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briques et en tuiles, s'élever et s'agrandir. Les enfants de Yaghmoracen-Ibr-Zian l'ayant pris pour siége de leur empire, y bâtirent de beaux palais et des caravansérails pour les voyageurs; ils y plantèrent des jardins et des parcs où des ruisseaux habilement dirigés entretenaient la fraîcheur. Devenue ainsi la ville la plus importante du Maghreb, Tlemcen attira des visiteurs même des pays les plus éloignés, on y cultiva avec succès les sciences et les arts; on y vit naître des savants et des hommes illustres dont la réputation s'étendit aux autres pays; en un mot, il prit l'aspect d'une vraie capitale musulmane, siége d'un khali at.

YAGHHORACEN-IBN-ZIAN FONDE A TLEMCEN UN EMPIRE DONT LA SOUVERAINETÉ SE PERPÉTUE DANS SA FAMILLE.

Yaghmoracen, fils de Zîan, fils de Thabet, fils de Mohammed', était l'homme le plus brave, le plus redouté, le plus honoré de la famille des Abd-el-Ouad. Personne mieux que lui ne savait soigner les intérêts d'un peuple, soutenir le poids d'un royaume et diriger l'administration d'un état. Sa conduite, tant avant qu'après son avènement au trône, atteste chez lui une habileté extraordinaire. Entouré depuis longtemps de la considération publique, révéré par les autres chefs qui désiraient tous le voir exercer le commandement suprême, respecté par les grands à cause de son rang, il était pour le peuple un refuge dans les jours de malheur. En l'an 633 (1235-6), il succéda à son frère, Abou-Ezza-Zekdan-Ibn-Zîan, dans le commandement de sa tribu et la gouverna avec une grande habileté. Ayant triomphé des Beni - Motahher et des Beni - Rached, qui s'étaient déjà révoltés contre son frère, il les contraignit à rentrer dans le nombre de ses sujets et à ployer sous son autorité. Tout en travaillant pour la prospérité de son peuple, il cultiva l'amitié de ses parents et de sa tribu; il s'efforça surtout à gagner les

1 Pour la suite de la généalogie, voy., ci-devant, p. 329.

cœurs de ses alliés, les Arabes zoghbiens, par une administration paternelle, par des dons et par les égards que l'on doit à de bons voisins. Quand il eut pris les insignes du commandement, il organisa une troupe de milice, établit des garnisons dans ses villes et forma un corps de lanciers et un corps d'archers, le premier composé de chrétiens', le second de Ghozz2. Il assigna des traitements aux serviteurs de l'état; il se donna des vizirs et des secrétaires; il établit des gouverneurs dans ses provinces et, s'étant revêtu des emblèmes de la souveraineté, il se plaça sur le trône et fit disparaître de ses états la domination de la dynastie almohade. Ayant aboli le cérémonial et les titres que la cour de Maroc y avait introduits, il n'en conserva que l'usage de prier dans ses mosquées pour le khalife de cette ville; mais, voulant satisfaire l'opinion publique et se conformer à l'avis des hommes les plus compétents de sa tribu, il consentit à tenir son royaume du souverain almohade par diplôme et investiture.

Vers le commencement de son règne, il reçut la visite d'IbnOuaddah qui, après [la ruine de] la domination almohade [en Espagne], avait traversé la mer avec la foule d'émigrés musulmans qui abandonnèrent, à cette époque, l'Andalousie orientale. Il accueillit ce réfugié de la manière la plus honorable et l'admit au nombre de ses conseillers et de ses amis intimes 3. Avec IbnOuaddah arriva Abou-Bekr - Ibn-Khattab, le même qui avait proclamé son frère souverain de Murcie. Yaghmoracen, trou

Les troupes chrétiennes employées par les dynasties marocaines étaient composées en grande partie d'Espagnols. Selon Yahya-IbnKhaldoun, frère de notre auteur, le corps chrétien au service de Yaghmoracen était fort de deux mille hommes.

Ci-après, dans le chapitre qui renferme la notice biographique de Mouga-Ibn-Ali, se trouvent quelques renseignements sur les tribus kourdes, appelées, peut-être inexactement, Ghozz, qui émigrèrent en Afrique.

3 Pour imtafaho, lisez istafaho dans le texte arabe.

Abou-Bekr-Ibn-Khattab, secrétaire de Yaghmoracen, ou, selon Yahya Ibn-Khaldoun (Boryet-er-Reuwad fi thikr il-molouk min Beni

vant que cet homme possédait un beau style épistolaire, une écriture charmante et un talent pour la poésie, l'employa comme secrétaire. Les actes d'hommage rédigés par Ibn-Khattab et adressés aux khalifes almohades de Maroc el de Tunis sont composés avec tant d'élégance qu'on les apprend encore par cœur. Yaghmoracen se montra infatigable défenseur de ses états : attaqué plusieurs fois et assiégé par les souverains almohades descendus d'Abd-el-Moumen ainsi que par les Hafsides qui les remplacèrent [en Ifrîkïa], il eut avec eux des rencontres que nous ne saurions passer sous silence. Il résista aussi, dans un grand nombre de batailles, aux attaques des Beni-Merîn, tribu rivale de la sienne, qui lui firent la guerre avant et après la conquête du Maghreb par leurs armes. Pendant ses conflits avec les Zenata orientaux formant les tribus des Toudjîn et des Maghraoua, il remporta de tels avantages, soit en dissipant leurs armées, soit en dévastant leurs territoires, que le souvenir de ces journées est encore vivant. Nous allons donner l'indication de tous ces événements.

L'ÉMIR HAFSIDE, ABOU - ZÉKÉRÏA, S'EMPARE DE TLEMCEN. YAGHMORACEN LE RECONNAÎT POUR SOUVERAIN.

Yaghmoracen-Ibn-Zian ayant atteint à la souveraineté par l'établissement de son autorité à Tlemcen et dans le Maghreb.

Abd-el-Ouad, manusc. de la Bib. d'Alger), vizir de ce prince, n'était pas le frère de son homonyme, seigneur de Murcie. Il se nommait Mohammed le Murcien, fils d'Abd-Allah, fils de Dawoud, fils de Khattab, tandis que le chef espagnol s'appelait Abou -Bekr-Azîz, fils d'Abdel-Mélek, fils de Mohammed, fils de Khattab, ainsi que le dit notre auteur, t. 1, p. 312 de cette traduction, et Ibn-el-Abbar, dans l'ouvrage de M. Dozy, intitulé Notices sur quelques manuscrits arabes, p. 249. Ils étaient, tout au plus, fils de cousins germains; notre auteur aurait donc mieux fait d'écrire caribihi (son parent) au lieu d'akhihi (son frère). Un autre membre de la même famille remplissait les fonctions de secrétaire auprès de Yaghmoracen; il se nommait AbouAbd-Allah-Mohammed, fils de Dawoud, fils de Khattab.

central, vit ses Abd-el-Ouad entourés d'une gloire et d'une puissance qui abaissèrent l'orgueil de leurs voisins; aussi les autres tribus zenatiennes, ne pouvant plus contenir leur jalousie, se mirent en révolte. Attaquées alors par ce chef, au cœur même de leur pays, elles durent se réfugier, les unes dans leurs villes et places fortes, les autres sur les cimes de leurs montagnes. Cette guerre, allumée par les efforts d'Abd-el - Caouï - Ibn-elAbbas, cheikh des Toudjîn, et par les démarches d'El-AbbasIbn-Mendil-Ibn-Abd-er-Rahman et de ses parents, émirs des Maghraoua, fut marquée par plusieurs batailles et combats dont on garde encore le souvenir. L'on sait que la tribu des Toudjîn, branche de celle des Badîn, fut toujours en rivalité avec sa sœur, la tribu des Beni-Abd-el-Ouad.

L'émir hafside, Abou-Zékérïa, étant parvenu, l'an 625 (1228), à détacher l'Ifrîkïa de l'empire régi par les descendants d'Abdel-Moumen, s'y établit comme souverain indépendant et conçut l'espoir de soumettre le Maghreb et de monter sur le trône des Almohades à Maroc. Pour atteindre ce but, il pensa que le concours des Zenata lui serait nécessaire et, afin d'obtenir leur appui, il pratiqua des intelligences avec les émirs des BeniMerîn, des Abd-el-Ouad, des Toudjîn et des Maghraoua.

Quant à Yaghmoracen, il était demeuré fidèle à la dynastie d'Abd-el-Moumen depuis l'époque où il s'en fut déclaré le vassal, et, dans son gouvernement de Tlemcen, il continuait à servir les sultans de Maroc en se montrant l'ami de leurs amis et l'ennemi de leurs ennemis. Parmi ces princes, Er-Rechid fut celui auquel il donna les témoignages les plus fréquents de dévouement et dont il reçut, en retour, les plus nombreuses marques d'amitié. Ce fut ainsi qu'en l'an 637 (1239-40), Er-Rechid lui envoya une grande quantité d'objets rares et précieux, sachant qu'un tel présent serait accepté avec plaisir et qu'il contribuerait à entretenir ce chef dans son éloignement pour les Beni Merîn, tribu qui avait déjà commencé des hostilités contre le Maghreb et l'empire de Maroc.

Le bon accord qui régna entre Yaghmoracen et son proche voisin Er-Rechîd, avait déjà donné du mécontentement à l'émir

Abou-Zékérïa, quand ce prince reçut la visite d'Abd-el-CaouiIbn-el-Abbas et des fils de Mendil-Ibn-Mohammed, qui vinrent demander secours contre Yaghmoracen. Ils lui exposèrent que la prise de Tlemcen serait une chose très-facile; qu'alors il pourrait réunir sous ses drapeaux toutes les tribus zenatiennes, que ce serait un grand pas de fait vers la conquête de l'empire almohade, but auquel il visait, et que la prise de cette ville lui ouvrirait la porte du pays qu'il convoitait. Cédant à leurs prières et à leurs représentations, il rassembla ses troupes hafsides', celles de ses alliés et tous les autres corps de son armée, en leur annonçant qu'il allait marcher sur Tlemcen. Il convoqua aussi les Arabes nomades qui fréquentaient ses provinces, et, à cet appel, les Soleim et les Rîah se mirent en mouvement, avec leurs familles, pour aller le joindre.

Ce fut en l'an 639 (1241-2) qu'Abou-Zékérïa partit pour le Maghreb, emmenant avec lui une armée immense. D'après ses ordres, Abd-el-Caouï-Ibn-el- Abbas et les fils de Mendil-IbnMohammed prirent les devants, afin d'appeler sous leurs drapeaux les tribus zenatiennes de leur pays, les gens qui suivaient leur fortune, les peuplades qui vivaient de brigandages et les fractions de la tribu arabe des Zoghba qui s'étaient attachées au parti des Zenata. Le lieu de rendez-vous devait être sur la frontière de leur territoire. Quand Abou-Zékéria fut parvenu à Zaghez, sibkha située au Midi de Titeri et dernière limite occidentale des régions fréquentées par les Riah et les Soleim, il opéra sa jonction avec les Beni-Amer et les Soueid, tribus zoghbiennes qui venaient prendre part à cette expédition et assister au siége de Tlemcen. Avant la jonction des troupes hafsides avec les contingents zenatiens et les autres populations no

1 Comme les Hafsides professaient la même doctrine que les Almohades de Maroc, Ibn-Khaldoun les désigne aussi par le nom d'Almohades, ce qui jette, de temps en temps, beaucoup de confusion dans son récit. Pour éviter ce défaut, le traducteur a consacré le titre d'Almohade à la dynastie d'Abd-el-Moumen et celui de Hafside à la dynastie d'Abou-Hafs.

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