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(Suite. Voir les nos 133, 135, 136, 137, 140, 141, 142, 146, 147, 151, 152, 153, 154, 155, 160, 161, 162, 164, 165, 166, 167, 168, 169, 170, 173, 174, 176 et 178.)

Nous ne rechercherons pas maintenant si Ouargla correspond réellement, ainsi que l'ont supposé nos géographes modernes, à la grande ville de la plus haute antiquité, entourée d'arbres et habitée par des nègres de petite taille qui, d'après Hérodote, fut visitée par les cinq Nasamons. Le général Faidherbe a réfuté cette opinion d'une manière qui parait concluante. N'ayant découvert jusqu'ici aucun vestige de l'époque romaine, on a admis aussi que le peuple-roi n'avait pas pénétré jusques-là. On a même assuré, je ne sais d'après quel document, que les Romains n'ont pas dépassé l'oued Djedi, un peu au Sud de Biskra. Serait-ce parce que les constructions séculaires du type bien. connu font défaut? Cela n'aurait rien de concluant, car, au milieu de cette mer de sables, la pierre n'existant point, les postes militaires et autres établissements romains pouvaient n'avoir été construits, comme on le fait aujourd'hui encore, qu'avec les ressources et les matériaux locaux, c'est-à-dire des

blocs gypseux fondant en quelque sorte sous l'action du temps, du soleil et de la pluie, et ne laissant d'autres vestiges que des monticules de plâtras informes, ne révélant rien. Les gens du pays m'ont affirmé cependant qu'il existe à Aïn-Mouça et à BouHadjer, près de Negouça, ainsi que sur un autre point, entre cette dernière ville et Ouargla, de longues murailles encore intacles, mais couvertes de sable (ce qui les aurait conservées), près desquelles on a déterré des poteries et des jarres antiques. Je signale cette particularité à nos touristes désireux d'entreprendre des fouilles et vérifier si la main-d'œuvre de ces vestiges peut être attribuée aux Romains. En expédition, on n'est guère libre de ses mouvements, et cette raison m'a empêché de me livrer moi même à ces intéressantes recherches, qui nous auraient peut-être éclairé sur la pénétration de la domination romaine dans le Sahara. A d'autres donc le soin d'élucider la question. Qu'ils sachent, en outre, à titre de renseignement, que la médaille romaine n'est pas introuvable dans le pays de Ouargla. J'ai pu m'en procurer sur place près d'une douzaine (Constantins et Maximiens). Plusieurs de mes camarades, officiers de la colonne de 1871, cn ont emporté aussi. Nous en avons vu également chez les gens du Souf. Les Romains ayant occupé solidement Ghadamès l'antique Cydamus - pourquoi n'auraient-ils pas poussé jusqu'à Ouargla, moins avancée dans le Sud? Il convient de s'en assurer, et pour clore ce sujet, j'ajouterai qu'à Negouça existe un groupe, nommé les Oulad-Anter, qui se dit descendre des Romains convertis à l'Islamisme. Ils assurent que le petit oratoire dit Djamȧ Tamesguida-el-Aoun est bâti sur les fondations d'une antique église romaine, ayant appartenue à leurs ancêtres.

D'après les généalogistes indigènes, la contrée de Ouargla portait jadis le nom de pays des Sedrata. Or, l'historien Ibn Khaldoun nous apprend que ces Sedrala étaient une branche de la grande famille berbère autochtone des Loua, ou Lioua. Lors de la fondation de Cyrène, c'est-à-dire 630 ans avant J.-C., les Grecs trouvèrent sur les bords du golfe de la Syrte la population indigène des Lioua portant le nom patronymique de .Lioua, son ancêtre, qui devint Libue dans la bouche des Grecs

el plus tard des Romains, et dont nous avons fait Lybie. Des Sedrata, il ne reste que le souvenir - Issedraten et de nom

breux vestiges de centres populeux. C'est le nom de Ouargla, ou Ourdjelan en berbère, qui est resté jusqu'à nos jours. Ouargla, descendant de Ferini, fils de Djana, était de la tribu des Zenata, par conséquent de la même race que les Sedrata-Loua ou Louala, comme les ont appelés les Arabes. Du temps de l'historien Ibn Khaldoun, la tribu des Ouargla était déjà la mieux connue. « Ils n'étaient, dit-il, qu'une faible peuplade habitant la contrée du Midi du Zab, quand ils fondèrent la ville qui porte leur nom. » Elle se composa d'abord de quelques bourgades voisines les unes des autres; mais sa population ayant augmenté, ces villages finirent par se réunir et former une ville considérable. La première invasion arabe n'avait pas atteint directement Ouargla ; mais les soulèvements que les envahisseurs provoquèrent au sein de la race berbère refoulèrent, de ce côté, une foule d'émigrants. Pendant longtemps la population ouarglienne obéit à la famille des Beni-Toudjin, dont l'habile et pacifique administration développa au plus haut point la prospérité de la contrée; le pays qui comprend aujourd'hui les six oasis distinctes de Ouargla, Chott, Adjadja, Ba-Mendil, Rouissat et Negouça, ne formait alors qu'une forêt continue de palmiers, sous les ombrages de laquelle étaient assises un grand nombre de bourgades. Nous avons dit déjà que beaucoup de vestiges confirment cette tradition populaire. Les Beni-Ouargla étaient assez forts, en 937 de notre ère, pour donner asile au sectaire kharedjite Abou-Yezid, surnommé l'homme à l'ane, ne prêchant rien moins que la révolte contre le pouvoir temporel. Abou-Yezid passa une année à Ouargla et s'y fit de nombreux partisans, surtout parmi les groupes Ouahabites-Ibadites résidant dans cette localité. On sait que la formation de ces sectaires remonte à l'époque du fameux arbitrage entre Ali, gendre du Prophète, et Moaouïa se disputant le trône du khalifat, et que des guerres d'extermination ensanglantèrent, dans cette lutte, le monde musulman. Les Ouahabites ou schismatiques, qui ne partageaient pas la règle orthodoxe établie par les Khalifas, ayant été assassinés en majeure partie, les survivants se dispersèrent et pénétrèrent jusqu'en Afrique, où

ils propageaient les croyances de leur secte, désormais surnommée Kharedjite ou sortie de la bonne voie (1). Ces doctrines trouvèrent de nombreux partisans chez les Berbères, qui, exaspérés de voir un peuple étranger s'établir chez eux en maître, accueillirent avec empressement une croyance religieuse qui leur permettait l'insurrection contre leurs conquérants, et la leur recommandait même comme article de foi.

Aussi, lorsqu'en 360 de l'hégire (971-2) se manifesta Eïoubben-Abbas, guerrier nekkarien, beaucoup plus connu par les chroniqueurs sous le nom d'Imam Yagoub, les sectaires kharedjites devinrent, en quelque sorte, les maîtres absolus du pays. Certaines traditions affirment que les Beni-Ouargla, ainsi que les tribus nomades de cette région, déclarèrent alors la guerre aux Ouahabites-Ibadites qui leur portaient ombrage et les expulsèrent non-seulement de leur ville mais encore du Djebel-Ibad et de Krima leurs principaux centres d'habitation (2). Selon certaines traditions, c'est à la suite de cette guerre de persécution, à cause de leurs croyances hétérodoxes, que les Ibadites, obligés de chercher un autre refuge, allèrent fonder les établissements qu'ils occupent encore actuellement et portant le nom collectif de Beni-Mzab. D'autres annalistes croient que leur départ n'eut lieu que plus tard, dans les circonstances que nous allons exposer.

(1) On retrouve les sectaires Ouahabites dans l'Arabie centrale, dans l'Oman, à Zanzibar, dans le Djebel-Nefous, en Tripolitaine. L'ouvrage le plus instructif que nous possédions sur les OuahabitesIbadites africains est la Chronique d'Abou-Zakaria, que M. E. Masqueray a eu la bonne fortune de découvrir et de publier, avec des notes pleines d'érudition et d'éclaircissements pour l'intelligence du lecteur.

(2) Dans la ville de Ouargla, les Ibadites habitaient le quartier actuel des Beni-Ouagguin où se voit encore le minaret de leur mosquée, dite djamâ Azza.

Le nom de Djebel-Ibad est assez caractéristique et n'a besoin d'aucun commentaire; c'est là que serait enterré l'Imam Yagoub, objet de pèlerinages annuels des sectaires Ouahabites de tous pays. Quant à Krima, nom donné à la montagne, il rappelle celui d'une femme célèbre des Sedrata.

La prospérité de Ouargla dura jusqu'en 1052 de notre ère, époque de l'anarchie et des troubles produits en Afrique par la deuxième invasion arabe. Profitant de ces bouleversements, le chef zenatien El-Mostancer Ibn Khazroum s'était jeté sur les états de Nacer, sultan hammadite de la Kalà des Beni-Hammad et aussi de Bougie, qui régnait alors. Le Zenatien avait forcé ce prince à traiter et à lui abandonner le Zab et l'Oued-Rir', quand le jour même de son entrée à Biskra il fut tué, au milieu d'un festin, par les serviteurs d'Arous-ben-Sindi, gouverneur du Zab et tout dévoué au sultan de la Kala. Résolus de se venger, les Zenaliens appelèrent à leur secours la grande tribu arabe des Atbedj, mais le sultan Nacer envoya contre eux son fils Mansour qui, après avoir détruit Ourlal, à huit lieues au Sud de Biskra, dont Ibn Khazroum avait voulu faire sa place d'armes, marcha contre les Zenatiens de l'Oued-Rir' puis contre ceux de Ouargla. L'approche de Mansour coïncidait avec une conflagration générale qui venait d'éclater à Ouargla, ainsi que nous l'avons dit, à la suite d'un meurtre commis par un habitant de Feran sur un homme de Bou-Hadjer. Aussi, quand Mansour apparut à la tête de forces considérables, la population, divisée par la discorde, ne put résister. L'ennemi ne quitta le pays qu'après avoir détruit les villages, massacré la plupart des habitants et surtout les Ouahabites-Ibadites, coupé les palmiers, comblé les sources et renversé la domination des Beni-Toudjin.

Le pays fut lent à se repeupler et ne se releva jamais complètement du coup terrible qui venait de lui être porté. Ouargla fut rebâtie, au Nord-Est des ruines de l'ancienne ville, par les survivants et par une population hétérogène composée de Berbères refoulés par l'invasion arabe, des juifs, des nègres et aussi des Ouahabites-Ihadites. De nouvelles émigrations amenèrent, plus tard, la création ou la restauration des oasis et des centres de population disséminés autour de cette ville. Le plus important de ces centres fut Negouça, qui devait devenir, un jour, la rivale d'Ouargla.

La grande révolte d'Ibn Ghania, qui ne dura pas moins de trente-trois ans et s'étendit du Maroc à la Tripolitaine, causa également de violentes commotions dans les régions sahariennes Revue africaine, 30° année. N° 179 (SEPTEMBRE 1886).

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