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deux lettres, selon la coutume. Il profita de cette occasion pour fabriquer et envoyer à Cairouan une troisième lettre qui contenait la destitution d'Ibrahîm et sa propre nomination. Lorsque le peuple en eut entendu la lecture, il dit à Ibrahîm : » Gardez votre place et écrivez-en au khalife; cette lettre est une pièce fabriquée par Mocatel; voilà comme il reconnaît le service que vous Ini avez rendu en venant à son secours et en lui sauvant la vie ! » - << Par Allah! répondit-il, je m'en étais déjà formé la même idée ! c'est à cause de la faveur dont il jouit auprès de Djâfer-IbnYahya 2, qu'il a osé concevoir le projet de s'emparer de la ville. » [Malgré l'opinion qu'il venait d'exprimer] Ibrahîm céda la place et ramena ses troupes dans le Zab. Une lettre arriva alors à Cairouan par laquelle Ibn-Mocatel aunonça sa prochaine arrivée et ordonna à Sehl-Ibn-Hadjeb de prendre le commandement, en attendant. Er-Rechîd ayant eu connaissance de cette supercherie par une dépêche que le maître de poste lui avait expédiée, en éprouva une violente colère et écrivit à Ibn-Mocatel la lettre suivante: « Ce dernier trait de votre conduite est semblable à tous les autres! quels sont donc vos titres pour que je vous accorde le gouvernement de la province plutôt qu'à Ibrahîm? est-ce parce que vous avez fui devant le danger pendant que lui, il est allé l'affronter? est-ce à cause de votre lâcheté et de sa bravoure? ou bien est-ce à cause de votre désobéissance et de son dévouement? Aussitôt que vous aurez lu cette lettre, revenez-ici; mais ne vous attendez pas à être loué de votre conduite. » Il écrivit aussi une autre lettre par laquelle il réintégrait Ibrahîm dans le commandement. Le messager qui apporta ces dépêches à Cairouan continua sa route jusqu'au Zab où Ibrahîm venait d'arriver. Ce fut le 12 du mois de Djomada second de l'an 184 (juillet 800) que pouvoir passa, pour la seconde fois, dans les mains d'Ibrahîm et qu'il se trouva investi de l'autorité qu'il transmit à ses descendants. Ibn-Mocatel-el--Akki partit alors pour l'Orient.

le

4 Une de ces lettres était probablement à l'adresse de l'ancien gouverneur et l'autre à celle de son successeur désigné.

2 Il s'agit ici du célèbre vizir barmekide dont tout le monde connaît Ja générosité et la triste fin.

Plus loin l'historien dit: quand Ibrahîm fut revêtu du pouvoir, il comprima les factions qui désolaient le pays, et tint la province d'une main ferme, tout en la gouvernant avec douceur. Par ses ordres, les hommes pervers qui étaient dans l'habitude de résister aux gouverneurs et de se révolter contre eux furent conduits à Baghdad. Il fit bâtir un château pour lui servir de lieu de plaisance1, et ensuite il y transporta secrètement des armes et de l'argent. En même temps il donna le plus grand soin au bien-être de ses troupes afin de s'assurer leur obéissance, et il supporta avec patience leurs mœurs brusques et grossières. Plus tard, il se mit à acheter des nègres sous le prétexte d'en former des ouvriers en tout art et métier, afin de n'avoir plus recours aux services [forcés] de ses sujets, et ensuite il en acheta d'autres, destinés à porter les armes de ses soldats auxquels il fit accroire, qu'en les allégeant d'un tel fardeau, il leur donnait uue grande marque d'honneur. Quand tout fut disposé pour le but auquel il tendait, il quitta l'hôtel du gouvernnement pendant la nuit, et se rendit au château avec ses esclaves nègres, ses domestiques et tous les membres de sa famille. Il logea aussi avec lui ceux de la milice qui avaient sa confiance; au reste il présidait régulièrement à la prière publique dans la grande mosquée de Cairouan et dans celle qu'il avait fait élever au château.

Pendant son administration, Hamdis-Ibn-Abd-er-Rahman-elKindi se révolta à Tunis, et s'étant dépouillé de la livrée noire des Abbacides, il rassembla autour de lui une foule d'Arabes et de Berbères habitants de la ville. Ibrahîm fit marcher contre lui Emran-Ibn-Mokhaled, accompagné des principaux chefs de son armée. Les deux partis se rencontrèrent à la sibkha (marais salė) de Tunis. Le conflit fut très-acharné et beaucoup de monde y perdit la vie. Les troupes de Hamdîs se mirent alors à [lui] crier: « Allez à Baghdad; allez ce jour passé, nous ne vous

1 En l'an 184, Ibrahim-Ibn-el-Aghleb posa les fondements de la ville d'El-Abbacïa, et il alla s'y fixer avec les membres de sa famille, ses domestiques et ses esclaves nègres. Cette place forte, appelée depuis le vieux château (El-Casr-el-Cadim), était situé au midi (ou sud-est) de Caironan, à la distance de trois milles.

obéirons plus. » Hamdis périt dans cette bataille et ses troupes furent mises en pleine déroute. Emran entra à Tunis et fit rechercher et mettre à mort tous ceux qui avaient pris le parti de Hamdis. Cette révolte eut lieu en l'an 186 (802).

Ibrahim-Ibn-el-Aghleb gouvernait l'Ifrîkïa quand Idrîs, fils d'Idris, fils d'Abd-Allah, fils d'El-Hacen, fils d'El-Hacen, fils d'Ali, fils d'Abou-Taleb, réunit [dans le Maghreb-el-Acsa] un grand nombre de partisans et fit reconnaître son autorité aux tribus voisines. Ne voulant pas combattre ouvertement un descendant du Prophète, Ibrahîm chercha à corrompre ceux qui l'entouraient, et, dans ce but, il écrivit à Behloul-Ibn-Abd-Ouahed-elMadghari, chef très-puissant qui soutenait Idrîs et lui servait de de conseiller intime: Il parvint, enfin, à détacher ce personnage de la cause d'Idrîs et à le faire rentrer dans l'obéissance. Idris se voyant abandonné, adressa une lettre à Ibrahîm pour exciter sa commisération, le priant de l'épargner et de ne pas inquiéter un proche parent du saint Prophète. Cette démarche eut pour résultat qu'aucune guerre n'eut lieu entre eux 2.

Emran-Ibn-Mokhaled se révolta aussi contre Ibrahim. Le motif qui le porta à prendre les armes fut celui-ci : lorsqu'Ibrahîm eut construit le château qui porte le nom d'El-Casr-el-Cadîm (le vieux château), il sortit un jour à cheval, accompagné d'Emran. Pendant la promenade, celui-ci ne cessa de l'entretenir, mais Ibrahim, tout préoccupé du projet d'aller s'y installer, n'apporta aucune attention au discours de son compagnon, et arrivé au Mosalla de Rouh, il lui dit : « Vous devez bien vous apercevoir que je n'ai rien entendu de vos paroles; répétez-les. Blessé de cette observation, Emran lui répondit : « Depuis le moment de votre sortie, je n'ai fait que vous parler, mais vous ne m'avez accordé aucune attention. » Dès lors ses sentiments

1 Selon Ibn-el-Athîr et Ibn-Khaldoun, Hamdîs prit la fuite lors de la défaite de ses troupes, dont dix mille hommes restèrent sur le champ de bataille.

2 En l'an 189, les Tripolitains chassèrent leur gouverneur, SofyanIbn-el-Meda, et prirent pour chef Ibrahim-Ibn-Sofyan-et-Temîmi. Vers la fin de la même année, ils firent leur soumission.

changèrent à l'égard de son chef et il commença à comploter contre lui. Ibrahîm s'établit enfin dans son château, et, quelque temps après, Emran se révolta à la tête des troupes qu'il avait sous ses ordres, s'empara de Cairouan et obtint bientôt l'appui d'une foule de partisans. La guerre continua entre eux pendant une année entière; la cavalerie d'Ibrahîm faisait des incursions jusque sous les murs de Cairouan et massacrait tout ce qu'elle rencontrait, pendant que celle d'Emran faisait de même dans le pays occupé par Ibrahîm. Ces démêlés duraient encore, quand Ibrahîm apprit que le Commandant des croyants venait d'expédier en Ifrîkïa un messager porteur de la solde des troupes. Il envoya aussitôt son fils Abd-Allah à Tripoli pour s'emparer de ces fonds et les lui apporter. Lorsque cet argent fut entre ses mains, les troupes d'Emran, qui soupiraient après leur solde, concurent la pensée de livrer leur chef. Informé de leurs sentiments, Ibrahîm mit son armée en campagne et marcha sur Cairouan à la tête de la cavalerie, l'infanterie et le corps d'esclaves nègres. Arrivé près de la ville, il fit proclamer par un héraut que tous ceux dont le nom était inscrit sur le registre du Commandant des croyants devaient se présenter pour toucher leur solde, puis il rentra à son château sans avoir fait aucune démonstration hostile. Vers le soir, Emran acquit la certitude que ses troupes voulaient le trahir, et la même nuit, il partit à cheval pour se rendre dans le Zab, accompagné d'Amer-Ibn-Moaouïa et d'AmerIbn-el-Motamer. Ibrahîm s'empressa alors d'enlever les portes de Cairouan et de pratiquer des brèches dans les murailles. Voyant son autorité raffermie par ces événements, il agrandit le Casr-elCadîm et accorda aux membres de sa famille et à ses clients des logements dans l'enceinte de cette forteresse. Quant à Emran, il resta dans le Zab jusqu'à la mort d'lbrahîm, et, lors de l'avènement d'Abou-'l-Abbas, fils de celui-ci, il lui écrivit pour demander grace. Ce prince se rendit à sa prière et lui assigna pour demeure le Casr-el-Cadîm, mais plus tard, ayant appris qu'il ourdissait des trames contre lui, il le fit mettre à mort 1.

En l'an 196, la garnison de Tripoli se révolta contre le gouverneur, Abl-Allah fils d'Ibrahim-Ibn-el-Aghleb, et le força de s'éloigner. Abd

Le règne d'Ibrahim durà jusqu'en l'an 196: il mourut le 24 du mois de Choual (juillet 842), à l'âge de cinquante-six ans, après avoir gouverné pendant douze ans, quatre mois et dix jours. Il était jurisconsulte, orateur et poète; il se distinguaît par sa prévoyance, sa vigueur et sa résolution; habile dans l'art et les ruses de la guerre, doué d'un courage à toute épreuve, il se faisait obéir jusque dans les pays de son empire les plus éloignés, pendant qu'il s'illustrait par l'excellence de son administration. « Jusqu'alors, dit Ibn-er-Rakîk, l'Ifrikïa n'avait jamais possédé de gouverneur plus juste, plus habile, plus humain envers ses sujets, et plus ferme dans l'exercice du pouvoir. Il avait beaucoup étudié, et fréquenté assidûment les leçons d'El-Leith-Ibn-Sâd. » L'histoire nous a conservé de lui une foule de traits et de souve nirs admirables.

§ XXXIX. REGNE D'ABOU-'L-ABBAS-ABD-ALLAH, FILS D'IBRAHÎM,

FILS D'EL-AGHLEB.

L'historien dit Comme Abou - '1- Abbas-Abd-Allah, fils d'Ibrahim, se trouvait à Tripoli lors de la mort de son père, ce fut son frère, Ziadet-Allah, qui administra le serment de fidélité aux membres de sa famille et à tous les grands officiers de l'em

Allah rassembla d'autres troupes, et ayant attiré, par ses largesses, une foule de Berbères sous ses drapeaux, il mit le rebelles en déroute et reprit la ville. Bientôt après, Ibrahîm le remplaça par Sofyan-Ibn-el-Meda, mais celui-ci eut à soutenir les attaques de la tribu de Hooura et il fallut qu'Abd-Allah marchât à son secours. Arrivé à l'improviste avec une armée de treize mille hommes, Abd-Allah défit les Berbères et occupa la ville dont il s'empressa de réparer les fortifications. Abd-el-Ouehhab-IbnAbd-er-Rahman-Ibn-Rostem n'eut pas plutôt appris la nouvelle de cet evénement qu'il rassembla une armée de Berbères et vint assiéger Tripoli, qu'il fit bloquer du côté de la porte de Zenata, pendant qu'il dirigeait ses attaques contre la porte de Hoouara. Le siége durait encore quand Abd-Allah apprit la mort de son père. Il fit aussitôt la paix avec Abd-elQuehihab, en lui cédant la province de Tripoli, tout en se reservant la possession de la ville et la souveraineté de la mer. (Ibn-Khaldoun.)

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