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l'ordre à Ibn-el-Abbar de rester chez lui aux arrêts; mais, plus tard, ayant reçu une pièce de vers intitulée les secrétaires pardonnés (Eitab-el-Kottab), dans laquelle cet écrivain cita les noms de tous les secrétaires des temps anciens qui avaient été réprimandés et pardonnés, il voulut bien oublier le passé et réintégrer l'auteur dans la place qu'il avait perdue. L'intercession d'El-Mostancer auprès de son père, contribua beaucoup au rappel du poète.

Après la mort d'Abou-Zékérïa, son successeur El-Mostancer fit à Ibn-el-Abbar l'honneur de l'inscrire sur la liste des Andalousiens et Tunisiens qui formaient sa société intime. Dans ces réunions, le littérateur espagnol montra un caractère peu facile et un amour-propre qui passait toutes les bornes : quand on discutait une question de littérature, il oubliait les égards dus au sultan pour le plaisir de le reprendre à chaque instant et de traiter ses opinions avec mépris. Cette conduite imprudente et les éloges outrés qu'il donnait, à tout propos, au pays et au gouvernement de l'Espagne finirent par indisposer Ei-Mostancer et faire réussir les intrigues d'Ibn-Abi-'l-Hocein, qui cherchait à le perdre.

Depuis longtemps ce vizir nourissait une haine profonde contre lui à cause d'une circonstance que nous devons raconter ici. Quand Ibn-el-Abbar débarqua à Benzert, en venant de Valence, il écrivit à ce ministre afin de lui donner connaissance du but de sa mission, et sur le dos de la lettre, il mit ces mots en forme d'adresse: Au fils de feu Abou-'l-Hocein. On lui fit aussitôt observer qu'il venait de se tromper, puisqu'Abou-Hocein vivait encore; mais il y répondit. y répondit en ricanant : « C'est un personnage » bien obscure que son père, vu que le public ignore s'il est ➤ vivant ou mort! » Cette parole fut rapportée à Ibn-Abi-'lHocein qui en fut vivement blessé et qui, dès-lors, ne cessa de travailler contre l'auteur jusqu'à ce qu'il décida le sultan à le reléguer dans' Bougie.

Quelque temps après, Ibn-el-Abbar rentra en grâce, et ayant

Dans le texte arabe, il faut lire ila à la place de min.

été admis dans la société du sultan comme auparavant, il reprit son habitude de lancer des sarcasmes contre son patron. Un soir qu'il y était question du jour de la naissance d'El-Ouathec [Gils du sultan], le père, auquel on s'adressa pour le savoir, répondit qu'il n'en avait aucun souvenir. Ibn-el-Abbar saisit aussitôt l'occasion de vexer le sultan [en se montrant plus savant que lui]; il fit connaître non-seulement la date de cet événement mais aussi l'horoscope qu'il en avait tiré. Ce trait fut d'autant plus mal-adroit que, depuis quelque temps, ses ennemis l'avaient dépeint comme un homme qui se mêlait d'astrologie, afin d'attirer quelque malheur sur l'empire. Le sultan céda enfin à ses soupçons et le fit arrêter sur le champ. Tous les écrits que l'on put découvrir dans la maison du prisonnier furent apportés au palais, et parmi ces pièces se trouva dit-on, une feuille de papier sur laquelle était inscrit un poème qui commençait ainsi :

A Tunis domine un sot tyran,

Qu'à tort on intitule khalife.

Le sultan fut tellement courroucé à la lecture de ce morceau, qu'il en fit mettre l'auteur à la torture et achever à coups de lance. Ceci se passa vers le milieu de Moharrem 638 (janvier 1260). Le cadavre de ce malheureux, ses livres, ses poésies et ses recueils de notes écrites sous la dictée de ses professeurs furent brûlés ensemble sur le même bûcher.

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Abou-'l-Abbas-el-Luliani naquit à El-Mehdia, ville dont son père était gouverneur, mais sa famille habitait un village voisin, appelé Lulîana. S'étant appliqué à l'étude du texte coranique et à la transcription de livres, il devint très-habile dans les sciences philologiques, et, après avoir étudié la jurisprudence [musulmane] sous un natif de Barca nommé Abou-Zékérïa, il se livra à l'examen des doctrines enseignées par les [ anciens ] philosophes. Obligé d'accepter une place de collecteur d'impôts afin d'avoir

de quoi vivre, il s'exposa à être accusé de malversation, et ne put se tirer d'affaire qu'en payant une forte amende. Cet échec ne nuisit pas à son avancement, et il finit par devenir l'associé [et banquier] de tous les fonctionnaires que le gouvernement employait dans l'administration des provinces. Une grande habilité dans la conduite des affaires et un talent particulier de faire valoir l'argent lui avaient procuré cette position. Il travailla ensuite à décréditer ses associés afin de s'emparer de leurs places; mais, comme la plupart d'entre eux étaient les créatures d'IbnAbi-'l-Hocein, il s'attira l'inimitié de ce ministre. Les affranchis du sultan et les intimes du palais furent endoctrinés par Ibn-'lHocein et se mirent à indisposer leur maître contre El-Luliani auquel ils attribuaient l'intention de soulever la ville d'El-Mehdïa. Ces insinuations avaient déjà produit un certain effet, quand le sultan dit un jour à Abou-'l-Abbas-el-Ghassani qui était venu le voir: « Donne-moi un hémistiche pour appareiller celui-ci : C'est aujourd'hui un jour de pluie;

El-Ghassani répondit sur le champ :

Faisons que le mal s'enfuie.

Le sultan comprit l'allusion et lui dit de continuer. Alors ElGhassani prononça ces lignes :

Il

y a neuf ans, cette année-ci, Qu'eut lieu l'affaire de Djouheri', Et elle reparaît aujourd'hui.

Par ces paroles il voulait porter le sultan à des mesures extrêmes contre El-Luliani, et il y réussit. On arrêta ce fonctionnaire ainsi que son ennemi déclaré Ibn-el-Attar, autre employé du gouver→ nement, et on confia leur interrogatoire à Abou-Zeid-Ibn-Yaghmor. Cet agent leur arracha de fortes sommes d'argent par l'emploi de la torture; mais il s'acharna surtout contre El-Luliani.

i

▲ Voy., ci-devant, pag. 312.

Tant que cette enquête dura, El-Luliani continua à se rendre régulièrement à son bureau. Alors on fit répandre le bruit qu'il allait s'enfuir en Sicile, et sur l'aveu d'un de ses affidés, on décida sa mort. Livré à Hilal, chef du corps des affranchis européens, il mourut sous la bastonnade. Son cadavre fut exposé aux insultes de la populace qui finit par en détacher la tête. Les parents et amis de ce malheureux furent enveloppés dans la proscription et périrent tous par l'ordre du sultan.

ABOU-ALI-EL-MILIANI EST CHASSE DE MILIANA PAR L'ÉMIR
ABOU-HAFS.

Après la prise de Tlemcen par Abou-Zékérïa et la soumission de Yahgmoracen, tout le Maghreb central, depuis la province de Tlemcen inclusivement jusqu'à Bougie, obéissait à la domination hafside. A peine, cependant, l'autorité du sultan eut-elle cessé de s'y faire sentir que les tribus d'origine zenatienne, populations fières et puissantes, commencèrent encore à se faire la guerre. Or, le sultan, en partageant les territoires du Maghreb centre ces nomades, avait donné Miliana aux Beni-Ourcîfan, peuplade maghraouienne. A cette époque le jurisconsulte et traditionniste Abou- 'l-Abbas-el-Miliani, homme aussi distingué par le savoir que par ses mœurs et sa piété, se trouvait dans cette ville. Les docteurs les plus habiles venaient de tous les côtés pour entendre ses leçons, et le conseil administratif de Milîana l'avait choisi pour son président. Abou-Ali, son fils, était d'un caractère tout différent rempli d'ambition, sans posséder une seule bonne qualité pour le lui faire pardonner, il se laissa entraîner par la fougue de la jeunesse et conçut l'espoir de se rendre indépendant. Cela lui semblait d'autant plus facile qu'il voyait l'autorité hafside en Maghreb s'affaiblir de jour en jour et la guerre se prolonger entre les Maghraoua et Yaghmoracen, leur voisin et adversaire déclaré. Cet état de choses le décida à répudier la souveraineté des Hafsides et à se faire proclamer seigneur de Miliana.

Le sultan, ayant appris la nouvelle de cette insurrection, plaça son frère, l'émir Abou-Hafs, à la tête d'une division de troupes composée des divers corps de la milice, et lui donna pour collè→ gues l'émir Abou-Zeid-Ibn-Djamê et Don Henri, frère du roi Alphonse. Cette armée quitta Tunis l'an 659 (1264), et, à la suite d'une marche très-rapide, elle arriva sous les murs de Miliana, y mit le siége et l'emporta d'assaut. Abou-Ali réussit à s'évader et à trouver un asile chez les Beni-Yacoub, fraction de la tribu d'Attaf, l'une des grandes branches de la tribu des Zoghba. Ses protecteurs le firent passer dans le Maghreb-elAcsa où il resta pendant quelque temps. Plus loin, nous aurons encore l'occasion de parler de lui 2.

Après avoir fait son entrée dans Miliana et rétabli l'ordre dans les pays voisins, Abou-Hafs donna le commandement de la ville à [Mohammed-]Ibn-Mendîl, émir des Maghraoua. Cet officier y maintint l'influence des hafsides, et, de même que les autres chefs de sa tribu, auxquels le sultan avait accordé des commandements, il se conduisit en serviteur dévoué.

Abou-Hafs repartit alors pour Tunis et, pendant qu'il était en marche, reçut de son père le brevet de sa nomination an gouvernement de Bougie. Le plaisir d'être auprès du sultan l'emporta sur l'ambition, et, à force d'instances, cet émir parvint à s'y faire remplacer par le cheikh Abou-Hilal-Eïad-Ibn-Said-elHintati. Rentré dans la capitale en l'an 664 (1262-3), il monta, longtemps après, sur le trône. Le lendemain de son arrivée, il eut la douleur de perdre son frère germain, Abou-Bekr-IbnAbi-Zékérïa. La famille royale et le public furent vivement affligés de ce malheur, et le sultan lui-même présida aux obsèques du défunt.

Voy, ci-devant, p. 347.

2 Ici l'auteur renvoie au chapitre sur les Aulad-Mendil, qui se trouve dans le troisième volume de cette traduction. Il parle encore d'AbouAli dans le chapitre sur El-Miliani qui se trouve, ci-après, dans l'histoire des Mérinides, règne du sultan Abou-Yacoub-Youçof.

T. II.

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