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rière au progrès de Mohammed-Ibn-Youçof. Il eut, toutefois, la précaution de s'en faire donner plusieurs otages; il en exigea aussi de toutes les populations de son empire, telles que les Zenata, les Arabes et même de sa propre tribu, les Beni-Abd-elOuad. Rentré à Tlemcen, il logea ces garants de leur fidélité dans la citadelle, local aussi vaste que l'emplacement de certaines villes. Il porta sa méfiance à un tel point qu'il réclama plusieurs otages d'une seule tribu, d'une seule fraction de tribu et même d'une seule famille. Bien plus, il obligea les habitants des villes et des forteresses, les cheikhs et les gens du peuple, à lui en fournir. I remplit aussi sa citadelle de leurs enfants et de leurs frères, en y faisant entrer successivement une foule de monde. Il y construisit pour ces détenus des mosquées où l'on célébrait la prière du vendredi, et il leur permit de se marier et de bâtir des maisons. L'on trouvait même dans cette enceinte les divers produits de l'industrie et un marché très-fréquenté. Ce fut une des prisons les plus extraordinaires dont on ait jamais entendu parler.

Mohammed-Ibn-Youçof était encore en pleine révolte dans le pays des Toudjîn quand le sultan mourut.

ASSASSINAT DU SULTAN ABOU

HAMMOU ET AVÈNEMENT DE SON FILS ABOU-TACHEFÎN.

De tous les membres de la famille royale [Abou-Serhan-]Masoud-Ibn-Berhoum fut celui qui jouissait au plus haut degré de la faveur d'Abou-Hammou. Cousin de ce prince, il en était aimé comme un fils, à cause de son intelligence et de sa bravoure et parce que son père, Abou-Amer-Berhoum était, de tous les enfants de Yaghmoracen, le seul frère germain d'Othman[, père d'Abou-Hammou]. Le sultan lui portait une telle affection qu'il le préférait à ses propres enfants et l'avait même pris pour conseiller et ami intime.

Pendant ce temps, Abou-Tachefin-Abd-er-Rahman, fils du sultan, grandissait au milieu d'une troupe de jeunes gens, chrétiens d'origine, que son père lui avait donnés pour serviteurs. Parmi eux, on remarquait particulièrement Hilal le catalan, Moçameh le petit, Féredj-Ibn-Abd-Allah, Dafer, Mehdi, Ali-IbnTagrert et Féredj surnommé Chacoura; mais celui d'entr'eux que le jeune prince affectionnait le plus fut le nommé Hilal, esclave né dans le palais.

Abou-Hammou faisait de fréquentes semonces à son fils pour l'exciter à mieux cultiver ses talents, et, comme il était d'un caractère fort brutal, que Dieu lui pardonne ! il le blessait parfois en lui adressant des paroles dures et insultantes. Soit qu'il fît des réprimandes, soit qu'il donnât des conseils, il s'exprimait avec une âpreté rebutante et, dans ses punitions, il dépassait toutes les bornes. Ces esclaves le craignaient excessivement et cherchaient sans cesse à indisposer Abou-Tachefin contre lui. Ils travaillèrent aussi à exciter la jalousie du jeune prince en lui faisant remarquer, à chaque instant, les marques de faveur que son père donnait à [Masoud,] fils de [Berhoum-]Abou-Amer.

Il arriva, sur ces entrefaites, que Masoud leva le siége de Bougie et livra un combat des plus brillants au prince révolté, Mohammed-Ibn-Youçof. Le sultan prit cette occasion pour le combler d'éloges et pour reprocher à Abou-Tachefîn de ne montrer ni le mérite, ni le courage de son parent. Il espérait éveiller ainsi l'amour-propre de son fils et le pousser à l'acquisition des talents qui font l'homme accompli.

Nous devons maintenant faire observer qu'Abou - AmerBerhoum, fils de Yaghmoracen et oncle du sultan, avait amassé une large fortune, dont une partie se composait de cadeaux reçus des divers souverains auprès desquels il avait rempli des missions diplomatiques; le reste provenait de certains fiefs (icta) que son père et son frère lui avaient concédés. Il mourut en l'an 696 (1296-7). Son frère Othman, auquel il avait recommandé ses fils, se chargea de leur avenir et, en attendant qu'ils fussent arrivés à l'âge de discrétion, il déposa leur héritage dans son trésor.

Quand Abou-Serban-Masoud se fut couvert de gloire dans la campagne dont nous venons de parler, le sultan Abou-Hammou lui reconnut tant de belles qualités qu'il se décida à le mettre en possession de l'héritage paternel. Abou-Tachefîn et son entourage ayant appris que ces richesses, dont, au reste, ils ignoraient l'origine, venaient d'être enlevées du trésor royal pour être données à Masoud, s'imaginèrent que le sultan avait l'intention de le déclarer son successeur. Cédant à l'impression de ce soupçon mal fondé, le jeune prince prêta l'oreille aux suggestions de ses esclaves et complota avec eux l'usurpation du trône, la mort de Masoud qu'il détestait1 et l'emprisonnement du sultan. Pour accomplir leur dessein, ils attendirent l'heure de la sieste, sachant qu'alors Abou-Hammou quitterait la salle d'audience avec ses intimes pour passer dans une autre chambre. Au nombre de ces personnages favorisés devaient se trouver Masoud et les Beni-'l-Melah, vizirs de l'empire.

Pendant tout le règne de ce sultan, les Melah remplissaient auprès de lui les fonctions de hadjeb. A la cour de Tlemcen, le hadjeb (chambellan) était chargé de l'intendance du palais dont il réglait les recettes et les dépenses. La famille Melah avait d'abord habité Cordova où elle faisait le change des monnaies d'or et d'argent. Quelquefois même, on nommait les Melah. syndics du corps des changeurs, à cause de la confiance qu'ils s'étaient méritée par leur probité. Les premiers d'entr'eux qui se fixèrent dans Tlemcen y étaient arrivés avec les émigrés qui abandonnèrent Cordoue [lors de la prise de cette ville par les chrétiens]. Dans la capitale abd-el- ouadite, ils s'adonnèrent à leur ancien métier, auquel ils ajoutèrent plus tard l'agriculture en grand et, parvenus à être employés dans le service d'Othman-Ibn-Yaghmoracen et de son fils, ils se virent très-considérés sous le règne d'Abou-Hammou. Quand ce prince monta sur le trône, Mohammed-Ibn-Meimoun-Ibn-Melah obtint la place de hadjeb. Son fils, Mohammed-el-Achcar, qui lui succéda, fut

Il faut, sans doute, lire mechnouïhi dans le texte arabe.

remplacé, à son tour, par son fils Ibrahim. Celui-ci eut pour collègue un de ses parents, le nommé Ali-Ibn-Abd-Allah-Ibn-elMelah. Leurs fonctions consistaient à régler l'économie du palais et à paraître aux petites réunions où le sultan s'entretenaient avec ses intimes.

Ce jour-là, les Melah passèrent dans le salon avec le sultan aussitôt que la séance publique fut terminée. Avec eux entrèrent Masoud-Ibn-Berhoum, victime désignée de la conspiration, l'af-franchi Marouf le grand, qui venait d'être élevé au rang de vizir, et Hammouch-Ibn-Abd-Allah-Ibn-Hanina. Marouf était fils d'Abou-'l-Fotouh-Ibn-Anter et membre de la famille de NasrIbn-Ali, émir de la tribu toudjinide des Irnaten1. Abou-Tachefîn ayant su qu'ils y étaient tous rassemblés, pénétra dans la salle malgré la résistance de l'huissier, ses affidés le suivirent, fermèrent la porte et, trouvant le sultan au milieu de la pièce, ils le tuèrent à coups de sabre, sans faire attention aux cris d'AbouTachefin qui reculait devant l'idée d'un pareil forfait. Masoud se réfugia dans un cabinet, mais les assassins enfoncèrent la porte et lui ôtèrent la vie. Les Beni-Melah et presque tous les autres intimes du sultan y trouvèrent la mort et leurs maisons furent livrées au pillage.

Aussitôt après ce forfait, un héraut parcourut les rues de la ville en criant qu'Abou-Serhan-Masoud venait d'assassiner le sultan et qu'Abou-Tachefin avait vengé la mort de son père. Cette annonce fut bien inutile, car tout le monde savait à quoi

s'en tenir.

Mouça - Ibn-Ali-el- Kordi, commandant en chef de l'armée, monta à cheval au premier cri d'alarme, courut au palais et, trouvant la porte fermée, il se livra à mille conjectures. Soupçonnant enfin que Masoud voulait s'emparer du pouvoir, il envoya chercher El-Abbas-Ibn-Yaghmoracen, prévôt des membres de la famille royale, et se présenta avec lui devant le palais; puis, ayant vu passer la héraut et reçu l'assurance que Masoud

1 Le texte arabe imprimé porte, par erreur, Irtaten.

était mort, il renvoya El-Abbas chez lui et se fit introduire auprès d'Abou-Tachefin. Frappé de l'aspect du prince qui était encore attéré par cette catastrophe, il l'exhorta à montrer de la fermeté et à travailler promptement pour faire valoir ses droits.

L'ayant alors placé sur le trône, il administra le serment de fidélité d'abord aux grands de l'empire, en séance privée, puis, au peuple, en séance publique. Ceci se passa vers la fin du mois du premier Djomada de l'an 718 (fin de juillet 1318), On enterra Abou-Hammou dans le cimetière de la famille Yaghmoracen, au Vieux-Château (El-Casr-el-Cadim)'.

Le nouveau sultan commença l'exercice du pouvoir par déporter en Espagne tous les descendants de Yaghmoracen et tous les autres membres de cette famille qui se trouvaient à Tlemcen. Par ce coup d'état, il espérait neutraliser l'influence qu'ils tiraient de leur naissance et prévenir les troubles qu'ils pourraient exciter dans l'empire. Son affranchi Hilal, auquel il accorda la place de hadjeb, se chargea hardiment des devoirs de cet office et parvint à exercer tant d'influence que, par sa seule volonté, il réglait les nominations, les destitutions et les décisions de toute nature. Pour renverser cette haute fortune, il fallut la série d'événements dont nous parlerons plus loin. Yahya-IbnMouça-es-Senouci, l'un des protégés de la famille royale, obtint le gouvernement du pays de Chelif et de toutes les provinces maghraouiennes. Mohammed-Ibn-Selama-Ibn-Ali reçut le commandement du territoire occupé par sa tribu, les Beni-Idlelten, en remplacement de son frère Sâd qui passa dans le Maghreb. Mouça-Ibn-Ali-el-Kordi eut pour sa part les provinces orientales du royaume avec la commission de reprendre le siége de Bougie.

Ces nominations faites, le sultan Abou-Tachefin encouragea

1 On voit encore trois anciens tombeaux à l'Est de Tlemcen, à une demi-lieue de la ville. Les indigènes les regardent comme les tombeaux des rois de Tlemcen. C'est peut-être cette localité que notre auteur veut désigner ici.

T. III.

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