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de ses pères quand le grand chambellan fit un grave affront à Rached en infligeant à un serviteur de cet émir une punition prescrite par la loi. Cet homme, ayant commis des vols à main armée sur la grande route, fut amené devant le tribunal du sultan et condamné à mort. Le ministre fit exécuter la sentence dictée par Dieu lui-même [dans le Coran] et porta ainsi l'atteinte la plus sensible à la fierté de Rached. Outré de colère, le maghraouien courut trouver son allié, Yacoub-Ibn-Khalouf, dont la tribu campait habituellement avec la sienne dans le territoire. des Zouaoua. Or, pendant cet intervalle, Yacoub venait de mourir, et son fils Abd-er-Rahman, qui avait obtenu du sultan le commandement des Sanhadja, ne se montra nullement disposé à respecter les engagements d'amitié que son père et Rached avaient contractés. Une discussion eut lieu entre les deux chefs: Abd-er-Rahman s'offensa d'une plaisanterie que le maghraouien lui adressa, et celui-ci, fier de sa haute position au service de l'empire et du corps de guerriers qu'il commandait, accabla le sanhadjien de sarcasmes. Abd-er-Rahman, ne pouvant plus se contenir, appela ses domestiques et tomba avec eux sur Rached qui mourut criblé de coups de lance.

Les tribus maghraouiennes furent si consternées de cet événement qu'elles abandonnèrent tout-à-fait le territoire de Chelif et passèrent dans d'autres pays. Les Beni-Monîf1 et les BeniOuîghern émigrèrent en Espagne avec l'intention de se poster sur la frontière musulmane et de combattre les chrétiens. Une partie d'entr'eux y forma même des garnisons sédentaires, et leur postérité s'y trouve encore. Une autre fraction maghraouienne, composée de gens de la classe moyenne, se mit sous la protection des Almohades, et fournit jusqu'à son extinction, un fort contingent à leur armée. Ali, fils de Rached, fut conduit au palais des souverains de Maroc, où sa tante se chargea de l'élever. Les Aulad-Mendil se transportèrent en masse

1 Cette indication ne s'accorde pas avec celles que notre auteur vient de donner; voy. p. 320.

dans le territoire des Beni-Merîn et s'unirent à cette tribu par les liens de voisinage et par des mariages. L'alliance de ces deux peuples se maintint jusqu'à l'époque où les Mérinides envahirent le Maghreb central.

Le sultan Abou- 'l-Hacen, ayant soumis cette région, renversé la dynastie des Abd-el-Ouad et combiné tous les peuples zenatiens en une seule nation, incorpora dans ses états le pays des Maghraoua ainsi que les provinces hafsides de l'Ifrîkïa. Ensuite, au commencement de l'année 749 (avril 4348), il essuya, auprès de Cairouan, l'échec fatal dont nous avons donné ailleurs les détails'. Alors, de tous côtés, les provinces se révoltèrent; les fils des anciens chefs s'emparèrent de leurs états héréditaires, et Ali, fils de Rached et petit-fils de Mohammed Ibn-Thabet-Ibn-Mendîl, prit possession du territoire de Chelif et soumit Milîana, Ténès, Brechk, Cherchel et les autres villes de cette région. Ayant alors rétabli la principauté bédouine de ses aïeux, il réprima vigoureusement les tentatives des tribus qui osaient l'attaquer.

A cette époque, le sultan Abou-'l-Hacen venait d'arriver à Alger, après avoir échappé aux dangers qui l'entouraient en Ifrîkïa et aux périls d'un naufrage auprès de Bougie; et, comme il conservait encore l'espoir de recouvrer les royaumes qu'il avait perdus, il eut une conférence avec Ali-Ibn-Rached et fit un appel à sa reconnaissance. Le maghraouien s'en montra trèsému, mais il ne voulut consentir à prendre les armes contre les Abd-el-Ouad, à moins d'être formellement reconnu comme souverain du pays que sa tribu occupait autour de Chelif. Voyant repousser cette demande, il s'éloigna du sultan et embrassa le parti des Abd-el-Ouad, famille dont l'empire s'était relevé à Tlemcen. Le sultan quitta Alger pour lui livrer bataille et, en l'an 751 (1350-1), il essuya, auprès du Chedîouïa, une défaite totale et la perte de son fils En-Nacer, tué par les Maghraoua.

Voy., ci-devant, p. 34, et, ci-après, dans l'histoire des Abd-elOuad et dans celle des Beni-Merîn.

S'étant alors jeté dans le Désert, il atteignit le Maghreb-el-Acsa, ainsi le lecteur verra dans l'histoire des Mérinides.

que

Après avoir relevé l'empire de Tlemcen, les princes de la famille de Yaghmoracen résolurent d'occuper le pays des Maghraoua, comme ayant déjà fait partie de leurs états. En l'an 752 (1351-2), Abou-Thabet-ez-Zaïm, fils d'Abd-er-RahmanIbn-Yaghmoracen et lieutenant de son frère, le sultan des Abdel-Ouad, entra dans le territoire maghraouien à la tête d'une armée nombreuse, s'empara de tout, villes et campagnes, et força Ali-Ibn-Rached à s'enfermer dans Ténès avec une petite troupe de partisans. A la suite d'un siége assez prolongé, Ténès succomba, et Ali, se voyant mis dans l'impossibilité de s'échapper, quitta ses compagnons, passa dans un cabinet du château et se perça le cœur avec son épée. La triste fin d'un homme aussi distingué fournit, pendant longtemps, le sujet de toutes les conversations. Ténès fut emporté d'assaut, et tous les Maghraoua qui s'y trouvaient furent passés au fil de l'épée. Le reste de la tribu se dispersa et prit service dans les états voisins; les uns comme cavaliers et les autres comme fantassins. Ainsi tomba l'empire des Maghraoua, habitants du territoire de Chelif.

Les Beni-Merin s'étant ensuite emparés de Tlemcen pour la seconde fois, renversèrent de nouveau la dynastie abd-el-ouadite et en détruisirent la puissance; mais, après la mort1 d'AbouEinan et la retraite de la garnison mérinide, la famille de Yaghmoracen vit relever son autorité pour la troisième fois, grâce aux efforts de Mouça -Abou-Hammou II, fils de Youçof. Dans l'histoire des Abd-el-Ouad se trouveront les détails de ces événements.

Au commencement de l'an 772 (août 1370), le sultan Abd-elAzîz, fils du sultan Abou-'l-Hacen, partit à la tête de l'armée mérinide, s'empara de Tlemcen, qui succomba ainsi pour la

1 Dans le texte arabe, il faut lire bi-mehlek à la place de bi-molk. 2 Les manuscrits et le texte arabe imprimé portent Ibn - Mouça, fausse leçon.

troisième fois, et envoya des troupes à la poursuite d'AbouHammou, qui s'était enfui avec les gens de sa maison et ses partisans arabes. Les Mérinides poussèrent jusqu'à El-Bat'ha, où ils prirent quelques jours de repos.

Il se trouvait dans cette armée un jeune homme nommé Hamza, fils du même Ali-Ibn-Rached qui périt de sa propre main. Comme la famille royale s'était alliée à la sienne par un mariage, Hamza, demeuré orphelin, fut élevé dans le palais avec tous les soins, toute la tendresse que l'on pouvait montrer à un parent. Sorti de l'adolescence et devenu homme, il ne voulut plus être à la charge de l'empire et rester confondu avec les autres jeunes gens de la cour. Le vizir et général en chef, Abou - Bekr - Ibn - Ghazi, auquel il alla se plaindre de sa position, le reçut très-mal et le renvoya avec beaucoup de dureté. Hamza en fut tellement offensé qu'il s'enfuit à l'ombre de la nuit et courut à la montagne des Beni-Bou-Saîd, dans le pays de Chelif. Cette tribu le prit sous sa protection, et les Maghraoua, invités à le soutenir, y répondirent avec empressement. Une armée, composée de Mérinides et de troupes de la milice, et commandée par le vizir, Omar-Ibn - Masoud - Ibn-Mendil - IbnHammama, chef des Tîrbîghîn, marcha contre lui par l'ordre du sultan Abd-el-Azîz et, pendant l'année entière qu'elle tint cette montagne bloquée, elle eut à subir autant de pertes qu'elle en fit éprouver aux insurgés. Le sultan commença enfin à soupçonner son vizir d'être d'intelligence avec eux, et, sur les représentations que lui adressèrent les ennemis de cet officier, il ordonna son arrestation et le remplaça par Abou-Bekr-Ibn-Ghazi-Ibn-elKas. L'armée nombreuse que ce ministre emmena avec lui attaqua les Maghraoua dans leur montagne et profita de leur effroi pour les chasser de la forte position où ils s'étaient retranchés. Hamza prit la fuite avec un petit nombre de partisans fidèles et courut se réfugier dans le pays des Hosein, tribu qui, peu de temps auparavant, s'était mise en révolte contre les Mérinides pour soutenir le prince abd-el-ouadite Abou-Zian-IbnAbi-Said. Après le départ des fugitifs, les Beni-Bou-Saîd firent leur soumission d'une manière franchę et sincère, ce qui ne

manqua pas de laisser une bonne impression sur l'esprit du sultan; et, plus tard, quand Hamza accourut chez eux avec une petite troupe d'amis, ils le repoussèrent en déclarant qu'ils tenaient au gouvernement mérinide par les liens de l'obéissance. Frustré dans son espoir, Hamza redescendit dans la plaine avec l'intention de surprendre Tîmzought, mais la garnison de cette ville sortit à sa rencontre, le força à tourner le dos et le poursuivit si vigoureusement qu'elle le fit prisonnier. Le vizir IbnGhazi, auquel on conduisit Hamza et ses camarades, reçut du sultan, quelque temps après, l'ordre de les décapiter tous. Leurs têtes furent envoyées à la cour, et leurs cadavres furent empalés sous les murs de Miliana.

Avec Hamza, les Maghraoua perdirent toute leur puissance et, se voyant réduits à subir, en esclaves, la domination d'émirs étrangers, ils partirent, les uns pour servir dans les armées des états voisins, et les autres pour vivre dispersés dans des régions éloignées; ainsi que cela leur était déjà arrivé avant qu'ils eussent fondé leur dernier empire, celui dont nous venons de retracer l'histoire.

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HISTOIRE DE L'EMPIRE FONDÉ A TLEMCEN PAR LES BENI ABD ELQUAD ET DE LA DOMINATION EXERCÉE PAR CETTE TRIBU DANS LE MAGHREB.

Au commencement des chapitres consacrés à l'histoire des Zenata de la seconde race, nous avons dit1 que les Beni-Abd-elOuad descendaient de Badîn-Ibn-Mohammed et que leur tribu

'Page 302 de ce volume.

2 Abd-el-Ouad est, sans doute, une altération berbère du ́nom Abdel-Ouahed (serviteur du Dieu unique), bien qu'un historien maghrebin prétende qu'Abd-el-Ouad soit une altération des mots dabed-el- ouadi (l'adorateur de la vallée). L'aïeul de cette tribu, dit-il, était un dévot qui vivait dans la solitude.

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