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A cette même époque, l'empire hafside se trouvait dans l'état le plus florissant: puissance étendue, bien-être général, revenus abondants, population nombreuse, patriotisme, forces militaires, tout contribuait à en rehausser la splendeur et à diriger vers El-Mostancer les regards des peuples voisins, qui tous espéraient trouver en lui un soutien et un vengeur. Pendant que les opprimés accouraient en foule pour implorer sa protection, la gloire et la majesté brillaient autour de lui, et la renommée portait au loin le bruit de ses exploits. Sous lui, la prospérité de Tunis fut portée au plus haut degré et les habitants jouirent d'une aisance sans exemple. On y rechercha le luxe dans les habillements, les équipages, les maisons, les meubles et les tentes; l'on rivalisa d'efforts pour rebâtir, restaurer et améliorer; on avait même atteint à la dernière limite de la perfection quand on entra dans une nouvelle époque, celle de la décadence.

YAHYA-EL-OUATHEC, SURNOMMÉ EL-MAKHLOUÉ LE DÉPOSÉ], EST

PROCLAMÉ SOUVERAIN.

La nuit même de la mort d'El-Mostancer, les Almohades et tous les corps constitués se rendirent auprès de son fils Yahya et lui prêtèrent le serment de fidélité. Le lendemain, jour de P'inauguration solennelle, il prit le titre d'El-Ouathec (qui se fie à Dieu). Le nouveau souverain commença son règne par supprimer une foule d'abus et vider les prisons; il accorda des gratifications aux troupes et aux employés du gouvernement; il fit restaurer les mosquées et abolit plusieurs impôts qui pesaient sur le peuple. Il combla aussi de récompenses les poètes qui s'étaient empressés à célébrer ses louanges. Par son ordre, on mit en liberté Eïça-Ibn-Dawoud et on le rétablit dans la place qu'il avait remplie avant sa détention. Le droit d'administrer le

On a vu, ci-devant, p. 366, qu'Eïça-Ibn-Dawoud était un des sept chefs almohades qui commandaient l'armée musulmane, lors de la descente de Saint-Louis.

serment de fidélité et de conduire les affaires de l'empire avait été accordé à Said-Ibn-Youçof-Ibn-Abi-Hocein, en considération des fonctions importantes qu'il remplissait déjà et de la haute place qu'il occupait dans l'opinion publique. Nous allons raconter de quelle manière eurent lieu la chute de ce ministre et son remplacement par Ibn-el-Habbeber.

DISGRACE D'IBN-ABI~'L-HOCEIN 2.

IBN-EL-HABBEBER EST NOMMÉ

PREMIER MINISTRE.

Abou-'l-Hacen-Yahya - Ibn-Abd-el - Mélek-el-Ghafeki, surnommé Ibn-el-Habbeber, était natif de la province de Murcie, en Andalousie. Il vint en Afrique avec les émigrés qui abandonnèrent l'Espagne orientale lors de la conquête de cette région par les chrétiens. Bien qu'il ne possédait qu'un seul talent, celui de l'écriture, il se fit donner un emploi dans l'administration des provinces et il monta alors de grade en grade jusqu'à ce qu'il entrât comme secrétaire au service d'Ibn-Abi-'l-Hocein. Porté ensuite par son patron à la présidence du conseil d'état, il parvint à y exercer une influence sans bornes. Dans cette position, il entretint des rapports secrets avec El-Ouathec, fils du sultan, et se ménagea ainsi des titres à la faveur de ce prince. Lors de l'avènement d'El-Ouathec, il en devint le conseiller intime et le secrétaire d'état . Contrarié, ensuite, et vexé par l'opposition d'Ibn-Abi-'l-Hocein, qui voyait avec peine ses anciens bienfaits méconnus, il chercha à indisposer le sultan contre lui et tenta la cupidité du monarque par la perspective des richesses amassées par ce ministre. Il y réussit trop bien en l'an 676 (1277-8), dans le sixième mois du règne d'El-Ouathec, Saîd-Ibn

1 Dans le texte arabe, il faut lire oua lam yezel à la place d'oua la yezel.

2 Il ne faut pas confondre ce personnage avec son cousin et homonyme dont notre auteur vient de donner une notice biographique.

3 En arabe : écrivain de l'alalama. Voy. p. 336.

Abi-1-Hocein fut arrêté et conduit à la citadelle, pendant qu'Ibn-Yacîn, Ibn-Seïad-er-Ridjala et d'autres officiers s'emparèrent de son mobilier. L'administration des finances fut confiée à un affranchi d'origine chrétienne nommé Modafè, et Abou-ZeidIbn-Abi-'l-Alam reçut l'ordre d'opérer la confiscation des biens du prisonnier. Par l'emploi de la torture, ce chef almohade arracha de fortes sommes à l'inculpé, et il ne cessa de le mettre à la question jusqu'à ce que ce malheureux eut déclaré n'avoir plus rien. Il lui fit prêter serment à cet effet et, ensuite, par une nouvelle application de la bastonnade, il le contraignit à avouer qu'il avait encore quelques sommes en dépôt chez des individus. qu'il nomma. Quand la rentrée de cet argent fut effectuée, des esclaves d'Ibn-Abi-'l-Hocein déclara que dans la maison de son maître il y avait encore un trésor caché. On alla y faire des fouilles et on découvrit six cent mille pièces d'or. Alors, on n'ajouta plus aucune foi aux paroles du prisonnier et on l'accabla de tourments jusqu'à ce qu'il mourut. Cela eut lieu dans le mois de Dou-'l-Hiddja 676 (avril-mai 1278). On ignore ce que devint le corps du supplicié.

un

Ibn-el-Habbeber se trouvant ainsi seul directeur du gouvernement et maître de l'esprit du sultan, nomma son propre frère, Abou-'l-Ola [-Idrîs], administrateur des impôts de la province de Bougie, et encourut la haine des cheikhs almohades et des courtisans par son orgueil, son esprit despotique et la hauteur avec laquelle il accueillit leurs hommages. Par sa persévérance à suivre cette voie dangereuse, il s'attira des malheurs qui retombèrent sur l'empire.

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ISHAC ARRIVE D'ESPAGNE ET SE FAIT PROCLAMER SULTAN PAR
LES HABITANTS DE BOUGIE.

En l'an 660 (1261-2), le sultan El-Mostancer ôta le gouvernement de Bougie à son frère, l'émir Abou-Hafs, et confia cette

1 Malgré l'autorité des manuscrits et du texte imprimé, il faut lire : oualian ala achyhal Bedjaïa. Voy. le chapitre suivant.

1

charge importante à Abou-Hilal-Eïad-Ibn-Saîd-el-Hintati. Cet officier resta en fonctions jusqu'à sa mort, évènement qui eut lieu à Beni-Oura, en l'an 673. Son fils Mohammed-Ibn-AbiHilal lui succéda dans ce commandement et y fit preuve d'une haute capacité. Lors de la mort d'El-Mostancer et l'avènement d'El-Ouathec, Mohammed envoya au nouveau sultan l'assurance de son dévouement et lui fit porter, par une députation, les hommages du peuple de Bougie. Quelque temps après, l'administration des revenus fournis par cette province fut confiée à [Abou-'1-Ola] Idris par son frère, Ibn-el-Habbeber. Ce fonctionnaire ramassa beaucoup d'argent dans cet emploi et imposa ses volontés au conseil municipal de la ville. Le gouverneur luimême fut indigné de la conduite despotique d'Abou-'1-Ola et, sachant que ce même individu travaillait à le perdre, il tint conseil avec ses officiers et suborna3 quelques-uns de ses affidés afin de prévenir le danger. Le premier jour du mois de Dou-'lCâda 667, Abou-'l-Ola alla, comme d'ordinaire, tenir une séance à la porte du palais quand il fut tué par les conjurés. Sa tête fut séparée du corps et livrée aux insultes de la populace.

Au moment où cet événement se passa, l'émir Abou-Ishac venait d'arriver à Tlemcen. Ayant appris la mort de son frère El-Mostancer, il s'était décidé à passer en Afrique afin de faire valoir ses droits au trône. Il hésita d'abord quelque temps [avant de quitter l'Espagne], mais, ayant enfin traversé la mer, il prit la route de Tlemcen et trouva auprès de Yaghmoracen-IbnZian l'accueil le plus distingué.

Après l'assassinat d'Abou-'l-Ola, les habitants de Bougie et leur gouverneur virent que le seul moyen d'échapper à la vengeance du sultan était de reconnaître la souveraineté d'Abou-Ishac et de le faire prier, par une députation, de venir prendre possessession de la ville. Le prince répondit à leurs vœux et fit son

1 Dans le texte arabe, il faut lire bi-biatihim.

• Lisez: el-mela à la place d'el-melek, dans le texte arabe.

3 Le mot dakhel se trouve dans les manuscrits, mais il faut lire dakhel, à la troisième forme.

entrée à Bougie vers la fin de Dou-'l-Câda de la même année. Les Almohades et les notables de Bougie lui prêtèrent aussitôt le serment de fidélité. Le nouveau sultan choisit pour ministre Mohammed-Ibn-Abi-Hilal et marcha sur Constantine, ville où se trouvait Abd-el-Azîz, fils d'Eïça-Ibn-Dawoud; mais la résistance qu'il y rencontra fut si vigoureuse qu'il prit le parti de s'en éloigner.

L'ÉMIR ABOU-HAFS EMBRASSE LE PARTI DU SULTAN ABOU
ABDICATION D'EL-OUATHEC.

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Quand El-Ouathec et son vizir Ibn-el-Habbeber apprirent l'entrée du sultan Abou-Ishac à Bougie, ils envoyèrent contre lui un corps de troupes commandé par Abou-Hafs, oncle d'ElOuathec, auquel on avait adjoint Abou-Zeid - Ibn-Djamê en qualité de lieutenant. Pendant que cette armée se rendait de Tunis à Bédja', où elle dressa son camp, El-Ouathec donna le gouvernement de Constantine à Abd-el - Azîz-Ibn-Eïça-IbnDawoud parce qu'il était gendre d'Ibn-el-Habbeber. Cet officier étant parvenu à sa destination, défendit la ville contre AbouIshac, ainsi que nous venons de le dire. Ibn-el-Habbeber s'étant alors imaginé qu'Abou-Hafs avait l'intention de se révolter, chercha à semer la division dans l'armée aux ordres de cet émir, et, d'après ses conseils, El-Quathec écrivit à Abou-Hafs et à Ibn-Djamê, recommandant à chacun d'eux de se défaire de l'autre. Les deux officiers se firent mutuellement part de l'ordre qu'ils venaient de recevoir, et, s'étant aussitôt accordés sur la nécessité de reconnaître la souveraineté de l'émir Abou-Yahya, ils envoyèrent leur adhésion à ce prince. El-Ouathec apprit cette nouvelle à Tunis et, voyant que la ville était restée sans garnison et lui-même sans amis, il sentit l'impossibilité de garder le

1 Dans le texte arabe, on a imprimé, par mégarde, Bedjaïa, au lieu de Badja.

Ou beau-père; le mot arabe porte les deux significations.

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