Images de page
PDF
ePub

L'ÉMIR ABOU-ZÉKÉRÏA SE REND INDÉPENDANT DE LA DÝNASTIE D'ABD-EL-MOUMEN.

Quand Abou-Zékérïa eut appris la conduite extraordinaire qu'El-Mamoun tenait à Maroc; comment il avait mis à mort beaucoup d'Almohades, surtout ceux qui appartenaient aux tribus de Hintata et de Tînmelel; comment il avait ôté la vie à ses frères Ibrahîm et Abd-Allah[-el-Adel], celui qu'on avait détrôné; comment il avait ouvertement blàmé le Mehdi d'avoir prétendu à l'impeccabilité, proposé de nouveaux articles de foi, permis que l'appel à la prière fut fait en langue berbère, innové, par l'introduction d'un appel à la prière du grand-matin, donné une forme carrée aux monnaies et enseigné d'autres nouveautés ; comment, enfin, ce prince avait porté atteinte à la doctrine almohade en fondant sur d'autres bases l'organisation de l'empire, en supprimant le nom du Mehdi dans le prône du vendredi, en empêchant que ce même nom fût inscrit sur les monnaies et en faisant prononcer des malédictions publiques contre cet imam ; quand Abou-Zékérïa eut connaissance de ces événements, il résolut de proclamer la déchéance d'El-Mamoun, et, profitant, pour cela, de l'arrivée de quelques fonctionnaires que ce monarque venait de nommer à des places en Ifrikïa, il les renvoya à leur maître et fit célébrer la prière publique au nom de son neveu Yahya-Ibn-en-Nacer, qui se trouvait alors à la tête d'une insurrection dans la montagne des Heskoura. Ceci se passa en l'an 626 (1228-9). Dès qu'il eut appris que Yahya était dans l'impuissance de rien effectuer, à cause de la faiblesse de son parti, il négligea ce prince tout-à-fait et se borna à faire la prière au nom de l'imam El-Mehdi. A cette occasion, il prit le titre d'Emir et employa ce mot pour parapher ses lettres officielles; puis, en l'an 634 (1236-7), il se fit publiquement reconnaître pour sou verain. Alors, dans la prière du vendredi, à la suite du nom de l'imam El-Mehdi, on ajouta le sien avec la simple désignation d'émir sans aller jusqu'au titre d'Emir-el-Moumenin (commandant des croyants). Les fonctionnaires de l'empire se permirent,

cependant, de le désigner ainsi, jusqu'à ce qu'un certain jour, un des poètes, attachés à la cour, lui ayant récité un éloge en vers qui commençait ainsi :

Courage! ajoute le mot El-Moumenîn à celui d'émir.
Personne ne mérite ce titre mieux que toi!

il défendit à qui que ce fut de le lui donner, et tant qu'il régna, il ne voulut jamais l'adopter.

PRISE DE BOUGIE ET DE CONSTANTINE.

Après avoir répudié la souveraineté de la famille d'Abd-elMoumen et s'être déclaré indépendant à Tunis, l'émir AbouZékérïa marcha contre Constantine, l'an 626 (1228-9). Il tint cette ville investie pendant quelques jours, et, par suite des propositions secrètes que lui fit Ibn-Alennas, il attaqua la place par un endroit mal gardé et y pénétra de vive force. Le prince qui y exerçait le commandement et qui était fils d'Abou-Abd-Allahel-Hardani, fils de Youçof-el-Acheri, fut fait prisonnier et remplacé par Ibn-en-Noman. Cette conquête achevée, l'émir alla s'emparer de Bougie et se saisir du gouverneur, le cîd AbouAmran, fils aussi du cîd Abou-Abd-Allah-el-Hardani. Ces deux frères furent embarqués pour El-Mehdïa où ils devaient rester en détention et jouir d'une pension convenable; mais leurs familles furent transportées à Séville, en Espagne, sous la conduite d'Ibn-Aumaz. Avec les fils d'El-Hardani, l'émir Abou-Zékérïa envoya prisonniers à El-Mehdia Mohammed-Ibn-Djamê, le fils de celui-ci et son neveu, Djaber-Ibn-Aun-Ibn-Djamê, tous chefs de la tribu de Mirdas, branche de celle d'Auf. On y conduisit aussi Ibn-Abi-'s-Cheikh-Ibn-Acaker, chef douaouidien. Tous ces personnages furent enfermés dans la prison d'état.

Le ministre des finances à Bougie, Abou-Abd-Allah-el-Lihyani,

1 Voy. p. 88, note 3.

Variante: Aumazir. Peut-être faut-il lire Akmazír.

qui avait embrassé le parti de son frère, Abou-Zékérïa, reçut de lui, plus tard, des charges d'une grande importance, et,, toutes les fois que cet émir s'éloignait de Tunis, il y remplit les fonctions de lieutenant.

En cette même année, Abou-Zékérïa confisqua les biens de son vizir Meimoun-Ibn-Mouça et l'envoya prisonnier à Cabes; mais, plus tard, il lui permit de se retirer à Alexandrie. Abou-YahyaIbn-Abi-'l-Alâ-Ibn-Djamê, successeur de Meimoun dans le vizirat, conserva cette place toute sa vie. Abou-Zeid, fils de Mohammed, frère cadet d'Abou-Yahya-Ibn-Djamê, fut choisi pour le remplacer et, jusqu'à sa mort, il conserva cette haute position.

MORT D'IBN-GHANÎA.

[ocr errors]

LE SULTAN ABOU-ZÉKÉRÏA INSTALLE A BOUGIE, EN QUALITÉ DE GOUVERNEUR SON FILS, L'ÉMIR ABOU-YAHYAZÉKÉRÏA.

Quand l'émir Abou-Zékérïa se fut rendu maître de l'Ifrîkîa, il prit aussitôt la résolution d'en expulser Ibn-Ghanîa. Dans l'exécution de cette tâche, il remporta plusieurs victoires mémorables et parvint à chasser le chef almoravide de la province de Tripoli et du Zab. Toujours acharné à la poursuite de son adversaire, il s'avança jusqu'à Ouergla, et ce fut alors qu'il bâtit la grande mosquée de cette ville. Voulant ensuite mettre ses états à l'abri de toute attaque, il cantonna des corps d'armée sur les frontières et y établit des gouverneurs. Pendant quelque temps, Ibn-Ghanîa, accompagné d'une petite troupe de Soleimides, d'Hilaliens et d'autres Arabes, mena une vie errante dans les lieux où on l'avait repoussé, et il y mourut l'an 631 (1233-4). Comme il ne laissa pas de fils, on cessa de penser à lui, et Dieu effaça de la terre les traces de sa révolte. Dès ce moment commença la prospérité de l'empire hafside; l'esprit de la domination palpita dans le sein de cette dynastie, et le territoire dont elle était maîtresse prit une grande extension.

Abou-Zékérïa forma alors le projet de soumettre le Maghreb central et, en l'an 632, il quitta Tunis afin d'envahir les terri

toires occupés par les Zenata. Arrivé à Bougie, il y séjourna quelque temps et, de là, il alla s'emparer d'Alger. Après avoir établi dans cette ville un gouverneur de son choix, il entra dans le pays des Maghraoua où il accueillit la prompte soumission de la famille Mendil-Ibn-Abd-er-Rahman, et, voyant que les BeniToudjîn se disposaient à lui résister de vive force, il occupa la ville d'El-Bat'ha et les attaqua avec un succès complet. Leur chef, Abd-el-Caouï-Ibn-el-Abbas, fut fait prisonnier et envoyé à Tunis.

La conquête du Maghreb effectuée, Abou-Zékérïa reprit le chemin de sa capitale et installa dans Bougie, en qualité de gouverneur, son fils, l'émir Abou-Yahya-Zékérïa. Avec ce prince, il laissa un membre de la tribu de Hintata nommé Yahya-IbnSaleh-Ibn-Ibrahim, pour lui servir de vizir, et il plaça auprès de lui deux autres Hintatiens, l'un, nommé Abd-Allah-Ibn-AbiTehdi, en qualité de conseiller, et l'autre, Abd-el-Hack-IbnYacin, comme receveur des impôts. Plus tard, il adressa à son fils une lettre de conseils dans laquelle il traita de toutes les matières qui regardent la religion, l'état et l'administration. Ce document, émané d'une source aussi respectable, brille tellement par les pensées et le style que nous regardons comme un devoir de le reproduire 1.

CHATIMENT DES HOOUARA PAR LE SULTAN.

Depuis la conquête de l'Ifrikïa [par les premiers musulmans], les Hoouara s'étaient fait remarquer par leur nombre et leur puissance; mais, ayant pris part à la révolte d'Abou-Yezîd, ils avaient succombé, vaincus et accablés par les forces de l'empire fatemide. Il en survécut, cependant, quelques débris épars qui se tinrent dans l'Auras, ainsi que dans les plaines de l'Ifrîkïa

1 On trouvera cette pièce plus loin, dans le chapitre qui a pour sujet la mort de l'émir Abou-Yahya-Zékérïa.

qui s'étendent derrière cette montagne et qui vont aboutir à Obba, à Mermadjenna, à Sebîba et à Toborsoc.

Quand les Almohades eurent renversé le royaume des Sanhadja et que les Arabes nomades, tant hilaliens que soleimides, eurent conquis les campagnes de l'Ifrîkïa et subjugué, par leur supériorité en nombre, les habitants de ces contrées, les peuplades hoouarides dont nous venons de parler, adoptèrent les usages des vainqueurs, leur habillement, leur vie nomade et toutes leurs manières; elles renoncèrent à leur dialecte barbare pour adopter l'idiôme des Arabes et finirent par oublier totalement leur première langue. C'est là un des résultats que l'imitation du vainqueur amène chez le peuple vaincu.

Eblouis par les succès d'Abd-el-Moumen et des Almohades, les Hoouara se montrèrent disposés à l'obéissance envers cette dynastie naissante; mais, après que l'usurpation de l'émir AbouZékérïa eut fait passer le gouvernement [de l'Ifrîkïa] dans la famille d'Abou-Hafs, ils témoignèrent un esprit d'insubordination qui les conduisit au refus de l'impôt et aux actes de brigandage sur les grandes routes. Le sultan [Abou-Zékérïa] fut donc obligé de prendre des mesures sévères à leur égard: il quitta Tunis, l'an 636 (1238-9), sous le prétexte d'une expédition contre les habitants de l'Auras, et il envoya aux Hoouara l'ordre de lui fournir un contingent de troupes. Quand tous ces détachements furent arrivés au camp, il les fit tailler en pièces par ses Almohades et Arabes. Ceux qui échappèrent à la mort tombérent presque tous dans l'esclavage; leurs richesses devinrent la proie du soldat; leur chef, Abou-'t-Taiîb-Bâra-IbnHannach, y perdit la vie, et le petit nombre qui put se soustraire au massacre par la fuite resta dans un dénuement complet. Ce châtiment abaissa l'orgueil des Hoouara, paralysa leurs forces et les obligea à rester désormais dans l'obéissance.

Pour se rendre raison de cette orientation, il faut se rappeler que l'auteur écrivit son histoire dans le Casr-Ibn-Selama, forteresse située à plusieurs journées O. de l'Auras.

« PrécédentContinuer »