Images de page
PDF
ePub

s'étant répandues dans toute la Chrétienté, plusieurs de leurs princes répondirent à l'appel. Dans le nombre se trouvèrent le prince d'Angleterre (Edouard, fils de Henri III)', le prince d'Ecosse (Jean de Bailleul), le prince (duc) de Luxembourg et le roi de Barcelone, Réd Ragon (roi d'Aragon)3. C'est Ibnel-Athir qui nous fournit ces détails.

Ces préparatifs répandirent l'inquiétude par toutes les frontières de l'Islamisme, et (El-Mostancer), le sultan de Tunis, fit amasser des vivres dans les provinces de son empire, afin d'approvisionner les ports de mer. D'après ses ordres, on répara les murailles des villes, on forma des dépôts de grains et on empêcha les marchands chrétiens de pénétrer dans le territoire musulman. Il envoya aussi des ambassadeurs auprès du roi des Français, afin de connaître ses intentions et de lui proposer des conditions de paix assez avantageuses pour arrêter son ardeur guerrière. Pour appuyer leurs négociations, ces envoyés, dit-on, emportèrent avec eux une somme de quatre-vingt mille pièces d'or. Le roi accepta l'argent et leur déclara ensuite que l'expédition serait dirigée contre leur pays. Quand ils redemandèrent l'argent, le roi répondit qu'il ne l'avait pas reçu 5. Pendant qu'ils

Édouard arriva avec les croisés d'Écosse et d'Angleterre, peu de jours après la signature de la paix.

Les manuscrits portent Lourek ou Tourk, altération du mot Lousembourk que les copistes ont mal lu.

3 Jacques, roi d'Aragon, prit la croix; mais le mauvais temps empêcha sa flotte se de rendre à Tunis,

Ibn-el-Athir est l'auteur des Annales de l'Islamisme, grand ouvrage en plusieurs volumes, renfermant les détails les plus précieux sur tout ce qui se rapporte aux dynasties musulmanes. Les chapitres qui traitent des croisades sont de la plus haute importance. A la suite de ma mission littéraire à Constantinople, en 1846, je fus assez heureux de pouvoir rapporter au ministère de l'instruction publique la liste des manuscrits orientaux qui se trouvent dans les grandes bibliothèques de cette ville, et un exemplaire très-ancien de l'ouvrage d'Ibn-el-Athîr. C'en est peut-être le seul complet qui existe. Il est maintenant déposé dans la Bibliothèque impériale de Paris.

* Ibn-Khaldoun rapporte cette anecdote comme un on dit, preuve, de sa part, qu'il avait de la peine à y croire.

le souve

étaient avec lui, il arriva un ambassadeur envoyé par rain d'Egypte. On le présenta au roi des Français, qui l'invita à s'asseoir. L'ambassadeur refusa, et, debout comme il l'était, il récita les vers suivants, d'Ibn-Matrouh, poète du sultan d'Egypte1:

<< Va dire au Français ces paroles d'un moniteur sincère : >> Que Dieu te rétribue d'avoir fait mourir tant de chrétiens, >> adorateurs du Messie!

»Tu vins en Egypte, espérant la subjuguer; tu pensais alors, » tambour bruyant! que le son de nos trompettes ne serait que du vent.

[ocr errors]

>> Le destin te poussa vers une catastrophe qui rendit la terre » trop étroite pour cacher ton désespoir;

>> Et, par ta mauvaise politique, il te fallut déposer tous les >> compagnons dans le sein du tombeau.

>> De soixante-dix mille qu'ils étaient, on n'en voyait plus que >> des morts et des prisonniers criblés de blessures.

» C'est Dieu qui t'inspira un pareil projet, afin de délivrer le » Messie de vos importunités.

[ocr errors]

» Si le pape y donna son approbation, et souvent les con>>seils d'un ami portent malheur,

>> Garde-le pour être ton oracle! il sera pour toi un meilleur » devin que Chick ou Satih 2.

>> Annonce aux Français, s'ils se décident à y retourner pour » venger leur affront ou commettre des actes indignes,

>> Que la maison de Locman est encore prête; que les chaînes » et le taouachi Sabîh s'y trouvent encore ! »

La maison de Locman était le nom d'un endroit, à Alexandrie, dans lequel on emprisonna le roi de France, et Sabîh était la personne chargée de le garder. Le mot taouachi est employé par les habitants de l'Egypte dans le sens d'eunuque.

1 Cette anecdote est racontée par plusieurs historiens musulmans; mais, présentée de la manière qu'lho-Khaldoun la rapporte, elle est indigne de foi.

Deux devins qui prédirent, dit-on, la naissance de Mahomet.

La récitation de ce morceau ne servit qu'à accroître l'arrogance du roi il ne donna aucune satisfaction aux ambassadeurs et leur déclara même son intention de rompre le traité et d'atta quer Tunis, parce qu'il venait de reconnaître que le gouvernement de cet état avait plusieurs fois violé ses engagements.

Le même jour, les ambassadeurs des diverses nations reçurent leur congé, et ceux du sultan de Tunis partirent pour informer leur maître de la position des choses.

Le roi, ayant rassemblé ses troupes, s'embarqua avec elles et mit à la voile le dernier jour de Dou'l-Câda 668. Il rallia le reste de la flotte en Sicile, dit-on, ou en Sardaigne. En partant de là, il indiqua pour rendez-vous la rade de Tunis.

Le sultan, de son côté, ordonna à ses sujets de se préparer pour recevoir l'ennemi, et de prendre position dans tous les endroits de leur voisinage où un débarquement pourrait s'effectuer. Les galères qu'il envoya à la découverte ne rapportèrent aucune nouvelle, et plusieurs jours s'étaient écoulés quand la flotte ennemie se montra et vint mouiller au port de Carthage. Le sultan réunit aussitôt plusieurs hommes d'expérience, tant almohades qu'andalousiens, et délibéra avec eux sur la question de savoir s'il serait mieux de laisser l'ennemi effectuer son déharquement ou de s'y opposer. Les uns émirent l'avis qu'il fallait l'en empêcher; qu'alors, après avoir épuisé ses vivres et son eau, il se verrait dans la nécessité de mettre à la voile et de s'en aller. Les autres repoussèrent cet avis, par la considération que ce serait éloigner l'ennemi d'un mouillage voisin d'une grande capitale, ayant une forte garnison et bien approvisionnée, et lui permettre d'aller surprendre et occuper quelqu'autre ville

Cette date répond 22 juillet 1270; mais il est certain que la flotte de Saint-Louis mit à la voile le 4 juillet de cette année.

* Ce fut en Sardaigne, dans la rade de Cagliari, que la flotte jeta l'ancre.

3 Dans le texte arabe, il faut lire aïnoho feraraho (son aspect fut l'indication de son caractère). Expression proverbiale qui se trouve indiquée dans les dictionnaires sous la racine ferr.

de la côte, d'où on aurait de la peine à le chasser. Le sultan approuva ce dernier avis et laissa opérer le débarquement. L'ennemi put ainsi prendre terre sur la côte de Carthage, tandis que le rivage de Radès [à l'autre côté du lac de Tunis] était bien gardé on y comptait plus de quatre mille cavaliers, tant du corps des Maures-Espagnols (émigrés) que des volontaires, et tous sous les ordres de Mohammed-Ibn-Abi-'l-Hocein, premier ministre de l'empire.

Mon père m'a raconté qu'il avait appris du sien que le nombre des chrétiens débarqués, tant officiers que soldats, dépassait six mille cavaliers et trente mille fantassins. Leur flotte se composait de trois cents navires, les uns grands, les autres petits. Il y avait sept grands princes, dont nous pouvons nommer les suivants : le roi Français, Carl (Charles d'Anjou), seigneur de la Sicile et des Iles, la chrétienne appelée Réna (la reine), qui était la femme du roi, et le seigneur de la Grande-Terre 3.

La plupart de nos historiens s'imaginent que ces princes étaient souverains indépendants, à l'époque où ils se réunirent pour attaquer Tunis; mais c'est là une erreur: il n'y avait qu'un seul roi, celui de la France. Il est vrai que ses frères et ses nobles comptaient tous pour rois, à cause de leur grande puissance.

Ainsi que nous l'avons dit, les troupes chrétiennes débarquèrent auprès de l'ancienne ville de Carthage, dont les murailles étaient encore debout, et campèrent dans l'intérieur de l'enceinte. On ferma les brèches des murailles avec des planches de bois; on y rétablit les crénaux et on entoura le tout d'un fossé profond.

Charles arriva à Carthage après la mort de son frère.

* Le grand-père de notre auteur s'est trompé : la reine Marguerite, femme de Saint-Louis, resta en France. C'est probablement Isabelle, reine de Navarre et fille de Saint-Louis, dont il est question ici.

* En arabe El-Berr-el-Kebir. Le géographe Abou-'l-Fedâ emploie ce mot pour désigner le Midi de la France. Ce serait donc le comte de Poitiers et de Toulouse, frère de Saint-Louis, que notre historien aura voulu désigner.

Le sultan eut alors à regretter son imprévoyance, d'abord, en laissant subsister les murs de Carthage; puis, en permettant à l'ennemi de débarquer.

Pendant l'espace de six mois, le roi français et ses troupes ne cessèrent de harceler la ville de Tunis : la flotte leur apportait de la Sicile et du continent (européen) des renforts, des armes et des vivres.

Une troupe d'Arabes, conduits par quelques musulmans [de la ville], ayant passé le lac [de Tunis] par un endroit guéable, parvint à tromper la vigilance de l'ennemi et à lui enlever quelque butin. Les Français s'en étant aperçus, firent garder le lac par des galères remplies d'archers, de sorte que le passage du gué devint impossible.

Des officiers, envoyés par le sultan dans toutes les provinces de l'empire, lui amenèrent de nombreux renforts. Abou-Hilal, gouverneur de Bougie, arriva à la tête d'une armée composée d'Arabes nomades et de Berbères appartenant aux tribus de Sedouîkich, d'Oulhaça et de Hoouara. Les rois zenatiens du Maghreb expédièrent des troupes au secours de Tunis, et Mohammed-Ibn-Abd-el-Caouï y envoya son fils Zian avec les guerriers de la tribu des Toudjin.

Le sultan sortit alors de la ville, et ayant dressé son camp, il plaça ses troupes soldées et ses volontaires sous les ordres de sept chefs almohades, dont voici les noms : Ismaïl-Ibn-AbiGueldacen, Eïça-Ibn-Daououd, Yahya-Ibn-Abi-Bekr, YahyaIbn-Saleh, Abou-Hilal-Eïad, seigneur de Bougie, MohammedIbn-Abi-'l-Hocein et Mohammed-Ibn-Obbou. Le commandement en chef fut déféré à Yahya-Ibn-Saleh et à Yahya-Ibn-Abi-Bekr. Le nombre des musulmans assemblés sous les armes dépassait

Notre auteur se trompe; le roi débarqua à Carthage le 18 juillet; il y mourut le 25 août, et la paix fut conclue le 31 octobre. Les hostilités avaient donc duré trois mois et treize jours.

Le traité de psix dont il sera question, ci-après, p. 368, fut négocié par Mohammed-Ibn-Abd-el-Caouï lui-même, preuve qu'il s'était aussi rendu à Tunis. Dans le chapitre sur les Beni-Toudjin, t. iv de cet ouvrage, notre auteur le dit positivement.

« PrécédentContinuer »