Images de page
PDF
ePub

états d'Othman et rentra ensuite chez lui. En 697 (1297-8), il investit Tlemcen et commença la construction de logements pour ses troupes; mais, au bout de trois mois, il décampa en voyant que la place résistait encore. Pour rentrer dans son pays, il passa par Oudjda, et, voulant relever cette ville de ses ruines1, il y rassembla des ouvriers et laissa son frère, Abou- - Yahya, pour en diriger les travaux.

Les Aulad-Selama, seigneurs du château qui porte leur nom, étaient venus avec leur tribu, les Beni-Idlelten, et avec les autres Toudjînides pour aider Youçof-Ibn-Yacoub dans sa tentative contre Tlemcen; aussi, quand le siége en fut levé, Othman marcha contre eux, soumit leur pays et investit leur forteresse. Il y resta assez longtemps et leur fit beaucoup plus de mal qu'ils ne lui en avaient fait éprouver à Tlemcen.

Pendant son absence, Abou-Yahya-lba-Yacoub, frère de Youçof, s'empara de Nedroma, grâce à la trahison du gouverneur, Zékéria-Ibn-Yakhlof-el-Matghari, seigneur de Taount. Après l'occupation de ces deux villes par les Mérinides, Youçof-IbnYacoub vint rallier ces détachements au reste de son armée et marcha sur Tlemcen.

Othman tenait encore les Aulad-Selama assiégés, quand il apprit cette nouvelle. Sans perdre un instant, il décampa et pressa tellement sa marche qu'il rentra dans Tlemcen peu d'heures avant l'apparition de l'armée mérinide. Le soir même de son arrivée, il vit paraître l'avant-garde de l'ennemi, et, dans le mois de Châban 698 (mai 1299), il se trouva investi de toutes parts.

Le sultan Youçof fit tirer autour de la place une circonvallation dans laquelle il ménagea plusieurs portes, afin de livrer passage aux troupes chargées de l'attaque des remparts. A côté de cette enceinte, il fit bâtir une ville qui devait lui servir de résidence et à laquelle il donna le nom d'El-Mansoura (la triomphante). Il y resta plusieurs années et ne laissa jamais passer un

Voy. p. 357 de ce volume.

jour sans diriger une attaque contre Tlemcen. Pour mettre son temps à profit, il envoya une partie de ses troupes dans le Maghreb central dont elles occupèrent les villes et les forteresses. Le pays des Maghraoua et celui des Toudjîn passèrent ainsi sous sa domination, pendant qu'il tenait Tlemcen étroitement bloqué, ainsi que le lion tient sa proie.

MORT D'OTHMAN-IBN-YAGHMORACEN ET AVÉNEMENT DE SON FILS FIN DU SIEGE DE TLEmcen.

ABOU-ZIAN.

-

Le siége de Tlemcen durait toujours, et les habitants, réduits presqu'à la dernière extrêmité, envisageaient avec résignation le sort qui les attendait, quand Othman, fils de Yaghmoracen, leur fut enlevé par la mort. Cet événement eut lieu en 703 (4303-4), cinquième année du siége. Son fils Abou-Zian-Mohammed lui succéda.

Mon professeur, le très-savant cheikh Mohammed-Ibn-Ibrahîm-el-Abbeli, qui, dans sa jeunesse, avait été intendant de leur palais, m'a fait le récit suivant : «Othman, fils de Yaghmoracen, >> mourut au bain. Il venait d'en éprouver l'influence affaiblis»sante et, voulant se désaltérer, il se fit apporter une tasse de >> lait aigre qu'on lui avait préparé pour boisson. Après l'avoir » bu, il s'endormit et, presqu'aussitôt, il rendit le dernier sou» pir. Nous autres, gens de la maison, nous crûmes qu'il avait » lui-même mêlé du poison dans le lait, pour éviter la honte » d'être vaincu. Alors un eunuque se rendit auprès de la reine, » épouse du défunt et fille du sultan Abou-Ishac, seigneur de » Tunis, fils de l'émir Abou-Zékérïa, fils d'Abd-el-Cuahed, fils » d'Abou-Hafs, et lui apprit ce qui venait d'arriver. Elle entra >> aussitôt dans la salle et, se tenant auprès du mort, elle s'écria » plusieurs fois Nous sommes à Dieu et c'est à lui que nous » devons retourner! Puis, ayant fait fermer toutes les portes et >> mettre les scellés sur les battants, elle envoya chercher ses » deux fils, Abou-Zîan-Mohammed et Abou-Hammou-Mouça. » Après leur avoir annoncé cette triste nouvelle, elle pleura

>> avec eux et fit alors convoquer tous les cheikhs des Beni-Abd>> Ouad. Voulant, toutefois, dissimuler l'étendue du malheur qui » venait de les frapper, elle se borna à leur annoncer que le >> sultan était indisposé. Un des cheikhs se douta du fait et >> répondit, au nom de tous les assistants : Le sultan était avec » nous tantôt, il n'a pas pu tomber malade depuis. S'il est » mort, dites-le nous. Alors, Abou-Hammou lui adressa ces » mots : S'il était mort, que ferais-tu? Le cheikh répondit : » Si nous ne craignions pas votre opposition, nous dirions » qu'Abou-Zian, votre frère aîné, est maintenant notre sultan. » A cette parole, Abou-Hammou quitta sa place, embrassa la >> main de son frère et lui jura fidélité. Tous les cheikhs suivi>> rent cet exemple et prêtèrent le serment sans désemparer. >> Les Beni-Abd-el-Ouad s'empressèrent à saluer leur nouveau >> sultan et, ayant ensuite fait une sortie contre l'ennemi, selon >> leur habitude journalière, ils se battirent avec une telle bra»voure que l'on aurait supposé Othman encore en vie. Youçof>> Ibn-Yacoub apprit, dans son camp, la nouvelle de la mort » d'Othman et il en fut péniblement affecté; mais il éprouva >> surtout un vif étonnement en voyant les Beni-Abd-el Ouad se >> battre avec autant d'ardeur qu'auparavant. >>

Le siége de Tlemcen dura huit ans et trois mois, à compter de l'arrivée de l'ennemi. Jamais aucune population du monde n'eut à souffrir tant de maux que les habitants de Tlemcen. On finit par manger des cadavres, des chats, des rats et même, dit-on, de la chair humaine. On arracha les toitures des maisons poar se procurer du bois à brûler. Le prix des vivres et des grains atteignit un taux énorme, et encore n'en trouvait-on pas facilement. Voici une liste des prix de diverses denrées : 4 berchala, mesure de douze ratls (livres) et demi, de blé valait deux mithcals et demi d'or monnoyé (25 francs)'.

4 bœuf, soixante mithcals (600 fr.).

1 mouton, sept mithcals et demi (75 fr.).

1 Au mithcal ou dinar, on peut assigner la valeur de dix francs. Le dirhem pourrait valoir dix sous.

4 rat de chair de mulet ou d'âne, un huitième de mithcal

(4 fr. 25).

4 ratl de chair de cheval, dix dirhems de petit module, monnaie de Tlemcen [va'eur inconnue].

1 rat de peau de bœuf mort de maladie ou égorgé, trente dirhems (15 fr.).

1 chat, un mithcal et demi (45 fr.).

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

4 chou, trois huitièmes de mithcal (3 fr. 75).

1 laitue, vingt dirhems (10 fr.).

4 rave, quinze dirhems (7 fr. 50).

A faccous ou 4 coth'tha [espèce de melons longs], quarante dirhems (20 fr.).

1 concombre, trois huitièmes de dinar (3 fr. 75).

1 pastèque, trente dirhems (15 fr.).

1 figue ou 1 poire, deux dirhems (1 fr.).

Pendant que les habitants de Tlemcen épuisaient leur argent et leurs forces, Youçof-Ibn-Yacoub était parvenu à porter son royaume au plus haut degré de la puissance. La Mansoura qu'il avait élevée auprès de la ville assiégée et dans laquelle il avait fixé sa demeure s'était beaucoup agrandie; elle jouissait d'une prospérité sans exemple et elle attirait les marchandises et les

1 La quantité n'est pas indiquée, c'était probablement une livre (ratl).

négociants de tous les pays. Les autres rois briguaient l'amitié du souverain mérinide; les Hafsides de Tunis et de Bougie lui envoyaient des ambassades et des cadeaux, même le souverain de l'Egypte et de la Syrie lui expédiait de riches présents. En un mot, il avait atteint une gloire sans pareille.

Dans Tlemcen, au contraire, les Abd-el-Ouad et leur garnison, se voyant sur le point de succomber à la faim et à la misère, avaient pris la résolution de faire une sortie et de mourir les armes à la main 1. Ce fut alors que Dieu, par une grâce extraordinaire, accorda le soulagement de leurs maux: Youçof-1bnYacoub-Ibn-Abd-el-Hack mourut assassiné. Un de ses eunuques noirs s'étant offensé d'une boutade telle que les rois se le permettent quelquefois, souleva le bord de la tente impériale, glissa dans la chambre où le sultan se reposait et l'éventra d'un coup de poignard. Arrêté sur-le-champ, ce misérable fut traîné devant les vizirs et condamné à mort. On le déchira en mille morceaux, de sorte qu'à peine aurait-on pu retrouver même les cordons de ses souliers. Ce fut ainsi que Dieu vint délivrer la famille de Yaghmoracen-Ibn-Zian, les Beni-Abd-el-Ouad et les habitants de Tlemcen: on les aurait pris pour des morts ressuseités de leurs tombeaux. Afin de rappeler le souvenir de cet événement, ils firent inscrire sur leurs monnaies Combien est proche le secours de Dieu (ma acraba ferdja 'llahi)!

Mon professeur, Mohammed-Ibn-Ibrahim-el-Abbeli m'a raconté un fait que je reproduis ici : « Dans la matinée de ce jour » de délivrance, qui était un mercredi, le sultan Abou-Zîan alla » s'asseoir tout seul dans une des chambres du palais. Ayant >> fait appeler Ibn-Haddjaf, gardien de ses magasins de blé, il >> lui demanda combien de greniers et de silos restaient encore » pleins. Sur la réponse de cet officier qui déclara une quantité >> suffisante pour deux jours seulement, il lui recommanda de

1 Dans l'histoire de Tlemcen par le frère de notre auteur, nous lisons que cent vingt mille personnes moururent dans cette ville pendant le siége.

« PrécédentContinuer »