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la part d'un roi des Noirs, souverain de Kanem et seigneur de Bornou, ville située sur le méridien de Tripoli. Parmi les of frandes que cette députation nègre lui remit, se trouva une giraffe, animal dont les caractères extérieurs sont des plus disparates. Les habitants de Tunis coururent en foule pour la voir, de sorte que la plaine regorgeait de monde, et ils ressentirent un étonnement profond à l'aspect d'un quadrupède dont la forme si étrange rappelait, à la fois, les marques distinctives de plusieurs animaux de diverses espèces.

En l'an 658 (1260), le prince Don-Henri, qui s'était brouillé avec son frère, le roi de Castille, vint à Tunis. Le sultan le combla d'égards et de dons; il l'établit à sa cour de la manière la plus magnifique et lui prodigua ces marques de considération que l'on réserve pour les souverains et les personnages du plus haut rang'.

Cette suite d'ambassades contribua beaucoup à étendre la renommée et l'influence de l'empire.

MORT D'IBN-EL-ABBAR.

Abou-Abd-Allah-Ibn-Abbar, homme d'un vaste savoir et membre du corps des cheikhs de Valence, était profondément versé dans la connaissance de la sonna et de la langue arabe; il avait, de plus, obtenu une grande réputation comme rédacteur de lettres [officielles] et comme poète. A Valence, il avait servi, en qualité de secrétaire, le cîd Abou-Abd-Allah, fils d'Abou-Hafs, fils d'Abd-el-Moumen; et, plus tard, il remplit les mêmes fonctions auprès du cîd Abou-Zeid, fils du précédent. II l'accompagna même chez les chrétiens; mais, quand il le vit

↑ En l'an 1259, l'infant Don Henri prit les armes contre son frère Alphonse x, roi de Castille. Il essuya une défaite et, ne pouvant trouver un asile en Espagne, il se retira auprès du roi de Tunis qu'il servit pendant sept ans. (Ferreras, t. iv, pp. 235, 256.)

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Voy. t. 1, p. 82, note.

embrasser la religion de ce peuple, il aima mieux le quitter que suivre un tel exemple. Ensuite, il devint secrétaire de Zian-IbnMerdenîch, et, à l'époque où le roi [d'Aragon, Don Jayme] vint assiéger Valence, il partit avec la députation qui devait présenter à l'émir Abou-Zékérïa le document par lequel Zian et les habitants de cette ville reconnaissaient la souveraineté de l'empire hafside. Ayant été alors présenté au sultan, il lui récita le poème si bien connu dans lequel il implore l'appui de ce monarque contre l'ennemi. Abou-Zékérïa y répondit par l'envoi de plusieurs navires chargés de vivres, d'argent et d'objets d'habillement.

Voyant que la ville de Valence allait succomber, Ibn-elAbbar repartit avec sa famille pour Tunis où il comptait être bien reçu. Accueilli avec faveur par le sultan et nommé écrivain de l'alama, il fut chargé de tracer le paraphe impérial en tête de toutes les lettres et écrits émanant du souverain.

Quelque temps après, le même prince, qui préférait l'écriture de l'Orient à celle de l'Occident, résolut de confier cet emploi à Abou-'l-Abbas-el-Ghassani, qui écrivait parfaitement bien le paraphe en caractères orientaux. Ibn-el-Abbar ressentit une vive indignation, quand on vint lui annoncer que le sultan, tout en lui laissant la rédaction des pièces officielles, exigeait que la place du paraphe y fût laissée en blanc, afin d'être remplie par une autre main; et, sans avoir égard à cet ordre, il profita de sa position comme seul rédacteur autorisé, pour tracer celte marque comme auparavant. Aux remontrances qu'on lui adressa à ce sujet, il répondit par des paroles de colère et, perdant toute retenue, il jeta sa piume et prononça le vers suivant, dont il faisait l'application à lui-même :

Recherche l'honneur, fût-il dans l'enfer ;

Fuis le déshonneur, fût-il dans le ciel.

Le sultan, auquel on eu eut soin de raconter cette scène, fit donner

1 Herreras place la conversion de ce prince en l'an 1230.

2 Voy., ci-devant, p. 307.

l'ordre à Ibn-el-Abbar de rester chez lui aux arrêts; mais, plus tard, ayant reçu une pièce de vers intitulée les secrétaires pardonnés (Eitab-el-Kottab), dans laquelle cet écrivain cita les noms de tous les secrétaires des temps anciens qui avaient été réprimandés et pardonnés, il voulut bien oublier le passé et réintégrer l'auteur dans la place qu'il avait perdue. L'intercession d'El-Mostancer auprès de son père, contribua beaucoup au rappel du poète.

Après la mort d'Abou-Zékérïa, son successeur El-Mostaucer fit à Ibn-el-Abbar l'honneur de l'inscrire sur la liste des Andalousiens et Tunisiens qui formaient sa société intime. Dans ces réunions, le littérateur espagnol montra un caractère peu facile et un amour-propre qui passait toutes les bornes quand on discutait une question de littérature, il oubliait les égards dus au sultan pour le plaisir de le reprendre à chaque instant et de traiter ses opinions avec mépris. Cette conduite imprudente et les éloges outrés qu'il donnait, à tout propos, au pays et au gouvernement de l'Espagne finirent par indisposer El-Mostancer et faire réussir les intrigues d'Ibn-Abi-'l-Hocein, qui cherchait à le perdre.

Depuis longtemps ce vizir nourissait une haine profonde contre lui à cause d'une circonstance que nous devons raconter ici. Quand Ibn-el-Abbar débarqua à Benzert, en venant de Valence, il écrivit à ce ministre afin de lui donner connaissance du but de sa mission, et sur le dos de la lettre, il mit ces mots en forme d'adresse: Au fils de feu Abou-'l-Hocein. On lui fit aussitôt observer qu'il venait de se tromper, puisqu'Abou-Hocein vivait encore; mais il y répondit en ricanant : « C'est un personnage >> bien obscure que son père, vu que le public ignore s'il est > vivant ou mort! » Cette parole fut rapportée à Ibn-Abi-'lHocein qui en fut vivement blessé et qui, dès-lors, ne cessa de travailler contre l'auteur jusqu'à ce qu'il décida le sultan à le reléguer dans Bougie.

Quelque temps après, Ibn-el-Abbar rentra en grâce, et ayant

Dans le texte arabe, il faut lire ila à la place de min.

été admis dans la société du sultan comme auparavant, il reprit son habitude de lancer des sarcasmes contre son patron. Un soir qu'il y était question du jour de la naissance d'El-Ouathec [fils du sultan], le père, auquel on s'adressa pour le savoir, répondit qu'il n'en avait aucun souvenir. Ibn-el-Abbar saisit aussitôt l'occasion de vexer le sultan [en se montrant plus savant que lui]; il fit connaître non-seulement la date de cet événement mais aussi l'horoscope qu'il en avait tiré. Ce trait fut d'autant plus mal-adroit que, depuis quelque temps, ses ennemis l'avaient dépeint comme un homme qui se mêlait d'astrologie, afin d'attirer quelque malheur sur l'empire. Le sultan céda enfin à ses soupçons et le fit arrêter sur le champ. Tous les écrits que l'on put découvrir dans la maison du prisonnier furent apportés au palais, et parmi ces pièces se trouva dit-on, une feuille de papier sur laquelle était inscrit un poème qui commençait ainsi :

A Tunis domine un sot tyran,

Qu'à tort on intitule khalife.

Le sultan fut tellement courroucé à la lecture de ce morceau, qu'il en fit mettre l'auteur à la torture et achever à coups de lance. Ceci se passa vers le milieu de Moharrem 638 (janvier 4260). Le cadavre de ce malheureux, ses livres, ses poésies et ses recueils de notes écrites sous la dictée de ses professeurs furent brûlés ensemble sur le même bûcher.

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Abou-'l-Abbas-el-Lulîani naquit à El-Mehdia, ville dont son père était gouverneur, mais sa famille habitait un village voisin, appelé Luliana. S'étant appliqué à l'étude du texte coranique et à la transcription de livres, il devint très-habile dans les sciences philologiques, et, après avoir étudié la jurisprudence [musulmane] sous un natif de Barca nommé Abou-Zékérïa, il se livra à l'examen des doctrines enseignées par les [ anciens ] philosophes. Obligé d'accepter une place de collecteur d'impôts afin d'avoir

de quoi vivre, il s'exposa à être accusé de malversation, et ne put se tirer d'affaire qu'en payant une forte amende. Cet échec ne nuisit pas à son avancement, et il finit par devenir l'associé [et banquier] de tous les fonctionnaires que le gouvernement employait dans l'administration des provinces. Une grande habilité dans la conduite des affaires et un talent particulier de faire valoir l'argent lui avaient procuré cette position. Il travailla ensuite à décréditer ses associés afin de s'emparer de leurs places; mais, comme la plupart d'entre eux étaient les créatures d'IbnAbi-'l-Hocein, il s'attira l'inimitié de ce ministre. Les affranchis du sultan et les intimes du palais furent endoctrinés par Ibn-'lHocein et se mirent à indisposer leur maître contre El-Luliani auquel ils attribuaient l'intention de soulever la ville d'El-Mehdïa. Ces insinuations avaient déjà produit un certain effet, quand le sultan dit un jour à Abou-'l-Abbas-el-Ghassani qui était venu le voir « Donne-moi un hémistiche pour appareiller celui-ci : C'est aujourd'hui un jour de pluie;

El-Ghassani répondit sur le champ :

Faisons que le mal s'enfuie.

Le sultan comprit l'allusion et lui dit de continuer. Alors ElGhassani prononça ces lignes :

Il y a neuf ans, cette année-ci,

Qu'eut lieu l'affaire de Djouheri ',

Et elle reparait aujourd'hui.

Par ces paroles il voulait porter le sultan à des mesures extrêmes contre El-Luliani, et il y réussit. On arrêta ce fonctionnaire ainsi que son ennemi déclaré Ibn-el-Attar, autre employé du gouvernement, et on confia leur interrogatoire à Abou-Zeid-Ibn-Yaghmor. Cet agent leur arracha de fortes sommes d'argent par l'emploi de la torture; mais il s'acharna surtout contre El-Lulîani.

Voy., ci-devant, pag. 312.

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