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tirés dans la place, Ocba ne voulut pas s'y arrêter, et marcha sur Lambèsa, un de leurs plus grandes villes. Les habitants des environs s'y refugièrent à son approche, et dans une sortie, ils se battirent avec un tel acharnement que les Arabes en furent consternés et s'attendèrent à être exterminés. Ocba parvint cependant à repousser l'ennemi, et l'ayant poursuivi jusqu'à la portede la forteresse, il lui enleva beaucoup de butin.

Ne voulant pas s'y arrêter davantage, il partit pour le pays du Zab, et là, il demanda quelle était la ville principale. On lui désigna la ville d'Erba, résidence du souverain (Mélek) et point de réunion pour les princes du Zab. Elle était entourée de trois cent soixante villages, tous très-peuplés.

Les habitants, instruits de son approche, se retirèrent, les uns dans leurs forteresses, et les autres dans les montagnes et les lieux d'accès difficile. A l'heure du soir Ocba prit position contre la ville, et le lendemain il ordonna l'attaque. Plusieurs combats eurent lieu, à la suite desquels les musulmans perdirent tout espoir, quand Dieu leur donna la victoire. L'ennemi fut mis en déroute, la plupart des cavaliers roumis restèrent sur le champ de bataille; les autres évacuèrent le Zab, après avoir reçu une leçon qui rabaissa leur fierté pour toujours.

De là Ocba se dirigea sur Tèhert et alla camper auprès de cette ville. Sachant que les Roum, prévenus de son approche, avaient obtenu le secours des Berbères, il se leva, et adressa un discours à ses troupes, pour les exciter au combat. Dans l'action qui suivit, les Roum et les Berbères ne purent resister aux musulmans; l'armée coalisée perdit beaucoup de monde en peu de temps et les Grecs évacuèrent la ville. Ocba alla ensuite camper près de Tanger, et un roumi nommé Yulian, un de leurs nobles, vint audevant de lui avec de riches présents et se soumit à ses ordres. Ocba le questionna relativement à

En arabe Lambès. Ce mot est mal écrit et mal ponctué dans les manuscrits; l'un porte Lemis, l'autre Melich.

2 Ces derniers mots sont omis dans un des mss., et en effet, ils doivent être de trop; Ocba n'avait pas avec lui les moyens d'emporter une place forte.

la mer d'Espagne, et ayant appris qu'elle était bien gardée, il lui dit : « Indique-moi où je pourrai trouver les chefs des Roum et des Berbères.» «Quant aux Roum, répondit Yulian, tu les a laissés derrière toi, mais devant toi sont les Berbères et leur cavalerie; Dieu seul en sait le nombre.»-« Oú se tiennent ils ?>> demanda Ocba. «Dans le Sous-el-Adna, répondit Yulian; c'est un peuple sans religion; ils mangent des cadavres, ils boivent le sang de leurs bestiaux, et ils vivent comme des brutes; car ils ne croient pas en Dieu, et ils ne le connaissent même pas. >> Sur cela, Ocba dit à ses compagnons : « Marchons avec la bénédiction de Dieu!» De Tanger il se dirigea du côté du midi, vers le Sous-el-Adna, jusqu'à ce qu'il atteignît une ville nommée Téroudant. Là, il rencontra les premieres troupes Berbères et les mit en déroute après un combat sanglant. Sa cavalerie se mit à la poursuite des fuyards et pénétra dans le Sous el-Adna. Les Berbères se réunirent alors en nombre si grand que Dieu seul pouvait les compter; mais Ocbales attaqua avec un acharnement inoui. Il en fit un massacre prodigieux et s'empara de quelques-unes de leurs femmes, qui étaient [d'une beauté] sans égale. On rapporte qu'une seule de leurs jeunes filles fut vendue, en Orient, pour mille mithcals (pieces d'or). Ayant continué sa marche, il vint jusqu'à la mer environnant [l'Océan Atlantique], sans avoir éprouvé de résistance, et il entra dans la mer jusqu'à ce que l'eau atteignît le poitrail de son cheval. Levant alors la mains vers le ciel, il s'écria: «Seigneur! si cette mer ne m'en empêchait, j'irais dans les contrées éloignées et dans le royaume de Dou'l-Carnein, en combattant pour ta religion, et en tuant ceux qui ne croient pas à ton existence ou qui adorent d'autres dieux toi. » S'adressant ensuite à ses compagnons, il leur dit : « Retournons sur nos pas avec la bénédiction de Dieu.» La terreur des infidèles était devenue si grande qu'ils fuyaient le pays que l'armée traversait, et l'expédition se dirigea

que

1 Le roi Dou-'l-Carnein s'avança vers l'Occident jusqu'au lieu du coucher du soleil, et vit cet astre descendre dans un puits rempli de boue noire. Cette histoire authentique est racontée dans le Coran, sourate 18.

vers l'Ifrîkîa. Quand on fut à la hauteur de la source d'eau qui est aujourd'hui appelée Ma-el-Férès (l'eau du cheval), mais qui n'existait pas alors, Ocba et ses troupes furent réduits à la dernière extrémité par la soif. Il fit en conséquence une prière de de deux rékas, et invoqua Dieu tout-puissant. Aussitôt son cheval commença à gratter la terre avec son pied, et à écarter le gravier, de sorte qu'il mit à découvert une couche de rocher d'où sortait de l'eau. L'animal se mit alors à boire, et d'après les or dres d'Ocba, les troupes creusèrent la terre, et ouvrirent soixantedix puits, d'où elles tirèrent assez d'eau pour étancher leur soif et faire leur provision. Ce fut alors que ce lieu reçut le nom de Mael-Férès 1. De là il se rendit à Tobna, petite ville à huit journées de Cairouan, et dans l'assurance que le pays tout entier était parfaitement soumis et qu'il n'y avait plus d'ennemi à craindre, il ordonna à sa troupes de marcher, par détachements, à leur destination. Il se dirigea lui-même vers Tehouda et Badis pour en faire la reconnaissance et pour voir combien il faudrait de cavalerie pour bloquer ces deux villes. Quand il y eut laissé les hommes nécessaires pour cet objet, les Roum remarquèrent qu'il ne lui restait qu'un très-petit nombre de troupes et conçurent l'espoir de l'accabler. Ayant donc fermé les portes de leurs forteresses, ils lui lancèrent des flèches, des pierres et des imprécations, pendant qu'il les appelait [à se convertir] à Dieu. Quand il fut parvenu au cœur du pays, les Roum envoyèrent un agent auprès de Koceila-Ibn-Behrem el-Aurébi, chef Berbère qui se trouvait avec l'armée d'Ocba.

§ VII.

RÉVOLTE DE KOCEILA; MORT D'OCBA-IBN-NAFÉ, ET
PRISE DE CAIROUAN.

Koceila était un des hommes principaux parmi les Berbères.

1 Selon Ibn-Abd-el-Hakem, cette aventure arriva sur la route du Fezzan à Tripoli. (Voyez ci-devant, page 340.) On trouve cependant un Aïn-Férès (source du cheval), au pied du télégraphe de Sidi-Daho, entre Tlemcen et Sidi-Bel-Abbès, précisément sur la route que devait suivre Okba en retournant du Sous en l'Ifrikia.

2 Il faut lire Lemezm.

Devenu musulman pendant le gouvernement d'Abou-'l-Mohadjer, il fut si sincère dans sa conversion que celui-ci en parla à Ooba qui venait d'arriver, et l'instruisit de la grande influence que Koceila exerçait sur les Berbères. Ocba ne fit aucune attention à cette recommandation; au contraire, il ne témoigna pour le néophyte que de l'indifférence et du mépris. Parmi les traits insultants qu'il se permit envers lui, on raconte le suivant: il venait de recevoir des moutons, et voulant en faire égorger un, il ordonna à Koceila de l'écorcher. « Que Dieu dirige l'émir vers le bien! lui dit le chef berbère, j'ai iei mes jeunes gens et mes serviteurs qui pourront m'éviter cette peine. » Ocba y répondit par des paroles offensantes et lui ordonna de se lever [et sortir]. Koceila se retira en colère, et, ayant égorgé le mouton, il essuya sa main encore, sanglante sur sa barbe. Quelques Arabes s'approchèrent alors et lui dirent: « Que fais-tu, Berbère? » à quoi il répondit: << Cela est bon pour les poils.» Mais un vieillard d'entre les Arabes passa et s'écria: « Ce n'est pas pour cela; c'est une menace que ce Berbère vous fait ! » Alors Abou'-l-Mohadjer s'adressa à Ocba et lui dit : « Que viens-tu faire ! voilà un homme des plus distingués parmi son peuple, un homme qui était encore polythéiste il y a peu de temps; et tu prends à tâche de faire naître la rancune dans son cœur ! je te conseille maintenant de lui faire lier les mains derrière le dos, autrement tu seras victime de sa perfidie. » Ocba méprisa cet avis, et Koceila, qui était en correspondance avec les Roum, profita d'un instant favorable et prit la fuite. Bientôt après, il se vit entouré de ses cousins, de ses gens et d'une foule de Roum. Abou'-l-Mohadjer recommanda alors à Ocba de l'attaquer sans lui donner le temps d'organiser ses forces; car, pendant toute cette expédition, Ocba menait Abou'-l-Mohadjer avec lui et le tenait dans les fers. Il marcha donc contre Koceila, et celui-ci se retira devant lui. Alors les Berbères dirent à leur chef: « Pourquoi reculer? ne sommesnous pas cinq mille?» «Chaque jour, leur répondit Koceila, va grossir notre nombre et diminuer le sien: une grande partie de ses forces l'a déjà quitté, et j'attends, pour l'attaquer, qu'il s'en retourne vers l'Ifrikïa. » Quant à Abou-'l-Mohadjer, il prononça

ces vers d'Abou-Mihdjen, en les appliquant à sa propre position. C'est pour moi assez de douleur que d'être laissé dans les fers, pendant que les chevaux et les cavaliers s'élancent au combat. Quand je me lève, le poids de mes chaines m'accable, et les portes qui menent au festin restent fermées devant moi

Ocba, auquel on rapporta ces paroles, le fit mettre en liberté et lui ordonna d'aller rejoindre les musulmans [à Cairouan], et d'en prendre le commandement; «< quant à moi, lui dit-il, je veux gagner le martyre.»-« Et moi aussi! répondit Abou-'l-Mohadjer, je veux partager ton sort. » Ocba fit alors une prière de deux rékas, et brisa le fourreau de son épée. Abou'l-Mohadjer fit de même, ainsi que les autres musulmans. Les cavaliers mirent pied à terre par l'ordre d'Ocba, et combattirent avec intrépidité jusqu'à la mort pas un n'en échappa2.

Zoheir-Ibn-Caïs prit alors la résolution d'attaquer les Berbères; mais ses troupes refusèrent de lui obéir. Il se rendit, en conséquence, à Barca où la plupart des habitants de Cairouan allèrent le rejoindre. Koceila, à la tête d'une multitude immense, marcha sur Cairouan où quelques musulmans, qui n'avient pu emporter leurs effets ni emmener leurs familles, restaiènt encore. Comme ils offraient de rendre la ville pourvu qu'on leur fit grâce, Koceila y donna son consentement et se trouva maître de Cairouan et de l'Ifrîkïa. Il y resta jusqu'au temps où l'autorité [du khalife] Abd-el-Mélek-Ibn-Merouan fut raffermie. Mention ayant été faite alors, en presence du khalife, de la triste position de Cairouan et des musulmans qui y étaient restés, on l'engagea d'y envoyer des troupes, afin de délivrer ce pays de Koceila.

1 Le poète Abou-Mihdjen, natif de Thakîf, fut un des compagnons de Mahomet. Il était tellement adorné au vin que le général de l'armée arabe l'avait fait mettre aux arrêts peu de temps avant la bataille de Cadicïa. Dans les vers cités ici, le poète exprime ses regrets de ne pas pouvoir prendre part au combat qui allait se livrer. toire dans le Journal Asiatique de février 1841.

2

Voyez son his

* Quelques-uns furent faits prisonniers; voyez ci-devant, page 288. Ibn-Abd-el-Hakem place la mort d'Ocba en l'an 63 (682-3).

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