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Amr-Ibn-el-Aci s'avança avec sa cavalerie jusqu'à Barca, et accorda la paix aux habitants de cet endroit moyennant une capitation de treize mille dinars 1, et, pour acquitter cet impôt, il les autorisa à vendre tels de leurs enfants qu'ils voudraient.

Dans le traité fait avec les Berbères-Louata, Amr-Ibn-el-Aci inséra l'article suivant : Pour acquitter la capitation qui vous est imposée, vendez vos fils et vos filles. (Suivent deux traditions d'après lesquelles il paraît que l'Antabolos capitula par un traité fait avec Amr-Ibn-el-Aci.)

Dans ces temps-là, aucun collecteur de kharadj n'entrait à Barca; les habitants envoyaient [au percepteur] le montant de leur capitation au moment de l'échéance *.

Ocba-Ibn-Nafe, chargé d'une expédition par Amr-Ibn-el-Aci, pénétra jusqu'au Zouîla [du Fezzan], et le pays situé entre cette ville et Barca devint la limite [du territoire] des musulmans.

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Amr-Ibn-el-Aci marcha sur Tripoli et, en l'an 22 (642-3), ου 23, selon un autre récit, il s'arrêta auprès du petit dôme qui couronne la hauteur située à l'est de la ville. Le siége dura un mois sans avoir aucun résultat, lorsqu'un homme de la tribu arabe de Modledj sortit un jour du camp d'Amr, avec sept autres individus, pour aller à la chasse. Ils s'éloignèrent ainsi [jusqu'au pays] à l'occident de la ville, et, en revenant au camp, ils eurent tant à souffrir de la chaleur, qu'ils suivirent le bord de la mer. Or, la mer touchait immédiatement à l'extrémité de la muraille de la ville, et entre la ville et la mer il n'y avait point de muraille. Aussi les navires grecs entraient dans le port jusqu'aux maisons. L'Arabe et ses compagnons s'étant aperçus que la mer avait baissé au point de laisser à sec une lisière de terrain par où il serait possible de pénétrer dans la ville, suivirent ce sen

4 La valeur du dinar (pièce d'or) et celle du dirhem (pièce d'aryent) varient selon les époques et les pays, mais on peut estimer approximativement le dinar à dix francs et le dirhem à soixante centimes.

* Abou-'l-Mahacen, historien très-exact, place la conquête de Barca en l'an 21 de l'hégire.

tier, arrivèrent auprès de l'Eglise et poussèrent le cri d'Allah akber! (Dieu est très-grand!) Les Grecs coururent se réfugier dans leurs vaisseaux, et Amr, voyant qu'il y avait des épées tirées au milieu de la ville, y pénétra avec son armée. Les Grecs ne purent s'échapper que dans leurs navires les plus légers et la ville fut livrée au pillage.

Le peuple de Sabra avait mis cette ville en état de défense, mais, en apprenant qu'Amr ne faisait aucun progrès dans sa tentative contre Tripoli et que tous ses efforts étaient vains, ils se laissèrent aller à une sécurité entière. Le nom de Tripoli était Benara 1. Sabra était l'ancien lieu de marché (es-souc el-cudim), et ce fut Abd-er-Rahman-Ibn-Habib qui, en l'an 312, transporta ce [marché] à Tripoli.

Quand Amr-Ibn-el-Aci se fut emparé de Tripoli, il fit partir un fort détachement de cavalerie, avec l'ordre de presser sa marche. Le lendemain, au matin, ce corps arriva à Sabra, dont les habitants, oubliant toute précaution, avaient ouvert les portes pour envoyer paître leurs bestiaux. Les [musulmans] pénétrèrent dans la ville sans que personne pût s'en échapper, et [l'armée d'] Amr s'empara de tout ce qu'elle renfermait. Ce détachement alla ensuite rejoindre Amr.

§ III.

AMR-IBN-EL-ACI DEMANDE [AU KHALIFE] OMER-IBN-EL

KHATTAB LA PERMISSION DE FAIRE UNE EXPÉDITION EN IFRIKIA.

Amr désirait envoyer une expédition dans le Maghreb, et il écrivit à Omar une lettre dans laquelle il disait : « Dieu nous a rendus maîtres de Tripoli, qui n'est qu'à sept journées de l'ifrîkia; le Commandant des croyants voudra-t-il nous autoriser à y faire une expédition? Le mérite de cette conquête sera à lui, si Dieu nous donne la victoire. » A cette demande, Omar écrivit

* Variantes: Yenara, Nebaoua. L'ancien nom de Tripoli était Oea, dont Nebaoua est peut-être une altération.

2 Il faut lire 131; Abd-er-Rahman gouverna l'Afrique depuis l'an 127 jusqu'à l'an 137. Les historiens arabes, et Ibn-Khaldoun surtout, ont la mauvaise habitude de ne pas toujours indiquer les centaines en marquant les dates des événements qu'ils racontent.

la réponse suivante : « Ce pays ne doit pas s'appeler Ifrikia; il devrait plutôt se nommer el-Moferreca-t-el-Radera (le lointain perfide); je défends qu'on en approche ou qu'on y fasse une expédition tant que je vivrai ! » ou, selon une autre tradition qui nous est parvenue : « tant que l'eau de mes paupières humectera mes yeux.»

§ IV. - DE CE QUI SE PASSA EN IFRIKÏA.

Lorsque [le khalife] Othman eut privé Amr-Ibn-el-Aci du gouvernement de l'Égypte pour donner cette place à Abd-AllahIbn-Sad-Ibn-Abi-Sarh, celui-ci expédia au loin des detachements de cavalerie musulmane, selon l'usage établi du vivant d'Omar, et ces corps allèrent insulter et piller les frontières de l'Ifrîkïa. Ibn-Sad écrivit alors à Othman pour lui représenter que ce pays était tout voisin du territoire musulman et qu'il désirait avoir la permission d'y porter la guerre. D'après l'avis de son conseil, Othman invita le peuple à prendre part à une expédition contre l'Ifrîkïa, et ayant réuni les personnes qui avaient répondu à son appel, il les mit sous les ordres d'El-Hareth-Ibn-el-Hakem, qui devait les conduire en Égypte et les placer sous le commandement d'Abd-Allah-Ibn-Sad. Celui-ci se mit alors en marche pour l'ifrîkïa. A cette époque, une ville appelée Carthadjina [Carthage] était le siége du gouvernement africain, et elle obéissait à un roi nommé Djoredjîr (Grégoire) qui avait d'abord administré le pays comme lieutenant de Héracl (Héraclius), mais qui s'était ensuite révolté contre son maître et avait fait frapper des dinars à sa propre effigie. Son autorité s'étendait depuis Tripoli jusqu'à Tanger.

Djoredjîr vint à la rencontre d'Ibn-Sad, et dans la bataille qui s'ensuivit, il perdit la vie, sous les coups, à ce qu'on prétend, d'Abd-Allah-Ibn-ez-Zobéir. Son armée prit la fuite, et les détachements qu'Ibn-Såd envoya alors de tous les côtés, rapportèrent un riche butin. Quand les chefs du peuple de l'Ifrîkïa virent ces événements, ils offrirent à Ibn-Sad une somme d'argent pour le décider à quitter le pays. Ayant accepté cette proposition, il

retourna en Egypte 1, sans y laisser de gouverneur, et sans y établir de cairouan. Abou'l-Asoued, client d'Ibn-Lahîa 3, rapporte qu'Oweis lui avait fait le récit suivant. « Nous accompagnâmes Abd-Allah-Ibn-Sâd dans son expédition contre l'Ifrîkïa, et il partagea entre nous le butin, après en avoir prélevé le quint. Chaque cavalier eut trois mille dinars pour sa part, deux mille pour son cheval et mille pour lui-même, et chaque fantassin reçut mille dinars. Un des fantassins mourut à Dat-el-Hammam, et, après sa mort, sa famille reçut mille dinars. »

1 Théophane, dans sa Chronographie, raconte ces événements de la manière suivante :

« Α. Μ. 6138. Première année d'Othman, chef des Arabes. En cette année, le patrice Grégorios, soutenu par ses Africains, se met en révolte ».

« Α. Μ. 6139. En cette année, les Sarrasins font une expédition en Afrique et, ayant livré bataille au tyran Grégorios, ils le mettent en fuite et détruisent son armée. En vertu d'un traité, les vainqueurs imposent des contributions sur les Africains et s'en retournent. >>>

Le mot tyran dans ce passage montre évidemment que Grégoire avait pris la pourpre.

• On voit que le mot cairouan est employé ici avec le sens d'entrepôt, ou place d'armes.

3 Abd-Allah-Ibn-Lahia, célèbre traditionniste, mourut en l'an 174 (790).

* Je regarde la première partie de cette tradition comme fausse, tout en admettant que le fantassin dont il est question eût rapporté un butin de mille dinars. Mais je dirai que cet homme avait pillé pour son propre compte: métier que les Arabes ont toujours entendu à merveille; et j'ajouterai que la personne qui fabriqua cette tradition a cru que cette somme provenait en entier du partage égal du butin entre tous les individus de l'armée. Il a donc déclaré que chaque fantassin avait reçu mille dinars; et, comme le cavalier devait recevoir une triple part, notre traditionniste Oweis lui en donne généreusement trois mille. IbnAbd-el-Hakem ajoute ici une autre version de la même tradition, inais c'est toujours Oweis qui parle. La nouvelle version nous apprend que l'homme avait reçu deux mille dinars pour sa part. Selon Ibn-Abd-elHalem, la masse du butin fournit trois mille pièces d'or à chaque cavalier et mille à chaque fantassin, et cela après le prélèvement du cinquième pour le compte du trésor public. L'armée d'Ibn-Sad se composait de vingt mille hommes. Disons dix mille d'infanterie et autant de cavalerie, et supposons que la pièce d'or valait dix francs. Le butin

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El-Leith-Ibn-Sad rapporte sur l'autorité de plus d'un individu, qu'Abd-Allah-Ibn-Sad ayant fait une expédition en Ifrikïa et tué Djoredjîr, chaque cavalier reçut trois mille dinars et chaque fantassin mille. Un autre cheikh égyptien ajoute que chacun de ces dinars valait un dinar et un quart. Othman-IbnSaleh et d'autres disent que l'armée d'Abd-Allah-Ibn-Sad était forte de vingt mille hommes.

La fille de Djoredjîr échut en partage à un homme d'entre les Ansars [le peuple de Médine]. Il la plaça sur un chameau et s'en retourna avec elle, en improvisant les vers suivants : Fille de Djoredjir, tu iras à pied à ton tour. Dans le Hidjaz ta maîtresse t'attend.

Tu porteras [de l'eau dans] une outre de Coba Médine] 1. En entendant ces paroles, elle demanda ce que ce chien voulait dire, et, en ayant appris le sens, elle se jeta du chameau qui la portait et se cassa le cou.

Selon Ibn-Lahía, ce fut Abd-Allah-Ibn-Sad qui envahit l'Ifrîkïa, mais d'autres disent qu'il ne fit que l'entamer. Voyant les pièces monnayées qu'on avait mises en tas devant lui, il demanda aux Africair (Afarica) d'où cet argent leur était venu; et l'un d'entre eux se mit à aller de côté et d'autre, comme s'il cherchait quelque chose, et ayant trouvé une olive, il l'apporta à AbdAllah et lui dit: « C'est avec ceci que nous nous procurons de l'argent. - Comment cela ? dit Abd-Allah. - Les Grecs, répondit cet homme, n'ont pas d'olives chez eux, et ils viennent chez nous acheter de l'huile avec ces pièces de monnaie. »

Les Afarica reçurent ce nom parce qu'ils étaient enfants de Farec, fils de Biser. Farec s'appropria le pays situé entre Barca et l'Ifrîkïa, et c'est d'après les Afaric que l'Ifrîkïa (Afrique) fut ainsi nommée.

Abd-Allah-Ibn-Såd envoya Abd-Allah-Ibn-ez-Zobeir annoncer

aurait donc été de quatre cents millions de francs, plus le cinquième, ce qui fait en tout cinq cents millions. La fausseté de ces renseignements saute aux yeux.

1 Coba est le nom d'un village à deux milles de Médine. Encore aujourd'hui, Coba fournit de l'eau à cette ville.

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