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Sur la nouvelle que Temmam avait quitté Tunis à la tête d'une armée nombreuse, Ibn-Mocatel invita tous ceux qui étaient dévoués au gouvernement à se mettre sous ses ordres et à marcher contre le rebelle. Ibn-el-Aghleb l'avait déjà devancé, et, dans le combat qui s'ensuivit, Temman perdit beaucoup de monde et se trouva forcé de rentrer à Tunis. Ibn-Mocatel fit alors marcher ses troupes contre cette ville et rentra lui-même à Cairouan. Ceci se passa dans le mois de Moharrem de l'an 184 (février 800). En apprenant qu'[Ibn-el-Aghleb] approchait, Temman lui écrivit pour demander grâce, et il l'obtint. Ibn-elAghleb arriva à Cairouan avec Temman, le vendredi 8 du même mois, et lorsqu'il eut le pouvoir en main, il envoya son prisonnier à Baghdad avec d'autres chefs de la milice qui s'étaient fait un métier de la révolte. Arrivés là, ils furent tous jetés dans la prison d'Etat.

L'historien nous apprend ensuite qu'Ibn-Mocatel conserva l'autorité à Cairouan jusqu'à ce qu'il fût rappelé par le khalife Er-Rechîd et remplacé par Ibrahim-Ibn-el-Aghleb, comme on le verra dans l'histoire des Aghlebides. .

§ XXXVII.

COMMENCEMENT DE LA DYNASTIE AGHLEbide.

Cette dynastie fut la première qui s'établit en Ifrîkïa; la première aussi qui, dans ce pays, porta le nom de dynastie. Jusqu'alors cette province avait été gouvernée par des lieutenants, et lorqu'un d'eux venait à mourir ou qu'il fallait le déposer à cause de sa mauvaise conduite, sa destitution émanait de celui qui commandait aux musulmans, c'est-à-dire du khalife oméïade et ensuite du khalife abbacide. Mais bientôt la famille d'Aghleb s'éleva au faîte du pouvoir et forma une dynastie presqu'indépendante; respectant toutefois la suzeraineté des Abbacides, en leur reconnaissant le droit de commandement, et en manifestant à leur égard une soumission qui n'était pourtant pas toujours entière. Ainsi, si le khalife avait voulu déposer un de ces princes, pour le remplacer par un individu d'une autre famille, il aurait rencontré chez eux une résistance ouverte. Le souverain aghle

bide léguait l'empire à celui de ses fils ou de ses frères qu'il voulait avoir pour successeur, sans même régler son choix d'après le mérite de l'individu ; et les chefs de l'armée n'apportaient aucun obstacle à ces nominations. Nous en fournirons la preuve dans le récit qui va suivre.

Cette dynastie comprit onze princes et régna cent douze ans et quelques jours. Le premier de ces souverains était IbrahimIbn-el-Aghleb.

§ XXXVIII. REGNE D'IBRAHÎM-IBN-EL-AGHLEB.

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L'historien dit Lorsqu'Ibrahîm-Ibn-el-Aghleb eut rétabli Ibn-Mocatel-el-Akki dans le commandement et éloigné du pays Temmam-Ibn-Temim, le maître des postes, Yahya-Ibn-Ziad, écrivit à Haroun-er-Rechîd pour lui faire part de ces événements. Le khalife donna lecture de cette dépêche à ses amis, et s'adressant ensuite à Herthema-Ibn-Aïen, il lui dit « [Quelle est ton opinion?] il n'y a pas longtemps que tu en viens. » « Commandant des croyants! répondit Herthema, à l'époque de mon retour de l'Ifrîkïa, tu m'avais questionné au sujet des dispositions du peuple, et je t'avais dit que parmi eux il ne se trouvait personne de plus dévoué, de plus illustre par sa réputation et de plus généralement aimé qu'Ibrahîm, fils d'El-Aghleb; la conduite qu'il a tenue depuis, en soutenant ton autorité, a confirmé mes paroles.>> Ces mots décidérent Er-Rechîd à faire expédier la nomination d'Ibrahîm au gouvernement de l'Ifrîkïa.

A l'arrivé de ce document, Ibrahîm fit dire à Ibn-Mocatel-elAkki qu'il pouvait retarder, tant qu'il voudrait, son départ. A l'expiration de quelques jours Ibn-Mocatel se rendit à Tripoli où il rencontra Hammad-es-Saoudi qui arrivait en Ifrikïa, porteur de

1 Ibn-el-Aghleb avait déjà écrit au khalife pour demander le gouver. nement de l'Ifrîkïa. Daus cette lettre, il prit l'engagement de renoncer à la subvention de cent mille dinars que le gouverneur de l'Egypte y envoyait tous les ans ; il offrit encore de payer au khalife une somme annuelle de quarante mille dinars.

deux lettres, selon la coutume . Il profita de cette occasion pour fabriquer et envoyer à Cairouan une troisième lettre qui contenait la destitution d'Ibrahîm et sa propre nomination. Lorsque le peuple en eut entendu la lecture, il dit à Ibrahîm : >> Gardez votre place et écrivez-en au khalife; cette lettre est une pièce fabriquée par Mocatel; voilà comme il reconnaît le service que vous Ini avez rendu en venant à son secours et en lui sauvant la vie ! » — « Par Allah! répondit-il, je m'en étais déjà formé la même idée ! c'est à cause de la faveur dont il jouit auprès de Djâfer-IbnYahya, qu'il a osé concevoir le projet de s'emparer de la ville. » [Malgré l'opinion qu'il venait d'exprimer] Ibrahîm céda la place et ramena ses troupes dans le Zab. Une lettre arriva alors à Cairouan par laquelle Ibn-Mocatel aunonça sa prochaine arrivée et ordonna à Sehl-Ibn-Hadjeb de prendre le commandement, en attendant. Er-Rechîd ayant eu connaissance de cette supercherie par une dépêche que le maître de poste lui avait expédiée, en éprouva une violente colère et écrivit à Ibn-Mocatel la lettre suivante: « Ce dernier trait de votre conduite est semblable à tous les autres quels sont donc vos titres pour que je vous accorde le gouvernement de la province plutôt qu'à Ibrahîm? est-ce parce que vous avez fui devant le danger pendant que lui, il est allé l'affronter? est-ce à cause de votre lâcheté et de sa bravoure ? ou bien est-ce à cause de votre désobéissance et de son dévouement? Aussitôt que vous aurez lu cette lettre, revenez-ici; mais ne vous attendez pas à être loué de votre conduite.» Il écrivit aussi une autre lettre par laquelle il réintégrait Ibrahîm dans le commandement. Le messager qui apporta ces dépêches à Cairouan continua sa route jusqu'au Zab où Ibrahîm venait d'arriver. Ce fut le 12 du mois de Djomada second de l'an 184 (juillet 800) que le pouvoir passa, pour la seconde fois, dans les mains d'Ibrahîm et qu'il se trouva investi de l'autorité qu'il transmit à ses descendants. Ibn-Mocatel-el-Akki partit alors pour l'Orient.

1 Une de ces lettres était probablement à l'adresse de l'ancien gouverneur et l'autre à celle de son successeur désigné.

2 Il s'agit ici du célèbre vizir barmekide dont tout le monde connaît la générosité et la triste fin.

Plus loin l'historien dit: quand Ibrahîm fut revêtu du pouvoir, il comprima les factions qui désolaient le pays, et tint la province d'une main ferme, tout en la gouvernant avec douceur. Par ses ordres, les hommes pervers qui étaient dans l'habitude de résister aux gouverneurs et de se révolter contre eux furent conduits à Baghdad. Il fit bâtir un château pour lui servir de lieu de plaisance, et ensuite il y transporta secrètement des armes et de l'argent. En même temps il donna le plus grand soin au bien-être de ses troupes afin de s'assurer leur obéissance, et il supporta avec patience leurs mœurs brusques et grossières. Plus tard, il se mit à acheter des nègres sous le prétexte d'en former des ouvriers en tout art et métier, afin de n'avoir plus recours aux services [forcés] de ses sujets, et ensuite il en acheta d'autres, destinés à porter les armes de ses soldats auxquels il fit accroire, qu'en les allégeant d'un tel fardeau, il leur donnait uue grande marque d'honneur. Quand tout fut disposé pour le but auquel il tendait, il quitta l'hôtel du gouvernnement pendant la nuit, et se rendit au château avec ses esclaves nègres, ses domestiques et tous les membres de sa famille. Il logea aussi avec lui ceux de la milice qui avaient sa confiance; au reste il présidait régulièrement à la prière publique dans la grande mosquée de Cairouan et dans celle qu'il avait fait élever au château.

Pendant son administration, Hamdis-Ibn-Abd-er-Rahman-elKindi se révolta à Tunis, et s'étant dépouillé de la livrée noire des Abbacides, il rassembla autour de lui une foule d'Arabes et de Berbères habitants de la ville. Ibrahîm fit marcher contre lui Emran-Ibn-Mokhaled, accompagné des principaux chefs de son armée. Les deux partis se rencontrèrent à la sibkha (marais salė) de Tunis. Le conflit fut très-acharné et beaucoup de monde y perdit la vie. Les troupes de Hamdîs se mirent alors à [lui] crier: «Allez à Baghdad; allez ! ce jour passé, nous ne vous

1 En l'an 184, Ibrahim-Ibn-el-Aghleb posa les fondements de la ville d'El-Abbacia, et il alla s'y fixer avec les membres de sa famille, ses domestiques et ses esclaves nègres. Cette place forte, appelée depuis le vieux château (El-Casr-el-Cadim), était situé au midi (ou sud-est) de Caironan, à la distance de trois milles.

obéirons plus. » Hamdis périt dans cette bataille et ses troupes furent mises en pleine déroute. Emran entra à Tunis et fit rechercher et mettre à mort tous ceux qui avaient pris le parti de Hamdis. Cette révolte eut lieu en l'an 186 (802).

Ibrahim-Ibn-el-Aghleb gouvernait l'Ifrîkïa quand Idrîs, fils d'Idrîs, fils d'Abd-Allah, fils d'El-Hacen, fils d'El-Hacen, fils d'Ali, fils d'Abou-Taleb, réunit [dans le Maghreb-el-Acsa] un grand nombre de partisans et fit reconnaître son autorité aux tribus voisines. Ne voulant pas combattre ouvertement un descendant du Prophète, Ibrahîm chercha à corrompre ceux qui l'entouraient, et, dans ce but, il écrivit à Behloul-Ibn-Abd-Ouahed-elMadghari, chef très-puissant qui soutenait Idrîs et lui servait de de conseiller intime. Il parvint, enfin, à détacher ce personnage de la cause d'Idris et à le faire rentrer dans l'obéissance. Idris se voyant abandonné, adressa une lettre à Ibrahîm pour exciter sa commisération, le priant de l'épargner et de ne pas inquiéter un proche parent du saint Prophète. Cette démarche eut pour résultat qu'aucune guerre n'eut lieu entre eux ?.

Emran-Ibn-Mokhaled se révolta aussi contre Ibrahim. Le motif qui le porta à prendre les armes fut celui-ci : lorsqu'Ibrahîm eut construit le château qui porte le nom d'El-Casr-el-Cadîm (le vieux château), il sortit un jour à cheval, accompagné d'Emran. Pendant la promenade, celui-ci ne cessa de l'entretenir, mais Ibrahîm, tout préoccupé du projet d'aller s'y installer, n'apporta aucune attention au discours de son compagnon, et arrivé au Mosalla de Rouh, il lui dit : « Vous devez bien vous apercevoir que je n'ai rien entendu de vos, paroles; répétez-les. » Blessé de cette observation, Emran lui répondit : « Depuis le moment de votre sortie, je n'ai fait que vous parler, mais vous ne m'avez accordé aucune attention. » Dès lors ses sentiments

1 Selon Ibn-el-A thîr et Ibn-Khaldoun, Hamdîs prit la fuite lors de la défaite de ses troupes, dont dix mille hommes restèrent sur le champ de bataille.

2 En l'an 189, les Tripolitains chassèrent leur gouverneur, SofyanIbn-el-Meda, et prirent pour chef Ibrahim-Ibn-Sofyan-et-Temimi. Vers la fin de la même année, ils firent leur soumission.

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