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S'étant établi à Bougie, il éleva Abou-'l-Hocein-Ibn-Séïd-enNas aux fonctions de grand chambellan, et se forma, dans la partie occidentale du royaume de Tunis, un empire qu'il transmit à ses descendants. Nous verrons plus tard s'effectuer la réunion des deux états par l'avènement de sa postérité au trône de Tunis.

L'ÉMIR ABOU-ZÉKÉRÏA ENVAHIT LA PROVINCE DE TRIPOLI.

OTHMAN

IBN-YAGHMORACEN PROFITE DE SON ABSENCE POUR ASSIÉGER

BOUGIE.

L'émir Abou-Zékérïa, après avoir enlevé au gouvernement de Tunis toute la partie occidentale de l'empire, se mit en campagne, l'an 685 (1286), et marcha sur la capitale. Dans cette entreprise, il fut secondé par Abd-Allah, fils de Rehab-Ibn-Mahmoud et l'un des chefs des Debbab. Repoussé des environs de Tunis par El-Fazazi, il se porta devant Cabes et y mit le siège. Dans l'attaque de cette place, il déploya une grande bravoure et, un jour, après avoir tué et fait prisonnier beaucoup de monde, il mit ses adversaires en déroute, détruisit le faubourg de la ville, brûla les maisons de campagne et les dattiers des bocages voisins. De là, il se dirigea vers Mesrata, et, parvenu à ElAbiad, il reçut la soumission des Djouari, des Mehamîd, des Al-Salem et des Arabes de Barca. Il était à Mesrata, quand on vint lui annoncer qu'Othman-Ibn-Yaghmoracen se préparait à mettre le siège devant Bougie. Ce prince, vivement offensé du procédé d'Abou-Zékérïa en quittant Tlemcen sans permission et de la conduite de Dawoud-Ibn-Attaf, qui avait refusé de lui livrer le fugitif, renouvela le serment de fidélité envers le souverain de Tunis et lui en fit porter l'acte authentique par AliIbn-Mohammed-el-Khoraçani. Il obtint ensuite quelques avantages sur les Toudjîn et les Maghraoua; puis, ayant cédé aux sollicitations du gouvernement tunisien, auquel Abou-Zékérïa avait ôté tous les moyens d'action, tant en lui enlevant des provinces entières qu'en allant l'attaquer dans la capitale de l'empire, il s'engagea à délivrer le sultan de la présence de son

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ennemi en allant lui-même faire le siège de Bougie. Il partit, l'an 686 (1287), pour conquérir cette ville, mais, arrivé aux environs de la place, il y trouva une vigoureuse résistance, et n'en remporta d'autre avantage que celui d'avoir vu, à distance, la forteresse dont il espérait s'emparer.

La même année, il reprit la route de sa capitale.

LES VILLES DU DJERÎD COMMENCENT A ÉTABLIR LEUR
INDÉPENDANCE.

Les Seddada et les Kennouma, deux familles qui habitaient les environs de Takîous, eurent ensemble un conflit dans lequel un fils du cheikh des Seddada perdit la vie. Les parents du jeune homme firent serment de le venger en tuant le cheikh des Kennouma. Celui-ci, averti du danger, se retira auprès de Mohammed-Ibn-Yahya-Ibn-Abi-Bekr-et-Tînmeléli, gouverneur de Touzer, chef-lieu du Djerîd. Cet officier almohade n'hésita pas de lui vendre sa protection et d'écrire à la capitale pour annoncer que les Seddada étaient en pleine révolte. Alors il fit ordonner aux habitants de Nefta et de Takîous de marcher contre cette peuplade et il sortit lui-même avec les troupes de Touzer pour l'attaquer 1 dans le village où elle faisait sa demeure. Les malheureux Seddada, ayant vainement cherché à fléchir sa colère en lui offrant des otages et de l'argent, obtinrent l'appui des Nefzaoua et lui livrèrent la bataille. Dans cette rencontre, EtTînmeléli eut tant de monde mis hors de combat qu'il dut rentrer à Touzer. Ceci se passa en l'an 686 (1287). Une nouvelle expédition qu'il dirigea contre les insurgés leur procura un nouveau triomphe, et ils purent négocier avec lui un traité de paix qui leur assura le droit de s'administrer eux-mêmes et de fournir des gouverneurs aux populations nefzaouiennes. En retour de ces avantages, ils consentirent à payer régulièrement l'impôt ordinaire.

1. Dans le texte arabe, il faut lire oua ghazahom.

OTHMAN, FILS D'ABOU-DEBBOUS, PARAÎT DANS LA PROVINCE

DE TRIPOLI.

Le sultan Abou-Debbous, dernier khalife de la famille d'Abdel-Moumen qui régna à Maroc, fut tué en l'an 668 (1269). Ses enfants se dispersèrent en divers pays, et l'un d'entre eux, le prince Othman, passa dans l'Espagne orientale pour solliciter la protection du roi chrétien qui régnait à Barcelone. Il y trouva un bon accueil et s'y rencontra avec les fils de son oncle, le cîd Abou-Zeid-el-Montecer qui avait cherché, comme lui, un asile dans ce pays. Ces princes y jouissaient d'une haute considération à cause de la conversion de leur père au christianisme; aussi ils s'empressèrent non seulement de partager leur fortune avec le nouveau venu, mais encore d'obtenir pour lui, de la bonté du roi, une position honorable.

Morghem-Ibn-Saber-Ibn-Asker, cheikh des Djouari, tribu debbabienne, se trouvait alors dans cette ville. En l'an 682 (1283-4), il avait été fait prisonnier, aux environs de Tripoli, par les Siciliens, ennemis de l'islamisme, et fut vendu par eux aux gens de Barcelone. Le roi chrétien l'acheta ensuite et le retint captif auprès de lui.

Othman, qui espérait faire valoir ses droits au trône des Almohades, se tenait toujours prêt à passer dans une des provinces situées sur les frontières de l'empire, plus particulièrement la province de Tripoli, sachant qu'une telle localité serait mal gardée et qu'une démonstration faite de ce côté aurait plus de chances de succès que partout ailleurs. Profitant de la haute faveur que le roi lui témoignait, il obtint la liberté de Morghem, et celui-ci prit l'engagement de seconder le prince dans sa tentative. Le roi leur fournit plusieurs navires remplis de troupes et de vivres, mais à la condition d'être remboursé plus tard des frais de l'expédition '.

1. Bartholomeus de Neocastro parle de la capture et de la libération de Marganus ou Margam. Voir Hist. Sicil. apud Gregorio et Muratori, cap. 85, 91, 93, 113. Voir aussi, dans les mêmes collections, l'Historia Sicula de Nicolas Specialis, 1. II, chap. 16.

En l'an 688 (1289), les deux aventuriers débarquèrent dans la province de Tripoli, et Morghem rassembla aussitôt les guerriers de sa tribu afin de leur faire reconnaître la souveraineté du fils d'Abou-Debbous. Soutenu par ces Arabes et par les troupes chrétiennes de la flotte, Othman mit le siège devant Tripoli et, pendant trois jours, il y fit beaucoup de dégâts. Les chrétiens se rembarquèrent alors et allèrent mouiller vis-à-vis de la ville, pendant que Morghem et le fils d'Abou-Debbous se mirent à parcourir le pays, après avoir laissé un corps de troupes. au camp pour continuer le siège. Dans cette course, les deux chefs prélevèrent assez d'impôts et de contributions pour solder les frais de l'expédition, selon le traité. Les chrétiens s'en retournèrent chez eux après avoir reçu l'argent, et le prince resta au milieu de ses alliés arabes. Il fit ensuite plusieurs autres courses dans la province de Tripoli, et, sur l'invitation d'Ibn-Mekki, il se disposa à passer dans le Zab. En faisant cette démarche, IbnMekki avait l'espoir de s'ériger en souverain indépendant, à l'instar du prince almohade 1. La mort d'Ibn-Abi-Debbous, qui eut lieu à Djerba, fit manquer l'entreprise.

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Nous avons déjà fait connaître les antécédents d'Abou-'lHocein-Ibn-Séïd-en-Nas et mentionné pourquoi il était allé trouver l'émir Abou-Zékérïa à Tlemcen 2. Il servit ce prince avec dévouement et, quand son maître eut enlevé à l'empire hafside les provinces de la frontière occidentale et rendu Bougie un second Tunis, il obtint de lui les fonctions de grand chambellan et l'administration de l'état. Ce prince lui accorda aussi les hauts

1. La bonne leçon du texte arabe est celle qui est indiquée en note. 2. Voir p. 399 de ce volume

privilèges dont Ibn-Abi-'l-Hocein avait joui sous El-Mostancer1, car il s'était fait une règle de suivre tous les usages et d'adopter tous les projets que ce sultan avait légués au gouvernement hafside. Nous pouvons même dire que l'autorité de ce chambellan-ci fut bien plus grande que celle de son homonyme, vu qu'on ne rencontrait pas à Bougie de ces puissants chefs almohades qui, à Tunis, avaient si bien su courber l'ambition et entraver les démarches du ministre d'El-Mostancer. Devenu seul dépositaire du pouvoir, le chambellan d'Abou-Zékérïa déploya un grand zèle pour les intérêts de son maître. Nommant à tous les emplois, destituant, décidant, faisant tout à sa volonté, il devint l'homme le plus considéré du royaume. Les rênes du pouvoir restèrent entre ses mains jusqu'à l'heure de sa mort, événement qui eut lieu en 690 (1291). Jusqu'à la fin de ses jours, il avait conservé le pouvoir et mérité la confiance de son souverain.

L'émir Abou-Zékérïa prit alors pour chambellan Abou-'lCacem-Ibn-Abi-Djebbi, personnage dont j'ignore les antécédents, à l'exception du seul fait qu'ayant quitté l'Andalousie, lors de la grande émigration 2, il s'était présenté à la cour et avait obtenu un emploi dans l'administration des provinces. Plus tard, il entra au service d'Abou-'l-Hocein-Ibn-Séïd-en-Nas, en qualité d'écrivain et, favorisé par la confiance de son patron, il s'éleva aux plus hauts emplois et obtint l'autorisation de donner pleine carrière à sa volonté dans la conduite des affaires publiques. Ayant ensuite reçu les rênes du pouvoir de la main d'Ibn-Séïden-Nas, il conduisit l'état en homme qui voulait montrer son zèle et son habileté. Aussi tous les regards se portèrent vers lui, les courtisans recherchèrent sa faveur et le sultan lui-même se plut à reconnaître les grands talents de son serviteur. A la mort du chambellan, il le remplaça, avec l'autorisation du prince, et il conserva cet emploi jusqu'à la fin du règne de l'émir Abou-'lBaca, fils d'Abou-Zékérïa. Nous aurons encore, plus tard, l'occasion de parler de lui.

1. Voir p. 369 de ce volume.

2. En l'an 1248, lors de la conquête de Séville par les chrétiens.

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