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à fouiller les bois et les jardins, à détruire les moissons et à porter partout le ravage et la dévastation. Accablé par la puissance de son adversaire et cerné de tous les côtés, Abou-Hammou envisagea avec effroi le danger auquel il se voyait exposé et, pour le détourner, il eut recours à un tour d'adresse assez piquant ayant fait passer des sommes considérables aux vizirs du sultan mérinide, il les détourna de leur devoir et obtint leur adhésion à un projet qui avait pour but le remplacement de leur maître par son frère Yaïch qui était toujours dans Tlemcen. Un protocole fut dressé à cet effet et signé par les ministres prévaricateurs. Le sultan Abou-Said, auquel Abou-Hammou s'empressa de transmettre cette pièce, en fut tellement épouvanté qu'il leva le siége précipitamment, étant parfaitement convaincu que tous ses officiers et tous ses serviteurs avaient l'intention de le trahir. Quand il fut rentré dans le Maghreb-el-Acsa, son fils [Abou-Ali-]Omar se mit en rebellion, ce qui empêcha les Mérinides, pendant quelque temps, de songer à Tlemcen.

SIEGE DE BOUGIE PAR LES BENI-ABD-EL-OUAD.

CETTE ENTREPRISE.

MOTIFS DE

La rentrée d'Abou-Saîd en Maghreb permit à Abou-Hammou de tourner son attention vers ses provinces frontières et de s'occuper de Rached-Ibn-Mohammed-Ibn-Thabet-Ibn-Mendil, qui, profitant des derniers désastres, avait quitté le pays des Zouaoua pour rentrer dans le territoire de Chelif et rallier autour de lui les débris de sa tribu. Délivré enfin de sa position dangereuse, Abou-Hammou rassembla une armée, confia le gouvernement de Tlemcen à son fils Abou-Tachefin et marcha contre les insurgés. A son approche, Rached prit la fuite et se réfugia dans Bougie où il avait déjà trouvé un asile lors de sa dernière expulsion du Maghreb central.

Comme les Beni-Bou-Saîd persistaient à reconnaître l'autorité de Rached et s'étaient retranchés dans leur pays de rochers, au milieu des montagnes du Chelif, Abou-Hammou prit la résolu

tion de les attaquer et, s'étant mis à la tête des troupes fournies par ses provinces, il alla dresser son camp sur le bord de la rivière Nehel', vis-à-vis de l'ennemi. Il y construisit alors le château qui porte son nom.

En l'an 744 (4341-2), il avait reçu la visite d'Ibn-Abi-Djebbi, qui venait de faire le pèlerinage de la Mecque et qui le poussa alors très-vivement à s'emparer de Bougie. Il l'écouta volontiers, car l'espoir d'effectuer cette conquête lui était déjà venu par suite d'une communication qu'Abou-Yahya [-Abou-Bekr] lui avait adressée à ce sujet. Nous avons déjà raconté que ce prince hafside, après s'être révolté contre son frère [Abou-'l-Baca-]Khaled et avoir pris, à Constantine, le titre de sultan, s'était attiré un grave échec dans une expédition dirigée contre Bougie 3. Plusieurs grands personnages de la cour d'Abou - Yahya vinrent alors trouver le sultan abd-el-ouadite de la part de leur maître et le prièrent d'aller assiéger Ibn-Khalouf dans cette ville. Ensuite, Abou-Hammou reçut un message par lequel Ibn-Khalouf luimême demandait son appui. Toutes ces circonstances lui firent croire que ses troupes pourraient facilement s'emparer de Bougie. Peu de temps après, Ibn-Khalouf mourut, et son secrétaire, Abd-Allah-Ibn-Hilal, se rendit auprès du même prince et lui recommanda de mettre son projet à exécution. L'affaire d'Alger y porta encore quelque retard; mais, après la réduction de cette forteresse, Abou-Hammou plaça son affranchi Moçameh à la tête d'une armée et lui ordonna de partir avec Ibn-Abi- Djebbi et de mettre le siége devant Bougie. La colonne avait atteint la montagne d'Ez-Zan quand Ibn-Abi-Djebbi mourut, et Moçameh ramena ses troupes bientôt après.

4

L'expédition [du sultan Abou-Said contre Tlemcen] inter

1 Variante: Tehel.

2 Voy. t. 11, p. 442.

3 Voy. t. 1, p. 436.

Voy. t. 1, p. 440.

5 Dans la traduction, nous avons rempli la lacune qu'offrent tous les manuscrits du texte arabe.

rompit les tentatives des Abd-el-Quadites contre Bougie; mais aussitôt qu'Abou-Hammou se fut débarrassé de la présence de cet ennemi redoutable, il alla se poster dans le territoire de Chelif, ainsi que nous l'avons dit au commencement de ce chapitre. Encouragé alors par les représentations d'Othman-IbnSebâ-Ibn-Yahya et de l'émir douaouidien, Othman-Ibn-SebaIbn-Chibl, qui étaient venus pour le pousser à la conquête des provinces occidentales du royaume almohade-hafside, il rassembla une armée et l'envoya contre Bougie sous la conduite de son cousin Masoud-Ibn-Abi-Amer-Berhoum. Il expédia, en même temps, deux autres corps de troupes, le premier commandé par son cousin, Mohammed-Ibn-Youçof, gouverneur de Miliana, et, le second, par son affranchi Moçameh. Ces généraux devaient attaquer Bougie et envahir les pays d'au-delà. Mouça-Ibn-Aliel-Kordi eut aussi le commandement d'une forte colonne et l'ordre de prendre le chemin qui traverse le Désert, en s'y faisant accompagner par les Zoghba et les Arabes-Douaouida.

Toutes ces colonnes partirent pour leur destination et commirent des forfaits épouvantables dans les pays qu'elles traversaient. Arrivées au centre des provinces hafsides, ils envahirent le territoire de Bône et, ayant alors rebroussé chemin, elles se présentèrent devant la ville de Constantine et la tinrent bloquée pendant plusieurs jours. De là, elles allèrent ravager BeniThabet, montagne qui se voit de cette ville; puis elles traversèrent Beni-Baurar et y mirent le feu, après l'avoir saccagé. Tel fut aussi le sort de toutes les autres localités qui se trouvèrent sur leur passage. Des jalousies et des querelles ayant alors éclaté dans le sein de cette armée, les divers corps dont elle se composa partirent séparément pour rejoindre le sultan.

Pendant ce temps, Masoud-Ibn-Berhoun faisait le siége de Bougie et avait construit à Zeffoun1 un château fort pour lui servir

4. Dans la table géographique placée en tête du premier volume de cette traduction, Zeffoun est placé à six lieues E. de Dellis; d'après nos dernières cartes, il y a près de onze lieues entre les deux endroits.

de résidence. De cette position, ses colonnes partaient pour insulter Bougie, pour en parcourir les environs et revenir. Il guerroyait encore de cette façon, quand il apprit la révolte de Mohammed - Ibn-Youçof, nouvelle qui le fit partir avec une grande précipitation.

REVOLTE DE MOHAMMED-IBN-YOUÇOF DANS LE PAYS DES
TOUDJIN.

Mohammed-Ibn-Youçof[, petit-fils de Yaghmoracen.] n'était pas encore rentré de cette expédition, quand Mouça-Ibn-Ali-elKordi, dont le cœur bouillonnait de haine et de colère, se présenta devant le sultan, l'accusa de trahison et le fit destituer du gouvernement de Miliana. Profondément blessé de ce traitement, Mohammed demanda l'autorisation de se rendre à Tlemcen afin de voir l'émir Abou-Tachefin, fils de sa sœur et du sultan. Tout en y donnant son consentement, le monarque abd-el-ouadite fit passer à Abou-Tachefin l'ordre de mettre son visiteur aux arrêts, mais le jeune prince refusa de s'y conformer. Mohammed s'en retourna alors au camp, avec la permission de son neveu, et sollicita en vain une audience du sultan; puis, cédant aux appréhensions que ce traitement lui inspirait, il s'enfuit à Médéa et descendit chez le gouverneur, Youçof-Ibn-Hacen-IbnAzîz, chef toudjinide. Cet officier, qui tenait son autorité du sultan, commença, dit-on, par emprisonner le fugitif; mais, cédant enfin aux instances de ses administrés, que les exactions et les mesures arbitraires de ce monarque avaient accablés outre mesure, il se jeta lui-même dans la révolte. Leur ayant alors fait jurer, ainsi qu'à leurs alliés arabes, de servir MohammedIbn-Youçof comme leur souverain et de lui être fidèles, il se mit à leur tête et marcha vers le Nehel avec son protégé. Le sultan, qui avait établi son camp sur le bord de cette rivière, sortit audevant des insurgés et essuya une telle défaite qu'il dut se réfugier dans Tlemcen. Mohammed-Ibn-Youçof, devenu maître du

pays des Toudjîn et de celui des Maghraoua, prit Miliana pour résidence.

Abou-Hammou parvint, au bout de quelques jours, à organiser une nouvelle armée et à se mettre en campagne. En quittant sa capitale, il expédia à son cousin, Masoud-Ibn-Berhoum, l'ordre de lever le siége de Bougie et de se porter, avec ses troupes, sur les derrières de l'ennemi. Mohammed-Ibn-Youçof chargea aussitôt Youçof-Ibn-Hacen du gouvernement de Milîana et alla se mesurer avec le général abd-el-ouadite. Ayant rencontré cet officier dans le territoire des Melikich, il lui livra bataille, essuya une défaite et courut se réfugier sur la montagne de Mouzaïa. Ibn-Berhoum l'y tint étroitement bloqué pendant quelques jours; mais, ensuite, il dut emmener ses troupes et opérer sa jonction avec le sultan qui assiégeait Miliana. Cette ville fut emportée d'assaut par l'armée combinée, et YouçofIbn-Hacen, qui s'était caché dans un des conduits de la place, fut tiré de sa retraite, amené devant le vainqueur, pardonné et mis en liberté. Le sultan marcha ensuite sur Médéa et, en ayant pris possession, il se fit donner des otages par les populations de toutes ces localités et reprit la route de Tlemcen.

Mohammed-Ibn-Youçof étant encore parvenu à établir son autorité dans la partie du Maghreb central la plus éloignée de la capitale, envoya un acte de foi et hommage au sultan [AbouYahya-]Abou-Bekr; et, en récompense de cette démarche, il reçut du monarque hafside un riche cadeau, les insignes de la royauté, l'autorisation de s'approprier toutes les concessions. que Yaghmoracen avait obtenues en Ifrîkïa 1 et la promesse d'un prompt secours. Il soumit alors le reste du pays des Toudjîn et reçut des Beni-Tigherîn, tribu du Ouancherich, le serment de fidélité.

En 747 (1317-8), le sultan Abou-Hammou conduisit une armée dans ses provinces orientales, occupa Médéa et en accorda le gouvernement à Youçof-Ibn-Hacen, afin d'opposer une bar

1 Voy, ci-devant, p. 346.

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