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mérinides adoptèrent les titres de la souveraineté et les insignes de la royauté; pratique naturelle à toutes les dynasties du monde.

Quant à Yaghmoracen et à ses descendants, ils restèrent fidèles au khalife hafside et, par respect pour la dignité de ce monarque, ils évitèrent de prendre le titre de roi. Bien plus, à l'avènement de chaque khalife, ils rédigèrent une déclaration de fidélité et la lui firent porter par une députation composée de leurs fils aînés et de leurs hommes d'état les plus distingués1. Après la mort de l'émir Abou-Zékérïa, quand son fils Mohammed-el-Mostancer monta sur le trône, l'émir Abou-Ishac, frère du nouveau souverain, obtint l'appui des Arabes-Douaouida et se mit en révolte ouverte. Vaincu par El-Mostancer, il se réfugia avec sa famille dans Tlemcen, où Yaghmoracen lui fit l'accueil le plus distingué, et, ensuite, il passa en Espagne avec l'intention de prendre part à la guerre sainte. Ayant appris, en l'an 675 (1277), la mort d'El-Mostancer, il se crut plus digne du trône que tout autre et, deux années plus tard, il débarqua au port de Honein [pour tenter sa fortune].

Yaghmoracen envoya une calvacade magnifique à sa rencontre et le reçut avec de grands honneurs. Se conformant ensuite à l'usage qu'il avait adopté envers les premiers khalifes hafsides, il prêta le serment de fidélité à son hôte et promit de le soutenir et de lui servir de ministre. En retour de son dévouement, il se fit promettre que son fils Othman obtiendrait la main d'une des filles d'Abou-Ishac, princesse élevée dans le pavillon du khalifat.

Vers cette époque, Mohammed - Ibn - Abi - Hilal, gouverneur de Bougie, répudia l'autorité du khalife El-Ouathec et invita

1 Voy. cependant les derniers mots de ce chapitre.

Dans le tome i de cette traduction, p. 377, 1. 47, il faut corriger une faute d'impression et mettre la date de 677 à la place de 667. Relevons une étrange inad vertance de notre auteur qui dit ici : il traversa la mer sur-le-champ et débarqua au port de Honein l'an 677.

l'émir Ishac à venir le trouver sans délai. On peut voir dans notre notice de la dynastie hafside ce qui arriva à ce prince quand il quitta Tlemcen1.

En l'an 681 (1282-3), Yaghmoracen envahit le pays des Maghraoua, soumit les campagnes et les villes de cette contrée et envoya, de là, au khalife Abou-Ishac une députation composée de son fils Abou-Amer-Ibrahîm, ou Berhoum en langue zenatienne, et de plusieurs chefs abd-el-ouadites. L'objet de cette mission était d'obtenir l'accomplissement du mariage déjà projeté et de consolider ainsi l'union des deux familles. Une réception des plus gracieuses les attendit et une forte allocation d'argent leur fut accordée pour leurs frais journaliers. Ibrahîm eut alors l'occasion d'attirer tous les regards par la bravoure qu'il déploya dans la guerre contre Ibn-Abi-Omara3 et de montrer qu'il appartenait à une famille dépositaire de toutes les nobles qualités de la race zenatienne. Comblé de dons et de faveurs, il partit enfin avec la princesse. Aussitôt qu'elle fut arrivée à Tlemcen, Othman l'épousa et procura de cette manière à son palais un trésor inestimable, à son empire, un sujet de gloire, à lui-même et à sa famille, une haute illustration.

En l'an 682, l'émir Abou-Zékérïa, fils de l'émir Abou-Ishac, arriva dans Tlemcen après avoir échappé à la catastrophe qui frappa sa famille à Mermadjenna, lors de la défaite de leur armée par Ibn-Abi-Omara. Son beau-frère, Othman, fils de Yaghmoracen, l'accueillit avec de grands égards, en lui prodiguant les marques d'une vive affection, et la sœur du fugitif lui envoya du palais de nombreux cadeaux et tout ce qui pouvait servir à le consoler. Bientôt après, il y fut rejoint par les anciens serviteurs de la famille royale, ayant à leur tête Abou-'l-HacenMohammed, fils du savant légiste et docteur en traditions, Abou

Voy. t. I, p. 377.

L'auteur aurait pu ajouter et en patois juif aussi.
Le traducteur suit ici la leçon des manuscrits.

Voy. t. п, p. 394.

Bekr-Ibn-Séïd-en Nas-el-Yâmeri. Ces réfugiés ayant obtena la protection de l'empire abd-el-ouadite, invitèrent Abou-Zékérïa à faire une tentative pour ressaisir l'héritage de ses aïeux. Le jeune prince consulta à ce sujet son hôte, Othman, mais il ne put obtenir de lui qu'une réponse peu favorable. En effet, Othman venait de reconnaître la souveraineté de l'homme qui se trouvait alors maître de Tunis, et il lui avait même envoyé ses hommages par une députation, selon la coutume. L'émir AbouZékérïa s'enfuit alors de Tlemcen et chercha un asile auprès de Dawoud-Ibn-Hilal-Ibn-Attaf, émir de la tribu nomade des BeniAmer, branche de celle des Zoghba. Pour le mettre à l'abri de tout danger, ce chef le conduisit chez les Douaouida, tribu d'émirs qui parcouraient en nomades les états hafsides. Atîa-IbnSoleiman-Ibn-Sebâ donna une généreuse hospitalité au jeune prince, ainsi que nous l'avons dit ailleurs 2.

En l'an 684 (4285-6), Abou-Zékérïa réussit, après plusieurs vicissitudes de fortune, à enlever la ville et la province de Bougie à son oncle Abou-Hafs, souverain almohade à Tunis. Voulant alors récompenser les services de Dawoud-Ibn-Attaf, il lui concéda les impôts d'un territoire considérable nommé Aîkdaren et situé auprès d'El-Khamis, sur la rivière de Bougie. Il réduisit ensuite sous son autorité Bône, Constantine, Alger, le Zab et les pays d'au-delà.

Le mariage de sa sœur avec Othman-Ibn-Yaghmoracen l'avait toujours bien disposé pour ce prince et pour ses fils; aussi, en l'an 698 (1298-9), quand Youçof-Ibn-Yacoub mit le siége devant Tlemcen, il s'empressa d'envoyer une armée au secours. des Abd-el-Ouadites. Cette colonne fut taillée en pièces, près de la montagne d'Ez-Zan, par un corps de troupes que le sultan Youçof envoya contre elle sous la conduite de son frère AbouYahya. L'endroit où cette bataille fut livrée porte encore le nom de Merça-'r-Roous 3. Cet événement augmenta l'amitié que le

1 Variante: El-Yaghmori.

Tome 1, p. 400.

3 C'est-à-dire le mouillage ou la station des tétes.

khalife de Tunis portait au sultan des Beni-Merîn; aussi, il ne tarda pas de lui envoyer un présent magnifique et de le faire inviter, par une députation de cheikhs almohades, à mettre le siége devant Bougie. Othman-Ibn-Yaghmoracen se tenait enfermé dans Tlemcen, quand il apprit cette nouvelle; et le mécontentement qu'il en éprouva fut si vif qu'il ordonna la suppression du nom de ce prince dans la prière du vendredi. Depuis ce jour on n'y fait plus le prône au nom du khalife hafside.

MORT DE YAGHMORACEN-IEN-ZÎAN ET AVÉNEMENT DE
SON FILS OTHMAN.

En l'an 681 (1282-3), le sultan Yaghmoracen quitta Tlemcen, après y avoir établi son fils Othman comme lieutenant-général, et, s'étant avancé dans le territoire des Maghraoua, il en soumit tout le pays ouvert et obligea Thabet-Ibn-Mendil à lui remettre. la ville de Ténès. Ayant alors appris que son fils, Abou-AmerBerhoum approchait avec la fille du sultan Abou-Ishac, fiancée d'Othman-Ibn-Yaghmoracen, il s'arrêta en dehors de Milîana pour attendre leur arrivée. S'étant ensuite mis en marche pour Tlemcen, il tomba malade et, parvenu au Chedîouïa, il rendit le dernier soupir. Sa mort eut lieu vers la fin du mois de Dou-'lCâda 681 (fév.-mars 1283).

Abou-Amer cacha cet événement avec soin et fit porter le corps de son père dans une litière fermée par des rideaux, en annonçant que le sultan n'était qu'indisposé. Arrivé à Sig, après avoir traversé le pays des Maghraoua, il cessa de garder le secret et hâta sa marche vers Tlemcen. Son frère Othman, héritier du trône, vint au devant de lui à la tête de sa maison et accueillit

Le texte arabe porte: son frère, erreur qui se trouve dans les manuscrits.

2 Le frère de notre auteur dit que Yaghmoracen mourut sur le bord du Riou. Cette rivière est un peu à l'Est du Chedîouïa.

les hommages de tous les assistants; rentré ensuite dans sa capitale, il reçut des grands et du peuple le serment de fidélité. Son inauguration terminée, il envoya lui-même ses hommages an khalife de Tunis, Abou-Ishac, lequel en témoigna sa haute satisfaction et lui transmit, selon l'usage, un diplôme qui le constituait souverain de Tlemcen.

Othman s'adressa ensuite à Yacoub-Ibn-Abd-el-Hack pour obtenir la paix. En agissant ainsi, il se conforma aux dernières injonctions de son père, Yaghmoracen. A ce sujet, mon professeur, le très-savant Abou-Abd-Allah-Mohammed-Ibn-Ibrahimel-Abbeli 1, ancien intendant du palais, m'a raconté une anecdote que je reproduis ici : « J'ai entendu, dit-il, le sultan AbouHammou-Mouça-Ibn-Othman faire le récit suivant : « Dadda>> Yaghmoracen donna des conseils à Dadda-Othman - dans >> leur langage, le mot dadda est employé comme l'appellation >> respectueuse par excellence. - Sache, mon fils! qu'il nous » est devenu impossible de lutter avec les Beni-Merin depuis » qu'ils ont fondé un puissant empire, subjugué tous les états » occidentaux et occupé Maroc, siége du khalifat. Ils peu» vent maintenant réunir sous leurs drapeaux les contingents » d'une foule de peuples soumis. Quant à moi, j'ai dû les » combattre, afin d'éviter le déshonneur auquel s'expose » l'homme qui fuit son adversaire; déshonneur qui, du reste, » ne saurait l'atteindre. Garde-toi bien d'aller à leur ren>> contre; tiens-toi derrière tes remparts s'ils viennent t'atta» quer, et dirige tes efforts à la conquête des provinces almo» hades [hafsides] qui touchent aux nôtres. Par les troupes » qu'elles te fourniront, tu pourras résister à celles de tes » adversaires; peut-être même, l'une des forteresses orien» tales tombera en ton pouvoir et deviendra le dépôt de tes

» trésors. >>

1 Dans le Journal asiatique de janvier 4814, Autobiographie d'IlnKhaldoun, se trouve une notice de ce docte professeur.

C'est-à-dire Bougie et Constantine.

T. III.

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