité qu'il avait encourue en se chargeant des intérêts d'un peuple entier. Le douze du même mois, il désigna comme successeur au khalifat son fils AbdAllah; mais ce choix déplut au corps des Almohades, parce que le prince était encore impubère et parce qu'il n'avait occupé jusqu'alors aucune position dans l'état. Le sultan, ayant appris ce qu'ils se disaient entre eux, en éprouva un extrême mécontentement, et ne voulant pas se régler d'après leur avis, il alla prendre conseil d'Abou-Mohammed-el-Merdjani, saint personnage dont le caractère lui avait inspiré la plus haute estime.

Quand El-Ouathec fut mis à mort avec ses enfants, une de ses concubines, qui était alors enceinte, se réfugia dans le couvent d'Abou-Mohammed et donna le jour à un fils dans la chambre même de son protecteur. Il nomma l'enfant Mohammed et, sept jours après sa naissance, il lui rasa la tête selon la coutume et tua un mouton afin de le faire manger aux pauvres avec une acîda, ou potage de froment. Depuis ce jour, l'enfant continua à porter le surnom d'Abou-Acîda. Quand on n'eut plus de motifs pour cacher l'existence de ce prince, on le fit entrer au palais pour y être élevé au sein de sa famille. Devenu grand, il conserva encore pour Abou-Mohammed un profond attachement, et le cheikh, de son côté, lui garda une vive affection.

Le sultan Abou-Hafs, l'ayant alors consulté sur le choix d'un successeur en lui exposant que les Almohades ne voulaient pas de son fils, reçut le conseil de transmettre le pouvoir à Mohammed, fils d'El-Ouathec. Cet avis lui parut si bon qu'il convoqua les grands officiers de l'empire et les cheikhs almohades, afin de leur faire reconnaître le prince Mohammed comme successeur

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