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PRISE DE TLEMCEN ET SOUMISSION DES BENI-ABD-EL-OUAD A LA DOMINATION HAFSIDE.

L'émir Abou-Zékérïa, après avoir soustrait l'Ifrîkïa à la domiuation de la famille d'Abd-el-Moumen, aspira au trône de l'empire almohade et à la possession de Maroc. Pour y parvenir, il chercha d'abord à se ménager des intelligences avec les Zenata dont l'appui lui parut indispensable. A plusieurs reprises, il mit en œuvre messages et sollicitations, dans l'espoir de gagner les chefs de ce peuple et, surtout, les émirs des Beni-Merîn, des Beni-Abd-el-Ouad, des Toudjin et des Maghraoua.

A l'égard de Yaghmoracen l'abd-el-ouadite, une pareille tâche était très-difficile : ce prince, depuis sa soumission à la dynastie d'Abd-el-Moumen, n'avait jamais cessé de maintenir dans ses états l'autorité de l'empire almohade, et, animé d'un beau dévouement envers ses maîtres, il vivait en paix avec leurs amis et en guerre avec leurs ennemis. Au khalife [almohade] ErRechîd, il avait donné de nombreux témoignagnes de fidélité, et, jaloux de mériter la bonne opinion de ce monarque, il lui avait envoyé, à plusieurs reprises, de riches présents et des objets rares et curieux de toute espèce. Par ces démonstrations, il voulait témoigner combien l'amitié des Almohades lui était précieuse et combien il la préférait à celle des Mérinides, famille qui commençait à diriger ses tentatives contre le Maghreb et l'empire fondé par Abd-el-Moumen.

Pendant que le sultan Abou-Zékérïa considérait, avec une sérieuse inquiétude, les liaisons qui attachaient ses voisins, les Abd-el-Ouadites et Yaghmoracen, au parti d'Er-Rechîd, il reçut la visite d'Abd-el-Caouï, émir des Beni-Toudjîn, qui vint, accompagné de quelques chefs maghraouiens, membres de la famille Mendil-Ibn-Abd-er-Rahman [-Ibn - Mohammed], dans l'espoir d'obtenir des secours contre Yaghmoracen. Cette députation lui représenta qu'il pourrait facilement s'emparer de

4. Je lis teghannoman.

Tlemcen et rallier à sa cause toutes les tribus zenatiennes; que, par l'occupation de cette ville, il aurait fait le premier pas vers la conquête de Maroc, et qu'enfin cette acquisition lui servirait d'échelle pour monter au trône qu'il ambitionnait, et de porte par laquelle il pourrait facilement envahir le Maghreb. Touché par leurs prières et leurs sollicitations, il résolut la guerre, et, après avoir convié ses Almohades, ses troupes et tous ses alliés à une expédition contre Tlemcen, il rassembla sous ses drapeaux toutes les populations bédouines appartenant aux tribus arabes de Rîah et de Soleim qui reconnaissaient son autorité. Ces nomades se précipitèrent en masse vers le lieu de réunion avec leurs femmes et leurs troupeaux, de sorte qu'en l'an 639 (1241-2), il put se mettre en marche à la tête d'une armée immense. D'après son ordre, l'émir Abd-el-Caouï-Ibn-Abd-elAbbas et les fils de Mendîl-Ibn-Mohammed prirent les devants afin de rassembler leurs compatriotes, les guerriers de Zenata, de rallier leurs confédérés, les Arabes de la tribu de Zoghba, et de se poster sur la frontière de leur pays pour y attendre son arrivée. Il pénétra lui-même dans le désert de Zaghez, région située au sud de Titeri et formant la limite occidentale des courses entreprises par les Riah et les Soleim. Voyant alors que ces Arabes hésitaient à le suivre plus loin avec leurs femmes et qu'ils cherchaient mille prétextes pour s'arrêter, il dut employer de l'adresse, et même, dit-on, des ruses, afin de réveiller leur courage et de les décider à marcher. Il arriva, enfin, sous les murs de Tlemcen avec ses troupes almohades, les contingents zenatiens et ses alliés arabes. En traversant Miliana, il avait expédié à Yaghmoracen une ambassade chargée de lui exposer les motifs de cette expédition et de l'inviter à faire sa soumission. Cette démarche n'eut aucun succès, et les envoyés durent revenir sur leurs pas.

Quand l'armée almohade [hafside] eut pris position dans le voisinage de Tlemcen, Yaghmoracen sortit avec ses troupes pour lui livrer bataille. Les Abd-el-Ouadites, accablés par une grêle de flèches, abandonnèrent bientôt le terrain et coururent se réfugier derrière leurs remparts, mais les guerriers d'Abou-Zé

kérïa s'élancèrent en avant et franchirent les murailles de la ville, malgré la résistance des défenseurs. Au moment de perdre ainsi sa capitale, Yaghmoracen rassembla sa famille, et, soutenu par une troupe d'amis et de domestiques, il se fraya un passage à travers les rangs de l'ennemi et réussit à se jeter dans le Désert. Les Almohades [hafsides] envahirent la ville de tous les côtés, la mirent au sac et au pillage, dévastant tout et massacrant les femmes et les enfants.

Le lendemain de cette journée affreuse, lorsque le tumulte de l'assaut se fut apaisé et que le feu de la guerre se fut éteint, les troupes hafsides revinrent à la raison et cessèrent leurs ravages. Alors l'émir Abou-Zékérïa chercha un homme auquel il pourrait confier le gouvernement de Tlemcen et du Maghreb central et qui, établi là, sur l'extrême frontière, aurait pour tâche d'y remplacer l'influence de la dynastie d'Abd-el-Moumen par celle du gouvernement hafside et de défendre tout ce pays en cas d'invasion. Les plus illustres d'entre ses partisans reculèrent devant une telle responsabilité; les émirs zenatiens eux-mêmes refusèrent de s'en charger, sachant qu'ils étaient trop faibles pour tenir tête à Yaghmoracen, chef dont tous connaissaient l'audace, lion que personne n'oserait relancer dans sa tanière et auquel on ne pourrait jamais enlever sa proie.

De son côté, Yaghmoracen ne s'endormit pas sa cavalerie venait enlever du monde jusqu'aux abords du camp hafside, ou bien, postée sur les hauteurs, elle guettait tous les mouvements de l'ennemi. Bientôt, cependant, il changea de conduite et envoya des agents auprès du sultan [Abou-Zékérïa]. Cette ambassade lui annonça que Yaghmoracen désirait faire sa soumission, contracter une alliance avec les Hafsides et les aider contre le souverain de Maroc, prince dont le cœur brûlait de venger la prise de Tlemcen et la perte de l'Ifrikïa; elle déclara que Yaghmoracen demandait, en retour de son amitié, l'autorisation de soutenir, à lui seul, la cause des Hafsides [dans le Maghreb]. Abou-Zékérïa agréa cette proposition, et ayant alors reçu la visite de Sot-en-Niça, mère de Yaghmoracen, qui vint, de la part de son fils, pour régler et ratifier les conditions du traité, il lui

fit l'accueil le plus honorable et la combla de cadeaux, tant dans le jour où elle arriva que dans celui où elle prit congé. Outre ces conditions, il accorda à Yaghmoracen la possession de certains cantons de l'Ifrikïa et le droit d'y envoyer des percepteurs la recette des contributions.

pour

Le dix-septième jour après son arrivée à Tlemcen, AbouZékérïa reprit le chemin de sa capitale. Il était encore en marche quand les chefs almohades commencèrent à le mettre en garde contre le caractère ambitieux de Yaghmoracen et à lui conseiller de susciter des rivaux à ce prince chez les Zenata et les émirs du Maghreb central. « Il faut humilier sa fierté, lui disaient-ils, et >> mettre obstacle à ses projets; ce serait même un acte de pru» dence que d'autoriser ces personnages à porter un habillement

royal et des emblèmes de commandement tout-à-fait sem>> blables à ceux qu'on vient d'accorder au chef abd-el-ouadite. Par suite de ce conseil, Abou-Zékérïa nomma Abd-el-CǝouïIbn-Atia le toudjinite, El-Abbas -Ibn-Mendil le maghraouien et El-Mansour le melikichien au commandement de territoires occupés par leurs tribus respectives. Avec les diplômes de leur nomination il leur expédia les insignes de la souveraineté pareils à ceux de leur rival, Yaghmoracen; les autorisant à porter ces marques distinctives dans la capitale de l'empire, à la cour même, et dans les grandes réunions des chefs almohades.

Il s'empressa alors de rentrer à Tunis, le cœur tout joyeux d'avoir augmenté son royaume et atteint le but de ses désirs. Devant lui il avait maintenant la perspective du Maghreb entier soumis à sa domination et de l'autorité des enfants d'Abd-elMoumen cédant devant la sienne. Ayant tenu une séance royale, dans laquelle plusieurs royaumes lui tendaient le cou avec soumission, ainsi que nous allons le raconter, il combla de dons les poètes qui étaient venus pour célébrer le triomphe de ses

armes.

Malgré l'autorité des manuscrits, je lis chorétiki.

L'ANDALOUSIE RECONNAÎT LA SOUVERAINETÉ DES HAFSIDES.

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SEVILLE

ET PLUSIEURS AUTRES CITÉS DE CE PAYS ENVOIENT AU SULTAN DE TUNIS LEURS ACTES DE FOI ET D'HOMMAGE.

A l'époque dont nous parlons, deux personnages fort considérés habitaient la ville de Séville. L'un, appelé Abou-MerouanAhmed-el-Badji, avait pour ancêtre le célèbre Abou-'l-Quélîd', et l'autre, nommé Abou-Amr 2-Ibn-Djedd, descendait du fameux traditioniste, Abou-Bekr-Ibn-el-Djedd 3. Héritiers de l'illustration de leurs aïeux, ils jouirent de tous leurs priviléges sous les khalifes [almohades], et, distingués également par leur piété et la régularité de leurs mœurs, ils s'étaient assurés le respect et le dévouement de leurs concitoyens. Tel fut, en un mot, l'éclat de leurs vertus que les princes de la famille royale, gouverneurs de Séville, se guidaient par leurs conseils. Malheureursement, l'Espagne était devenue le théâtre des plus graves désordres depuis la mort d'El-Mostancer les cids [descendants d'Abd-elMoumen] se disputaient les lambeaux de la royauté; Ibu-Houd et Zian-Ibn-Merdenîch avaient usurpé le pouvoir suprême dans les parties orientales de cette péninsule, pendant qu'Ibn-el-Ahmer tenait en révolte la partie occidentale. En 626 (4228-9), IbnHoud expulsa les Almohades par les armes, et emprisonna

1 Soleiman-Ibn-Khalef, surnommé Abou-'l-Ouélîd el-Badji (natif de Béja en Portugal), fut très-considéré comme légiste, théologien et traditioniste. Il naquit à Badajox en 403 (1013 de J.-C) et mourut à Alméria en 474 (1084). Sa vie se trouve dans le Biographical Dictionary d'Ibn-Khallikan, vol. 1, p. 593.

Variante: Omar.

3 Le traditioniste Abou-Bekr-Ibn-el-Djedd habitait l'Espagne et en seignait, vers la fin du sixième siècle de l'hégire (1203 de J.-C.). Comme il appartenait à la famille Djedd, une des grandes maisons de Séville, il est probable qu'il fut élevé dans cette ville. L'Abou-Amr, dont IbnKhaldoun parle ici et qui prit part à un mouvement qui eut lieu à Séville eu l'an 635 (1237-7), était probablement fils de ce docteur.

Il faut, sans doute, lire djeddeihoma au duel, à la place de djeddihi.

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